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 Clair de lune [Libre]

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Aurore Opéra

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MessageSujet: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyDim 17 Mar 2019 - 11:01



Clair de lune


La nuit tombait plus tard, reculait face à l’avancée du printemps. Déjà la neige n’était plus qu’un vague souvenir d’un hiver doux dans le sud de l’île. Ne restait de son passage qu’une brise fraîche qui soufflait sur les nuages et libérait la vue aux étoiles. Combien d’entre elles brillaient dans le ciel, ce soir ? Combien étaient mortes, envoyant un ultime appel de détresse ignoré par le reste du monde ? L’une d’entre elles venait-elle de naître ? Brillait-elle plus fort, fière de sa jeunesse ? Ou restait-elle en retrait, témoin de la puissance de ses aînées ? Pourrait-il la voir, s’il la cherchait ?

Aurore Opéra baissa le nez.

L’océan calme continuait ses va-et-vient incessants sur la plage. L’eau claire reflétait le ciel étoilé. Ballottées par les vagues, les lucioles s’entrechoquaient, s’unissaient et s’éloignaient les unes des autres dans un ballet envoûtant. Sur la scène du monde, il entendait les talons claquer, les robes voler et les lèvres se tendre sur des sourires joyeux. Les oiseaux de nuit chantaient la musique et le vrombissement de l’océan marquait le tempo.

Au milieu de ce tout parfait, qui était-il ?

Le rouquin laissa ses yeux noirs glisser sur la nuit. Il n’avait pas sa place dans cette joie. Elle lui passait sur le corps, s’insinuait sous sa peau et salaient ses plaies à vif. Il eut envie de hurler. Tant de frustration le maintenait tendu. Tant de tristesse le gardait amorphe. Lui aussi se laissait emporter par un flot ininterrompu de contradictions. Que pouvait-il faire contre elles ? Lâche, il n’agissait plus. Il avançait sans regarder où il posait les pieds, vagabondait au gré de la brise qui le poussait. Pouvait-il continuer ? La mer cracha à ses pieds. L’écume s’accrocha à ses poils, glissa sur ses sabots et disparut entre les grains de sable.

Aurore Opéra fit un pas.

L’eau était plus froide qu’il ne l’aurait cru. Sa fraîcheur le fit frissonner, réveilla le souvenir douloureux d’une blessure sur son poitrail. Il avança encore. L’hiver s’accrochait à l’océan, dardait ses doigts glacés sur les antérieurs de l’étalon. Il se retrouva dans son comportement. Dans le désespoir qu’ils partageaient face à un destin terrible. Lui-même s’accrochait à la vie avec l’entêtement d’une moule à son rocher. Que lui restait-il sur cette île ? Pour qui devait-il continuer à se battre ? Il n’avait pas la réponse à cette question.

Les pieds dans l’eau, les yeux dans les étoiles et la pensée perdue dans le vide qu’il sentait au fond de lui, l’étalon roux ne fit pas attention au monde qui remuait autour de lui. Il se concentra tant sur les souvenirs des morts qu’il en oublia les bruits des vivants.

Jusqu’à un bruit de pas qui perturba le bal de minuit.
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Sorrow

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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyDim 17 Mar 2019 - 13:56

Sorrow recracha un long filet d'eau de mer que le sable absorba avec l'avidité d'une gorge assoiffée.

Il ne put le voir déglutir, car ses teintes chaudes se voilaient progressivement du bleu de la nuit, transformant l'Archipel des boucaniers en un lieu propice aux rendez-vous secrets et aux escarmouches, quand bien même elles n'opposassent que quelques crabes belliqueux. Lui venait de sortir de l'eau, dauphin fort habile, et comptait bien ne pas se lancer dans une quelconque bataille avant au moins quelques jours, tant la traversée tirait sur ses os. Sa gorge, débarrassée de l'eau mais pas du sel qui piquait encore sa langue, s'ouvrait sur des inspirations et expirations bruyantes, couvrant jusqu'au roulis des vagues pour ses oreilles.

Il était de retour.

L'étalon, lorsqu'il eut fini de se gorger de l'air de la patrie - froid, salé et imprégné de ce relent caoutchouteux de la chair de poulpe qui parvient à constituer une odeur - poussa un soupir dans lequel l'on ne pouvait déceler ni la satisfaction, ni le regret. Il jeta un regard en arrière et regretta encore une fois, en son for intérieur, d'avoir dû trouver le passage ramenant à l'île de nuit, parce que la traversée était rendue épuisante par l'affection qu'avait la mer pour la Lune, et qui l'enjoignait à rejoindre sa maîtresse en montant toujours plus haut. Lui n'avait que faire des amours nocturnes des vagues, et encore moins des amours mortels en général. Si son excursion hors d'Horse-Wild lui avait appris quelque chose, c'était que Geisha n'était pas là, et qu'elle ne serait pas non plus ici, sur l'Archipel, dernier lieu où ils s'étaient croisés plus que revus. Celui qui avait délaissé jusqu'alors se retrouvait dans la position de l'abandonné, de l'éconduit, ou peut-être du veuf. Il portait naturellement merveilleusement le deuil de sa robe noire, mais s'engonçait moins bien dans les haillons de l'humiliation, bien qu'il se refusasse encore à considérer qu'il avait été quitté de plein gré.

Le frison se demanda pourquoi le vent parvenait à souffler si fort et jeta un regard aux cocotiers qui étaient censés l'empêcher de frapper avec tant de véhémence. Il en discerna quelques-uns, mais les trouva bien esseulés. Faisant quelques pas dans leur direction, il réalisa que certains d'entre eux avaient tout bonnement perdus leurs voisins... Mais que ces derniers ne gisaient pas au sol comme l'aurait suggéré une tempête, mais n'étaient réduits qu'à l'état de moignon, tranchés nets et emportés on ne sait où. Ses yeux se plissèrent. Quel étrange sortilège s'était encore abattu sur l'île ? Il aurait toujours pu faire demi-tour.

Une immense fatigue s'adossa au froid de ses os et il préféra se détourner de ce spectacle pour l'effacer de sa mémoire. La solitude s'abattit sur lui avec une certaine soudaineté, celle qui prend la gorge lorsque l'on réalise que nul ne vous attend. Hyuna' devait bien être quelque part et avoir fait quelque chose ; il était bien rare qu'elle ne s'attire pas des ennuis et bien qu'il ait grand hâte de la revoir, il n'était pas pressé de démêler l'imbroglio de soucis qu'elle lui présenterait.

Sorrow marcha encore un peu, retournant sans vraiment en avoir conscience près de l'eau. Il sentait ses jambes ramollir, exténuées par l'effort qu'il leur avait fait subir. Il serra les dents. Jour après jour, la vieillesse grappillait un peu plus de son énergie.

Il discerna à peine une silhouette qui se tenait là, immobile, dans l'eau. Il songea à la dépasser, grimaça à l'idée de presser le pas.

" Tiens donc, " lâcha-t-il en guise de salut, oubliant ses promesses d'éviter l'algarade, " Une statue de sel formée par l'océan. "

Et sur ces considérations artistiques, ces jambes s'écroulèrent sous lui. Il tomba comme un paquet de chiffons sur le sable humide.


Dernière édition par Sorrow le Sam 23 Mar 2019 - 15:58, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyVen 22 Mar 2019 - 9:24


Minuit avait sonné. Au bal, plus personne ne dansait. La mer continuait ses va-et-vient. Le roulement de ses vagues grondait comme le début d’un orage, d’une tempête impitoyable qui s’abattait sur lui. Pourtant, l’eau ne lui faisait aucun mal. Elle s’écrasait sur ses antérieurs, glissait jusqu’à ses postérieurs et léchait la plage. Puis, elle se retirait, laissant un monde langui de ses caresses. Sa douceur cachait un mal incommensurable. Le sel accrochait aux grains de sable, collait à ses poils roux. Pourrait-il se laisser dévorer par la nature ?

Aurore Opéra imagina la morsure de l’océan, le passage du temps. Tomberait-il en avant ? Emporté par l’élan des vagues, jusqu’aux abîmes, vers le néant. Que ferait-il de son dernier souffle ? Aussi loin du monde, il n’aurait personne à qui l’offrir, comme un cadeau empoisonné, pâle souvenir de sa vie de raté. Devrait-il demander pardon ? Il ne voulait pas être pardonné. Devrait-il remercier ? Un seul souffle ne suffirait jamais. Que faire, alors ?

Le rouquin soupira. Il tenta de comprendre la vie sous l’eau calme, sous la mer en furie. Comment braver la puissance de l’élément ? Les sirènes vivaient-elles si profondément qu’elles n’en ressentaient que l’écho déformé ? Comme une simple brise qui caresse leur joue, s’emmêle entre leurs doigts palmés. Il se demanda ce qui pouvait les pousser à remonter, ouvrir la bouche sur un air vicié, étaler leurs sublimes chevelures à la surface. Devant lui, la belle créature ouvrit ses grands yeux noirs. Tant de rire dans ces deux obsidiennes pures ! Aurore tendit les naseaux, appâté par le chant de la sirène qui souriait. Sur sa peau noire brillaient d’incroyables taches blanches qu’il n’osa pas toucher. Elle ne fit pas tant de manières. Elle cracha comme un chat énervé, abattit son poing sur la mer et disparut dans ses remous. L’étalon reçut de l’eau sur le nez, seule preuve du rejet dont il venait d’être la victime. Il n’avait pas su faire ce qu’il fallait pour l’amadouer. Pourrait-elle lui pardonner ?

Un bruit réveilla l’étalon de son demi-songe. Il crut d’abord au rire de l’amie perdue, puis il pensa au cri de l’enfant mordue par le diable, piétinée par le mal suprême, laissée pour morte dans un endroit inconnu. Il lui fallut plusieurs minutes pour se faire une raison : il n’avait pas inventé ce bruit. D’autres bruissements suivirent, même rythme, lourdeur. Aurore Opéra détourna le regard de l’océan, de la nuit qui battait contre ses pieds. Il découvrit une silhouette si sombre qu’il dut plisser les yeux pour s’assurer de ne pas faire face à un nouveau rêve, une autre excentricité de son imagination. Sa robe sombre absorbait le monde et brillait tout à la fois. L’absorberait-elle lui aussi ?

Une statue de sel. Le rouquin reporta son regard sur la mer à ses pieds. S’il faisait un nouveau pas, serait-il dissout par les vagues ? Ne laissant derrière lui qu’un mauvais souvenir d’une existence catastrophique. Le jeune étalon s’apprêtait à faire un pas quand la masse de l’inconnu s’effondra sur la plage.

Aurore Opéra se retourna vivement. Il bondit hors de l’eau et s’approcha prudemment de l’étalon noir. Le roux avait jugé une force que le frison ne semblait plus posséder. De par ses mots, Aurore avait cru qu’ignorer était la meilleure chose à faire, que le jeune partirait vers d’autres horizons pour embêter un autre monde. Pourtant, le puissant mâle devant lui présentait tout de l’age avancé, d’une vieillesse bien entamée. Opéra s’arrêta à quelques pas, l’œil inquiet à l’idée de ne pas savoir quoi faire pour le bien de l’inconnu.

Avez-vous besoin d’aide ?

Sa voix se voulut douce, mais il ne put l’empêcher de grincer, tomber sur le sable chargée de ses mauvais sentiments, de tout ce temps qu’il avait passé sans parler. Depuis combien de temps n’avait-il pas côtoyé un être vivant ? À nouveau, il entendit la sirène cracher à son oreille. Il eut presque envie de tendre la joue pour qu’elle le gifle, le griffe, le ramène sur terre d’un grondement menaçant. L’étalon sursauta en sentant sa main glacée se refermer sur son sabot. Il reprit conscience du monde, de la marée qui ne cessait de monter. S’arrêterait-elle avant ou après avoir englouti le vieux frison ?

La marée monte, constata-t-il, le regard perdu sur la mer, sans éclaircir sa pensée.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptySam 23 Mar 2019 - 13:50

Une amertume éloignée de celle du sel marin lui envahit la bouche. Il retint le haut le coeur, ne serait-ce que parce que l'âge vous apprenait à ne pas déverser si facilement à la fois le contenu de l'émotion et des tripes. Les yeux de Sorrow se voilèrent brièvement du châle d'une vieille colère noire et enfouie, celle de sa jeunesse hardie passée à vouloir surpasser les autres qui s’accommodait fort mal de la trahison d'un corps sur lequel il avait toujours pu compter. Seule Querouane l'avait un jour dépassé en le battant à la course. Mais Querouane avait été l'objet de son désir.

La marque d'une relation vouée à l'échec avait peut-être déjà été ancrée dans son cœur au moment où il n'avait pas été heureux de la voir filer devant lui mais ivre de rage à l'idée de se voir surpassé.

La statue s'anima malheureusement. Elle semblait songeuse, un Rodin penseur dont les réflexions sont happées et progressivement rongées par le sel, mais cela ne l'empêcha pas de se détacher de ses élucubrations, probablement attirée par la masse encore immobile qui s'était étalée là, comme les débris d'une ancienne oeuvre que l'on détruit parce qu'elle est devenue sacrilège, qu'elle fige dans la gloire un homme méchant, ou que tout simplement l'on a oublié ce tyran dont le souvenir se désintègre, d'abord enlacé par le lierre puis frappé par l'oubli, ne laissant comme rappel que le sel saupoudré de temps à autre sur une ancienne plaie qu'il a infligé.

Sorrow grimaça.

Le bord de mer n'était pas l'endroit privilégié pour poser une sculpture, à l'exception de cette petite sirène de Copenhague qui rêve peut-être, brûlée par la déception trop courante des visiteurs, de se jeter à l'eau pour apaiser la morsure des yeux.

Celle de la honte promenait ses dents sur son cœur, en quête du coin le plus tendre. Fort heureusement, il n'avait jamais eu la bêtise d'en dessiner une carte comme la marquise de Rambouillet.

Sorrow regarda la mer, cherchant à puiser dans son roulis un peu de calme. La nuit s'épaississait et faisait d'elle une vaste étendue brillante qui jetait de temps à autre, pêle-mêle, diamants perles et étoiles sur le sable qui ne pouvait accepter ces présents et les laissait repartir, happés par l'avidité de cette dévoreuse de crabes, d'hommes, et de tous les trésors qu'ils peuvent posséder eux-aussi.

Il ramena ses jambes sous son corps et prit une position plus confortable. La voix de la statue le ramena jusqu'à sa personne : c'était un étalon dont la robe n'était pas entièrement éteinte par la nuit, peu commune. Il semblait fort et l'ancien dominant songea brièvement que s'il avait compté parmi ses ennemis, il aurait pu l'achever aussitôt. Une fin survenant au début d'un retour.

Il n'avait pas demandé à Hyuna' où Ocëan Pearl était morte, ni même comment la chose avait eu lieu.

Il ne valait sûrement mieux pas le savoir.

La question portait une bonne intention, mais l'intonation crissait comme le sable. Les yeux de Sorrow se plissèrent pour mieux scruter les traits de l'inconnu, tentant d'y déceler les traces de la tromperie ou de la hargne. Il possédait sûrement des ennemis dont il ne connaissait même pas le nom.

Avait-il besoin d'aide ?

Son esprit hurlait que non, l'honneur à l'appui. Son corps ne réclamait pas d'aide non plus, car il se contentait bien de l'immobilité qu'il s'était imposé. Sorrow n'avait pas particulièrement envie de bouger, mais il devinait bien qu'il le devrait, au risque de faire partie du butin des vagues.

" Non, Galatée, " rétorqua-t-il finalement, sans poursuivre la métaphore en se qualifiant de Pygmalion. Il n'avait jamais développé de goût quelconque pour les éphèbes, et encore moins pour les roux.

L'autre lui offrit une constatation qu'il ne sentit pas - l'eau n'effleurait pour le moment que les boulets de celui des deux qui se trouvait debout.

" On ne peut pas le lui reprocher, " déclara-t-il.

Une vague particulièrement haute s'abattit sur le sable. Sorrow frissonna et se résigna enfin à tenter de se redresser, dégageant ses antérieurs de sous son corps en masquant une grimace.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyDim 31 Mar 2019 - 23:48


Aurore Opéra regarda la marée monter jusqu’à lui, s’écraser contre ses boulets et repartir vers le large. Quelques grains suivirent sa fuite, abandonnèrent la course avant d’arriver jusqu’aux fonds marins, là où les sirènes dormaient paisiblement. Dormaient-elles de nuit ou de jour ? Comment différencier la nuit et le jour alors qu’elles vivaient si profond que leur peau avait ce teint laiteux de ceux qui ne voient jamais le jour ? D’où lui venait sa peau noire, à sa sirène farouche ? Passait-elle trop de temps à la surface, dominante d’un monde qui n’était pas le sien ?

Lui aussi avait la peau noire. Le roux posa les yeux sur le vieil étalon. Sa robe obscure lui rappelait les reflets les plus sombres de son père. Aurore ne savait pas que dans ses ancêtres se cachaient des frisons à la robe aussi noire que celle de l’inconnu. Qu’il héritait lui-même d’un peu de ce sang, à défaut d’en montrer les traits. Il détailla le corps de l’étalon, admira la force de son vieux corps, la puissance d’une race qu’il connaissait peu. Peu importait la force, au final, le temps rattrapait tout le monde. Le vieux frison ne pouvait même plus se relever.

Opéra songea à sa propre force. Il avait passé tant de temps à la rechercher, à la modeler à son désir, à l’entraîner, la nourrir et la maintenir. Il avait toujours cru qu’il pourrait devenir quelqu’un de bien, comme un héros qui protège ceux qu’il aime. Il pensait qu’en grandissant, il deviendrait assez fort pour vaincre le monde, repousser, ne serait-ce qu’un peu, les méchants. Il voulait que les siens s’appuient sur lui, lui demandent de l’aide. C’était à cela qu’il aspirait autrefois : que l’on pense à lui quand il y avait besoin. Peu importait ce qu’était ce besoin.

Aujourd’hui, il comprenait qu’il s’était complètement fourvoyé. Les siens ne penseraient jamais cela. À la première occasion, ceux qu’il aimait le laissaient de côté. Il était une gêne. Comme un moustique que l’on chasse d’un revers de la main. Qui serait prêt à l’écraser pour ne pas se faire piquer ? Il préféra ne pas y penser. Au fond de son cœur restaient les souvenirs douloureux des mensonges de sa sœur et d’une sirène aux yeux sombres. Que pouvait-il faire contre cela ? Il se sentait totalement démuni.

L’étalon noir mentait-il, lui aussi ? Aurore n’en serait pas surpris. Il savait ce qu’était la fierté d’un mâle et comprenait que l’on ne veuille pas la voir tomber à terre et se faire piétiner par le premier venu. Il comprenait, mais n’agréait pas à ce genre de comportements. Peut-être cela lui venait-il de ses parents ? La pensée l’effleura et s’échappa aussitôt. Il ne voulait pas encore penser à la possibilité d’aller leur parler, leur avouer sa vérité.

Le rouquin baissa les yeux sur son propres corps. Il n’était pas blanc. Néanmoins, la comparaison ne lui arracha pas plus de réaction. Il la laissa couler et n’y répondit pas. Qu’importait le nom qu’on lui donnait. Au fond, il restait la même personne, ce même déchet que la mer elle-même avait rejeté. Lui non plus, ne voulait pas de son aide, du contact d’Aurore, de son inquiétude. Ou peut-être était-ce Opéra lui-même qui cherchait une excuse, une responsabilité à jeter sur les autres ? Fuyait-il le monde pour ne pas avoir à affronter sa fureur ? Probablement. Il ne voulait pas entendre les reproches légitimes des témoins de son crime.

Non, répondit-il, las. Mais il faut partir.

Aurore n’osa pas tendre les naseaux pour aider l’inconnu. La puissance du frison le retint. Il sentait en lui un combat entre la vieillesse et les souvenirs de celui qu’il avait été et que, visiblement, il ne pouvait plus être aujourd’hui. Au fond de son corps, peut-être restait-il un peu de cette ambition qui lui faisait croire que le monde s’agenouillerait avant qu’il ne le fasse. Opéra ne comprenait pas bien ces choses-là. Il ne voulait pas y réfléchir pour le moment.

Par là, dit-il, vous pourrez vous reposer sans vous inquiéter de la marée.

Le roux se détourna du grand noir pour lui laisser l’intimité de se relever par ses propres moyens. Lui-même ne voulait pas affronter la vision de la vieillesse. Elle lui faisait peu à peu comprendre que sa quête d’enfant était veine. Il avait cherché une force passagère, qu’on lui retirerait aussitôt donnée. Combien de personnes pourrait-il aider ? Il avait déjà tant échoué.

Aurore Opéra s’arrêta quelques pas plus loin pour attendre le frison. Son regard glissa sur la plage, le sable fin, les cocotiers. À côté de lui, l’un d’eux avait été sauvagement coupé. Arraché à la vie comme l’avait été sa si jolie fille. Quel mal pouvait faire une chose pareille ? L’imaginer lui donnait la nausée. Déstabilisé, il détourna le regard. Même au fond du trou, la mort continuait de le hanter. Aurait-il, un jour, la paix ? Il n’était même pas sûr de le désirer.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyMar 9 Avr 2019 - 10:57

Il fallait partir. C'était une constatation dont l'impératif relevait presque de l'injonction de la mère patiente, dont les nerfs n'ont pas encore été effilochés par l'entêtement d'un enfant terrible fier de son fief et qui se refuse à quitter le château de sable qu'il a façonné de ses mains nues. Les vieillards étaient cependant tout aussi enchaînés à leurs idées, parfois plus. Sorrow s'imagina restant là et laissant l'inconnu partir. Il pouvait déjà deviner les prémisses de cette inquiétude qui prend aussi le bambin, lorsqu'il désobéit à l'ordre et que le parent fait mine de s'éloigner pour le laisser seul. Et si... ?

Mais les vieillards n'étaient pas ceux qui étaient abandonnés, sauf lorsqu'ils avaient des enfants ingrats ou des amis déjà précipités dans la tombe. Non, les vieillards pouvaient demeurer immobile mais s'éloigner quand même. Ils disparaissaient, s'effaçaient progressivement. Un château de sable lentement grignoté par les vagues invisibles d'un mal ordinaire.

Sorrow ne songeait pas souvent à la mort. Il avait trop été occupé par la vie.

Un soupir agacé lui échappa alors que ses antérieurs pataugeaient dans le sable meuble, tentant de trouver sous son corps quelque chose d'assez solide, qui lui eût permis de se redresser plus facilement. Il finit par les replier et, débarrassé de l'inquiétude de l'autre qui ne doutait apparemment pas de sa réussite, il fixa l'horizon en songeant au fait qu'il l'avait enjambé pour rejoindre ces terres de malheur.

D'un élan brusque, il se redressa. Si vite qu'il manqua de retomber par terre mais, jamais pantin trop longtemps, il régla le mécanisme qui lui permettait de rester debout et se campa sur ses jambes. Du sable, encore tiédi par le soleil mais dont la chaleur s'évaporait sous l'insistance de la Lune, tombait des membres qu'il avait investis lors de sa chute. Le frison ressemblait à une espèce de ruine d'un monde antérieur, féroce mais endommagée par le temps, qui aurait défié la vieillesse tout en dégoulinant des traces de son empâtement dans l'âge d'or.

Il tourna la tête, dévisageant cette fameuse sculpture de sel qui attendait avec une sorte de politesse dont il ne pouvait jauger la sincérité. Il songea à filer dans l'autre sens, mais rien ne l'attendait par là bas, et il n'avait pas la force de quitter l'archipel cette nuit. Les vagues approchaient dorénavant, servantes rampantes et hilares qui effleuraient avec un mélange de respect et d'insolence la cheville offerte du maître de maison. Sorrow s'ébroua et envoya valser avec elles un peu du sable qui imprégnait sa crinière.

Ses yeux glissèrent sur les cimes d'arbres coupés nets.

" Qu'est-ce qui s'est passé, ici ? "

Il prit le pas dans la direction que l'autre lui avait indiqué.

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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyVen 19 Avr 2019 - 9:15


La souche coupée gisait devant lui comme le dernier témoin d’un crime infâme, injustifié. Pourquoi s’acharner sur une créature innocente, dernier pilier qui résiste encore à la mer en furie, aux vents du large ? Aurore ne pouvait s’empêcher, devant ce spectacle macabre qu’il ne comprenait pas, de faire le rapprochement avec sa petite fille. La belle créature s’était tenue droite, elle aussi. Pour quelques secondes de beauté infinie, de vitalité, de force au potentiel inexploité. Elle aurait pu déployer ses ailes, secouer ses plumes blanches, rire du mal qui gonflait devant elle et s’échapper, s’envoler vers une terre plus clémente, plus agréable. Une terre à la hauteur du petit ange, une terre faite juste pour elle. Là où personne n’aurait pu l’atteindre, pas même Aurore Opéra lui-même.

Le petit ange était retombé à terre, dans la violence d’une chute incroyable, les ailes coupées, le visage détruit par le vilain en personne. Le diable s’était tenu là, cabossé, enflammé, les yeux brillants du mal pur, de celui qui se rit du monde, de la vie. D’un simple toucher, d’un baiser empoisonné, il s’était débarrassé de la petite créature, de l’innocence d’une vie trop vite jetée dans le monde. Opéra ne pouvait plus dormir sans revoir cette scène terrible, les grands yeux noirs qui ne comprennent pas ce qui arrive. Pourrait-il, un jour, se remettre de ce traumatisme ? Il n’était pas certain de le vouloir. Il ne voulait pas oublier sa fille et la perfidie d’un monde qu’il n’a, au final, jamais compris.

La voix du frison s’éleva derrière lui.

Aurore Opéra tourna la tête vers l’étalon. Debout, bien campé sur ses jambes, le mâle dégageait une puissance qui lui faisait défaut, couché sur le sable fin de la plage. Le rouquin se demanda s’il pourrait un jour dégager la même aura, comme un homme jamais en faute, loin de ses faiblesses passagères. Il savait bien que non. Opéra avait toujours accepté ses défauts, ses instants de faiblesse. Il ne voulait pas les renier. Il les avouait sans honte. Personne ne peut être que qualité. Mais personne ne devrait être que défaut et inutilité. Le roux détourna le regard, gêné de comprendre ce qu’il était devenu.

Un mal trop grand pour ce monde, répondit Aurore, le regard perdu sur la coupe nette du tronc. Le diable traîne ses flammes sur l’île et s’en prend à ceux qui ne peuvent pas se défendre.

Le rouquin détourna le regard de la souche. Les cocotiers étaient exempts de cernes, comme si le passage du temps ne les touchait pas, les épargnait pour s’acharner sur les autres uniquement. Celui-ci criait au monde qu’aucune tempête ne l’avait tué, que l’age ne l’aurait pas pris si vite, qu’un mal bien plus grand s’était abattu sur lui. Aurore songea au diable qui traînait près de la Rivière de la vie. Son coup avait été d’une violence inouïe, un brouillon destructeur. Il avait laissé derrière lui l’empreinte d’un bulldozer, d’une tempête tropicale, d’une tornade enragée. Ce tronc-là ne présentait aucun des mêmes symptômes. Il paraissait comme disparu, comme si l’on avait tracé une ligne droite, retiré et déplacé la tête. Ne restait que les pieds, inutiles, qui ne savaient pas bouger pour récupérer leur corps.

Rien de naturel, en tout cas. (La sentence tomba sur lui comme un mauvais présage.) Les dieux ont peut-être décidé de punir ceux qui le méritaient. J’en doute.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyVen 19 Avr 2019 - 14:13

Certains endroits de cette île prenaient leur sens la nuit. Ce n'était pas le cas de l'Archipel, qui s'était toujours volontiers gorgée du soleil pour resplendir. Sorrow ne pouvait cependant prétendre connaître cet endroit comme il le faisait les terres Orphelines qui, elles, se complaisaient si souvent bien plus dans les heures où la nature se tapit dans son silence, laissant régner les prédateurs nocturnes et leurs victimes aux yeux luisants. La nuit se couchait sur le toit de la maison hantée comme un hématome, violacée et dépourvue d'éclat. Il se demanda si ces nuits là lui manquaient. Quelque chose en lui réclamait viscéralement que cela soit le cas ; on ne pouvait détacher un être de ce qu'il avait eu si longtemps sans emporter avec la déchirure un peu de rancœur. Mais son côté plus pragmatique se contentait de constater que c'était le danger résultant de cette perte qui le préoccupait plus qu'autre chose. Dominant encore, il avait parfois fui ses responsabilités pour marauder hors de l'île, comme attiré par une vie parallèle qu'il aurait pu mener si sa trajectoire n'avait pas rencontré la volonté d'un dieu. Qu'aurait-pu être Sorrow ? Sûrement ne se serait-il jamais illustré par sa noblesse ; mais peut-être ses erreurs auraient-elles eu plus de mal à le rattraper s'il les avaient semées au gré des vents de quatre continents pour quatre enfants.

Bien que Kuro ne fut pas un poursuivant particulièrement doué. Il était plus satisfaisant de songer que c'était par incompétence plutôt que par pitié, aussi c'est ce qu'il fit avec l'ombre d'un sourire. Celle, blanche, de son assaillant, l'avait-elle pourchassé en dehors d'Horse-Wild ? Etait-il suivi ? Les nouvelles lui viendraient tôt ou tard. Les rumeurs rampaient sur Horse-Wild comme un mendiant estropié qui beugle la bonne aventure en faisant tressauter les piécettes que contient sa sébile ; indésirées et souvent fausses. Une part de vérité s'immisçait pourtant parfois derrière les affabulations des commères. Que se passait-il donc sur les terres Orphelines ? Ce n'était pas le gardien de poules lilliputien qui lui aurait apporté des réponses, et pas sa charmante belle-fille non plus. Quant à ce qu'avait produit l'union de Kuro avec la fédération de football, il en avait quelque peu oublié le nom, qui l'avait pourtant frappé de sa laideur.

Malagraph', si elle se retrouvait encore sous le poids de ses attentions quelque peu emportées, lui aurait-elle dit la vérité ? Ou la connaissance de son identité n'impliquait-elle rien, sinon qu'il emporterait dans la tombe le secret de ce qui demeurait déjà une énigme, et dont il n'avait rien deviné sinon qu'elle était un être sournois, auquel l'on ne pouvait faire confiance ?

Il n'avait pas besoin de faire confiance à ses amis, puisqu'il s'en prévenait autant que de ses ennemis. Même Hyuna' ne pouvait prétendre à son entière certitude ; il l'avait laissé être façonnée trop libre, trop impudente, trop impressionnante pour pouvoir maîtriser ses faits et gestes. Si les résidus d'instinct paternel qu'il possédait tentaient de se convaincre qu'elle n'avait rien fait de mal pendant son absence, le reste, plus réaliste, tentait déjà de préparer la digestion des méfaits qu'elle lui conterait lorsqu'il lui aurait mis la main dessus.

Son interlocuteur le ramena sur l'archipel, dans un monde de sable et de moignons végétaux. Sorrow baissa les yeux. Il pouvait discerner l'endroit où le sable avait été aplati et remué, traçant le chemin qu'avait emprunté le tronc. Quelqu'un ou quelque chose, qui possédait manifestement une force extraordinaire, l'avait traîné sur plusieurs mètres comme un gigantesque et amorphe python, avant que sa trace ne se perde au milieu d'amas d'algues encore humides.

" Le diable ? " demanda Sorrow, qui jaugea son interlocuteur en se demandant si cette tendance au spleen lui était coutumière ou seulement de passage, " Et depuis quand ce petit malin sème-t-il la terreur ? Je pensais que les habitants d'Horse-Wild savaient bien tout seuls y répandre le chaos. "

Il était après tout fort possible que l'autre lui apprenne l'existence d'un énième monstre équin. Il en était lui-même un aux yeux de certains, et en avait engendré un autre si le meurtre suffisait à muer le chérubin en Baphomet.

Le frison décelait derrière les propos de l'inconnu quelque chose dont il ne pouvait appréhender les contours. Les propos qui suivirent le laissèrent tout aussi songeur. Une véritable tragédie s'était-elle abattue sur Horse-Wild, ou le rouquin avait-il quelque chose contre un fauteur de troubles qui avait échappé à la justice ?

Ces histoires de diablotin évoquaient le souvenir de Black Night, dont les sarcasmes et les moqueries incessantes n'avaient plus résonné sur l'île depuis la dernière éternité. Black Night aussi n'avait jamais pesé sur la balance de Thémis. Ni même Perjury, bien qu'il ait été poursuivi par sa demi-sœur assoiffée de vengeance.

La vengeance régnait sur cette île et en faisait couler le sang bien plus que les dieux, qui n'étaient dissimulés dans l'ombre que pour se repaître du spectacle et en lécher les filaments rouges.

" Les dieux n'ont jamais puni que les imprudents à l'aveuglette... Et les anciens dominants. "

Un sourire ironique se glissa sur sa figure à l'idée. Il parvint à survivre à une nouvelle inspection de l'arbre coupé. Rien de naturel. L'autre avait raison. Mais les dieux n'étaient sûrement pas en cause.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyLun 22 Avr 2019 - 12:16


Aurore Opéra n’arrivait pas à passer outre ses ressentiments. Au fond de lui continuait de bouillir une envie irrépressible de justice qui ne serait jamais assouvie. Les dieux se fichaient bien de la vie qui avait été fauchée sans raison. Même Poséidon n’avait pas levé le petit doigt pour punir le meurtrier. Cela ébranlait quelque peu la « foi » du rouquin vis-à-vis du dieu qui l’avait choisi. À quoi bon appartenir à son troupeau si, derrière, il n’y avait personne pour le soutenir dans les situations qu’il ne pouvait pas gérer ? Sa fille aurait fait une belle Secrète. Néanmoins, cela n’avait pas suffi à capter la protection d’un dieu.

Le rouquin avait bien pensé poursuivre le diable lui-même. Il aurait pu se jeter à sa poursuite, tenter de pister le mal qu’il devait semer derrière lui. Mais il avait passé tant de temps perdu dans un état second lamentable, à tel point qu’il ne se souvenait pas d’avoir quitté la dépouille de sa fille… Il n’aurait jamais pu rattraper le démon. Il n’aurait fait que se perdre et mourir, seul, abandonné, loin des siens. Aurait-elle apprécié, cela, la petite pouliche pie ? Il en doutait. Dans ses grands yeux noirs, il avait cru déceler le contraire, comme un appel au calme, à la raison. Peut-être s’était-il fourvoyé, trop lâche pour se lancer sur la piste encore chaude du diable enflammé…

L’étalon noir n’était pas d’accord avec les mots du rouquin. Aurore Opéra lui lança un regard en coin, inexpressif. Il se demanda si cela ne revenait pas au même. Le mal est dans l’humain, disaient-ils parfois.

Ce chaos-là ne fait plus de lui un habitant de l’île, répondit-il.

Aurore ne voulait pas s’éterniser sur le sujet, même si, au fond, il crevait d’envie d’en parler à quelqu’un. Évoquer l’accident avec Naëlle n’avait rien arrangé au mal qui le rongeait de l’intérieur. Où trouverait-il quelqu’un pour l’aider à garder la tête à la surface, à défaut de pouvoir un jour se débourber entièrement ? Le frison n’était pas cette personne et Opéra le savait parfaitement. Il préféra donc se détourner de la souche et continuer d’avancer dans l’Archipel.

Les prochains mots de l’étalon déplurent fortement au rouquin qui grimaça dans son coin. Le sous-entendu de dominance dans ses propos retrancha Aurore dans des souvenirs désagréables qu’il tenta de dégager en secouant son encolure. Le mouvement ramena une faible chaleur dans ses muscles engourdis par le manque d’effort, sa léthargie maladive. Pourrait-il mourir d’être trop immobile ? Comme si son corps en oubliait ses derniers instincts et, perdu dans ses pensées morbides, cessait soudain de respirer ?

À quoi servent-ils, ces dieux, s’ils ne défendent pas ceux qui leur ont juré fidélité ?

Sa voix grinça un peu. Il n’arrivait pas à comprendre. Sûrement ne comprendrait-il jamais. Y avait-il quoi que ce soit à comprendre, de toute manière ? Poséidon n’avait pas sauvé sa fille de la mort, ni puni son meurtrier. Aurore, lui, était coincé sur les terres de ce dieu-là, incapable de se décider à partir, retourner à une vie loin du monde, comme ses parents l’avaient fait avant lui.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyMer 1 Mai 2019 - 17:22

La Lune riait sous son nez crochu, l'eau lui répondait en gloussant, et un moteur ronronnait non loin de là.

Un moteur ronronnait non loin de là.

Sorrow s'arrêta. Mais le bruit devint fantomatique, comme un refrain dont l'on a oublié les mots appartenant à une chanson sans nom, inventée peut-être par un vieux souvenir mélangeant les syllabes. Le frison n'avait pas particulièrement envie de s'attirer l'incrédulité de son interlocuteur en passant pour un vieux misérable sénile, aussi se contenta-t-il de songer à ce que ses oreilles avaient cru percevoir quelques instants de plus, tout en trépignant dans le sable à la suite de ce qui était décidément quelqu'un d'au moins aussi aigri qu'un vieillard.

Une histoire semblait se tapir sous ses propos - Sorrow aussi avait des histoires sinistres, un millier de petits détails scabreux prêts à bondir hors de ses poches - mais il doutait d'être capable de décortiquer les soucis de ce jeune étalon qui avait encore toute sa vie pour les oublier. Ou les faire empirer, ce à quoi Sorrow s'était somme toute plutôt attelé bien qu'il n'ait pas eu particulièrement envie de le reconnaître.

Le frison s'ébroua. L'odeur du sel marin et de l'ailleurs, persistante sur le corps du navigateur et de l'étranger, se souleva avant de frapper ses narines, le ramenant aux pérégrinations qu'il avait connu ces derniers mois. Le diable était à vrai dire partout, apatride et omniscient. Il l'avait peut-être même vu une fois ou deux, caché derrière un fourré, répandu dans l'écho d'un cri d'effroi. Mais on prêtait souvent peu d'attention aux frasques du malin, tout comme l'on se détachait bien vite du malheur des autres.

La voix de l'autre grinça, ce qui arracha à Sorrow un rictus involontaire et légèrement désabusé.

" Les dieux ont des serviteurs, " décréta-t-il en sa qualité d'ancien majordome, " Ils ne servent pas. "

Les dieux. Omniprésents, eux-aussi, et pourtant si facilement ignorés lorsqu'ils ne vous envoyaient pas danser sur leur plancher infernal. Sorrow avait été régi par un dieu souvent invisible. Jamais il n'avait songer qu'Hadès l'avait mené à sa perte ; il n'était pas encore assez ingrat pour cela.

" Même les enfers n'ont pas de bureau des réclamations, " songea-t-il, précipité dans ses souvenirs du séjour qu'il y avait passé.

Pourquoi donc Zeus lui avait-il demandé s'il souhaitait rejoindre les terres trompeuses, comme si sa réponse avait pu être positive ? S'agissait-il d'une banalité, d'une habitude ? Ou les divinités étaient-elles si désireuses de remplumer leurs troupeaux ? Il ne se souvenait pas qu'Hadès ait intervenu une seule fois pour faciliter le recrutement des terres Orphelines. Mais peut-être que les nouveaux dominants, inexpérimentés, avaient besoin de ce petit coup de pouce...

" Je m'appelle Sorrow, " déclara-t-il finalement pour se distraire de ces pensées. L'autre était encore jeune et n'était peut-être pas né sur l'île. Qui sait, peut-être n'avait-il jamais entendu parler de lui.

Un élan masochiste le poussait à vouloir deviner avec quelle rapidité son nom sombrerait dans les tréfonds.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyMar 28 Mai 2019 - 15:16


Il le pourrait. Oui, il pourrait partir, s’enfuir des Terres Secrètes, ne pas regarder en arrière. Fuir. Comme le lâche qu’il était et serait à jamais. Il pourrait retourner à la solitude, à l’anonymat, se perdre dans les terres de l’île, disparaître. Il serait comme n’importe qui d’autre, un étalon lambda, un oublié. Cela ne lui déplairait pas. Du calme, des pensées, personne à blesser. Aurore savait qu’il ne tiendrait pas longtemps dans la solitude. Il avait besoin de voir du monde, d’apprécier les autres, de savoir qu’il pouvait s’entourer, aider. Ce qu’il ne faisait plus depuis la mort de sa fille. Plus comme il le faisait autrefois.

Le rouquin reposa son regard sur le frison. Peut-être qu’en un autre temps, à une époque qu’il n’arrivait plus à imaginer, il aurait fait tout son possible pour apprécier l’étalon, le comprendre et l’écouter. Aujourd’hui, les mots du vieux mâle le laissaient perplexe, perdu, en profond désaccord avec le sens de cette étrange conversation. Comment en étaient-ils arrivés là ? Aurore ne voulait pas parler des dieux, de l’allégeance qu’il leur devait, de l’inexistence de ce qu’il recevait en retour. Ne lui avait-on pas promis une protection ? Le roux secoua la tête. Il revoyait, derrière ses paupières, le souvenir d’une déesse qui avait susurré tant de promesses et qui, face à l’instant T, au moment fatidique, avait dévoilé des crocs de sirène affamée. Et à cela, il ne voulait pas penser.

Au moins, Aurore Opéra se trouvait en accord avec le frison sur un point. Les dieux ne servaient pas l’intérêt des membres de leur troupeau. Ils se servaient sur l’île de bonnes âmes pour les servir, les aimer ; d’esprits assez faibles pour croire qu’ils recevront quoi que ce soit en retour, ne serait-ce qu’une chose aussi simple qu’un acte divin pour punir l’acte le plus ignoble au monde.

Les enfers… réfléchit-il tout haut. Ne sont-ils pas peuplés de ceux qui n’ont rien à y faire ?

Le rouquin glissa ses yeux noirs sur le frison. Il croyait deviner, dans les songes de l’étalon, un passé obscur, une histoire qu’on ne lui avait pas encore contée, mais qu’il comprenait à moitié. Opéra gardait, au fond de son esprit embrumé par la mort de sa fille, le souvenir coloré d’un drôle de personnage. Des menaces à peine voilées, une comptine ou quelque chose qui sonnait d’une belle manière pour le poulain qu’il était, puis une question et une réponse. Une menace… quelle était-elle, déjà ?

Sorrow. Aurore Opéra grimaça par l’ironie de la situation. Voilà un nom qui convenait parfaitement à l’état du rouquin depuis quelques temps. Un nom qu’il aurait pu prendre pour une blague, une attaque discrète contre l’épave qu’il était. Mais, au fond de lui, Aurore restait le même qu’avant, comme une étiquette qu’il ne pourrait jamais gratter tout à fait et qui, de temps en temps, refaisait surface. Alors Opéra ne remit pas en doute la parole de l’inconnu. Il lui accorda sa confiance.

Je m’appelle Aurore Opéra, répondit-il d’une voix grinçante face au contraste de leurs deux noms.

L’étalon roux n’avait pas entendu parler de Sorrow. Pas plus qu’il n’avait entendu parler de qui que ce soit sur cette île, de toute façon. Il s’intéressait peu aux ragots, aux rumeurs. Il ne voulait pas connaître les autres à travers des on-dit. Ceux-ci n’emportaient avec eux que des mensonges. Comme les dieux et les enfers.

Si l’on peut commettre le pire crime et ne pas être puni… alors, dîtes-moi, qui peuple les enfers ? Les âmes les plus pures ? Comment va-t-on en enfer ?

Si les innocents pourrissaient dans les flammes, alors Aurore Opéra ne pouvait pas laisser sa fille subir cela. Il serait prêt à tout pour laisser les enfers s’ouvrir à ses pieds, plonger et aller chercher l’ange déchu pour le ramener sur terre. Il avait déjà invoqué des dieux autrefois, ne pouvait-il recommencer ?
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyLun 10 Juin 2019 - 1:53

L'archipel des boucaniers était l'une des nombreuses énigmes de l'île. Il était son propre petit microcosme sur une terre déjà détachée des autres, morcelée, arrachée à un continent ou encore rejetée par ce dernier. Lorsqu'il s'aventurait en dehors d'Horse-Wild et croisait en terra incognita des étrangers qui le jaugeaient d'un œil aussi ahuri que le sien, deux proies tentant de déterminer qui a la dent la plus aiguisée sous la babine, il se permettait souvent de demander s'ils avaient entendu parler d'Horse-Wild et, si c'était le cas et s'ils voulaient bien être convaincus qu'il ne s'agissait pas d'un mythe que sa propre existence rendait réalité, il leur demandait alors quelles étaient selon eux les origines de l'île.

Peut-être cherchait-il un peu de lui-même lorsqu'il posait cette question. Il n'avait après tout jamais vraiment été satisfait par Coeur Noir.

Qui était venu d'ailleurs, si ses souvenirs flous ne l'aveuglaient pas complètement. Il n'avait jamais réclamé l'histoire de son père. Il n'avait fait compter que ce qu'il avait fait sur cette île, la réputation qu'il y avait forgé, les enfants qu'il avait semé, les conquêtes qu'il avait délaissé. Ce serait-il retrouvé dans les origines du paternel ? Il en doutait. On connaissait finalement si peu les gens. Seul un attachement viscéral et instinctif pouvait donner la sensation d'avoir touché le nerf et effleuré l'os - mais pas toujours le coeur. Coeur Noir. C'était un nom de corsaire. De boucanier. D'arriviste enguirlandé dans un costume qui devient une identité.

Lui n'avait rien d'un pirate. Il n'avait rien eu d'un roi non plus.

Mais il avait régné. Et il avait endossé son nom, l'avait porté comme l'on enfile un uniforme, l'avait laissé l'imprégner jusqu'à ce qu'il sente même son goût sur le bout de sa langue. Sorrow.

Aurore Opéra, c'était évocateur sans l'être. C'était les mille floraisons du ciel et les mille exaltations du soprano. C'était la magnificence et le drame. Le renouveau et la naissance. C'était plein de choses.

Mais le chagrin s'incarnait lui aussi de mille façons, aussi n'était-il pas jaloux.

Le moteur ronronna à nouveau. Il se lova contre son tympan. Sorrow l'ignora de plus belle, comme l'on ignore une maîtresse dont les récriminations vous indifférent. Il n'avait pas le temps de s'occuper des illusions grondantes d'une menace qu'il ne voulait pas connaître. L'autre évoquait l'enfer, qu'il avait visité récemment. Il en était revenu.

" Il faut définir l'enfer, " lâcha-t-il, la bouche cotonneuse. La nuit pesait sur sa langue. " Est-il un lieu de damnation, ou de repos ? On y envoie les vivants lorsqu'ils répondent mal à Aléas, mais c'est pour les punir, aussi présentent-ils une apparence terrible. L'on y croise pas les morts. On ignore tout d'eux. Je le sais. J'y ai été. Je ne les ai pas vus. "

Il aurait aimé s'entretenir avec quelques squelettes. Malheureusement, la condamnation de Zeus ne l'avait mené qu'à une geôle dans laquelle le silence bandait indéfiniment son arc.

Sorrow fit quelques pas dans le sable. Il avait entièrement séché.

" Seriez-vous désespéré au point de vouloir mener le genre de vie qui vous y conduirait plus vite, ne serait-ce que pour revoir la personne que vous avez perdu ? "

Aurore Opéra. Il se demandait si un quelconque compositeur s'était penché sur le cas d'Orphée. C'était fort probable. Le drame aurait convenu. Partiellement.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyJeu 13 Juin 2019 - 9:51


Aurore Opéra glissa ses yeux noirs sur l’horizon. Il chercha, dans le scintillement des étoiles, le va-et-vient des vagues au loin, un souvenir, un signe, un indice sur ce qui pouvait invoquer un dieu. Aurait-il pu faire cet effort à la mort de sa fille ? Demander l’aide de son dieu, une quelconque punition divine à laquelle le diable n’aurait pas pu se soustraire ? Cette protection aurait dû être naturelle, comme une clause implicite dans le contrat qui retenait le roux sur son territoire. Il ne voulait pas croire qu’il aurait pu faire quelque chose, qu’il aurait dû implorer son dieu de lui venir en aide. Il ne voulait pas imaginer que les choses marchaient ainsi. Il gardait, au fond de lui, cet espoir fou qui l’étouffait. Il préféra rejeter ces pensées et inspira l’air frais de la nuit.

Aléas. C’était ainsi que le grand dieu se nommait, nimbé des couleurs de l’arc-en-ciel, d’un patchwork impressionnant de motifs divers. Aurore se souvenait de l’étrange animal, de son regard, du ton de sa voix. Il ne se souvenait pas des mots, peinait à se rappeler de la cible de la divinité. Cela n’avait pas été sa mère. Ou peut-être que si ? L’étalon n’arrivait pas à mettre un sentiment sur ce moment de sa vie. Ou plutôt n’arrivait-il pas à en mettre un autre que la profonde interrogation qui l’avait étreint ce jour-ci. Avait-il invoqué un dieu ? Opéra n’avait jamais eu la réponse. Il ne se rappelait pas non plus quels mots, quelles pensées, avant l’arrivée d’Aléas, avaient pu le mener à cette question. Qu’avait-il fait pour se croire si puissant et s’effrayer de cette force qu’il n’avait, de toute façon, jamais vraiment eue ?

Le rouquin avait vu Poséidon, sur la Plage. À nouveau, la même question. Mais il n’avait pas été seul, ce jour-là. Il n’avait pas lui-même invoqué le dieu des mers rien qu’avec son nom. Aurore n’avait jamais eu ce pouvoir. Il n’était qu’un cheval comme les autres, un peu trop naïf, perdu dans un monde qu’il ne comprenait pas tout à fait et qui, aujourd’hui, perdait ses couleurs pour des teintes plus sombres. Elle, en revanche, elle avait eu ce pouvoir. Inscrit au fond d’elle, collé à sa peau, écrit sur son front. Il n’y avait eu que lui d’assez bête pour ne pas le voir, pour ne pas comprendre, deviner le regard échangé entre la belle sirène et son dieu des mers. Au fond, Aurore Opéra avait toujours été un bouffon.

Sorrow niait la présence de morts aux enfers. Cela attrista l’étalon roux qui se recroquevilla un peu plus sur lui-même. Ses derniers espoirs de contempler sa fille s’envolaient, disparaissaient en mille éclats qui, une dernière fois, reflétèrent ses grands yeux noirs. À quoi bon ouvrir la porte des enfers s’il ne pouvait retrouver le petit ange arraché à la beauté des cieux pour la laideur des terres ? L’idée s’était pourtant fait un chemin dans son esprit désespéré et le rouquin reporta son regard sur le frison quand celui-ci évoqua la possibilité de précipiter le cours naturel des choses. Opéra n’avait jamais aimé se frayer un chemin dans la nature, écraser le monde pour assouvir sa curiosité. Il avait toujours préféré laisser faire le hasard, le temps, toutes ces choses sur lesquelles il n’avait et ne voulait aucune emprise, aucun contrôle.

Néanmoins, face à cette question, Aurore Opéra n’hésita pas une seconde.

Oui, répondit-il, comme s’il s’agissait de la réponse la plus naturelle au monde. Si je pouvais la revoir, ne serait-ce que le temps de lui demander son nom, je n’hésiterais pas un seul instant.

La vérité tomba sur lui comme un coup de massue. Lui-même ne se savait pas désespéré à ce point. Ce besoin, qui bouillait en lui, qui le retenait encore vivant, il ne faisait que le soupçonner, l’apercevoir sans être sûr de l’avoir vu. Maintenant, il comprenait. Le nom de sa fille lui était inconnu. Il connaissait son corps, ses grands yeux noirs, la beauté de ses longues jambes, de ses taches rousses. Il connaissait tout d’elle, de ce qu’elle aurait pu être, du potentiel enfoui au fond d’elle. Il connaissait tout sauf son nom. Un simple nom qui n’avait pas tant d’importance, qui aurait pu être n’importe lequel. Mais il lui fallait un nom. Comme si le simple fait de la nommer pouvait prouver qu’elle avait vécu, respiré, et qu’il l’avait aimée.

Vous ne le feriez pas, vous ? Pour quelqu’un que vous avez aimé plus que vous-même ? (Son regard glissa à nouveau sur la mer qu’il imaginait furieuse face au souvenir du drame, mais qui, en vérité, restait calme, insensible à la souffrance du rouquin.) Si je le pouvais, j’échangerais même ma vie contre la sienne. Je serais prêt à tout pour elle. (Il marqua une pause, laissa ce vide s’emparer de lui, celui-là même qui le rongeait, l’empoisonnait et que, pourtant, il recherchait sans cesse, comme une preuve de sa perte, un rappel de sa culpabilité.) N’est-ce pas ce que les pères sont censés faire ? J’ai échoué une fois. Il est trop tard pour recommencer.
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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyMar 18 Juin 2019 - 23:40

Les réponses étaient variées. Certains niaient jusqu'au bout l'existence d'Horse-Wild, la considérant comme une utopie, un fantasme couvé par les chevaux qui n'acceptaient pas la servitude. D'autres avaient les yeux noyés par les rêves. Ils évoquaient des continents engloutis et perdus, d'autres havres de paix comme celui-ci qui échappaient à l'avidité du mal et fleurissaient loin des regards. C'était peu connaître Horse-Wild que de penser qu'aucun parasite ne la vampirisait. La magie imprégnait cependant parfois véritablement l'atmosphère, épaisse et étouffante. N'avait-il pas été désigné par un dieu ? Il devait une grande partie de sa vie aux mystères de l'île, aux divinités à peine connues et surtout pas comprises. Aucune réponse ne l'avait satisfait jusque là. Les origines d'Horse-Wild plongeaient dans l'inconnu, l'abysse de l'imaginaire. Il se serait volontiers perdu dans ces profondeurs, tâtonnant dans le noir et cherchant la vérité, la seule, l'insaisissable.

Aurore Opéra n'en savait sûrement pas plus que lui et était de toute façon préoccupé par sa propre vérité, qui tombait de sa bouche et dont il recousait peu à peu les fils, tentant de parvenir à quelque chose de cohérent. L'amour imprégnait les propos du jeune étalon avec toute l'insistance d'une épaisse mélasse. Sorrow, qui s'était épris plusieurs fois dans sa vie, penchait naturellement vers la belle disparue, assassinée. Il courait même un œil sur les vagues qui envahissaient la plage, tentant d'invoquer le souvenir de sa dernière rencontre avec Geisha. Sa propre compagne s'était évaporée, comme enlevée par l'écume et par l'aigreur. Son enfant était mort, tué. Elle ne s'en était jamais remise.

Aurore Opéra ne connaissait pas son nom. Lui avait oublié celui du poulain qui l'avait séparé de son dernier amour. Il parvint difficilement à s'arracher à une rancoeur naissante envers le vieux cadavre, préférant rediriger cette haine vers la personne de Perjury. Perjure. Voleur. Fuyard. Les dieux étaient attirés par d'étranges spécimens.

L'autre était manifestement désespéré. L'histoire avait du se finir vite et mal. Sorrow s'entichait parfois vite, parfois lentement. Son histoire avec Hypocamp' avait été brève et motivée par un but. Mais la fin tragique lui avait prêté une importance presque démesurée dans sa vie. L'autre aurait pu se jeter dans une vengeance comme sa propre fille l'avait fait, et semblait par ailleurs prêt à le faire, ou à faire n'importe quoi pour retrouver celle qu'il avait perdu.

Qu'aurait-il fait, s'il avait perdu Hyuna' ?

La question, détournée, sortit de la bouche de son interlocuteur. Le frison fit quelques pas, avisa une parcelle à l'orée des arbres qui était couverte de vieilles feuilles et ferait une couche idéale pour la nuit.

Un peu de vérité tomba de la bouche de l'autre. Sorrow le regarda, réalisant qu'il avait fait fausse route. La belle l'était peut-être, mais elle n'avait pas atteint l'âge auquel ses traits auraient pu être admirés de cette façon. Le noir jaugea finalement Aurore Opéra. Il rejoignit son tapis de feuilles de palmiers, sur lequel il s'affala sans tenter d'être gracieux.

" Moi, je suis âgé. Le sacrifice d'un vieillard est de moindre valeur, puisqu'il mourra de toute façon bientôt. "  

Une bourrasque de vent vint emmêler son toupet.

" Vous, vous êtes encore jeune. Vous avez encore mille occasions de briser votre coeur, et mille occasions de recommencer, quoi que vous en pensiez. Vous aurez peut-être d'autres enfants. Vous apprendrez de vos erreurs, ou pas. On est rarement bien préparé à être père. Vous ne l'étiez peut-être pas. Vous le serez peut-être. Si vous souhaitez me raconter son histoire et alléger votre conscience, faîtes-le. Je ne suis, comme je l'ai dit, qu'un vieillard qui l'emportera dans sa tombe. Et si je la vois lorsque je serai mort, peut-être pourrai-je lui parler de vous et de vos remords. "

Le rouquin ne lui était pas antipathique ; ses misères ne l'attendrissaient pas jusqu'aux larmes, mais il compatissait comme il le pouvait.
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Aurore Opéra

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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptyMer 3 Juil 2019 - 10:05


Aurore Opéra n’était pas d’accord avec les mots de Sorrow. Les phrases se plantaient en lui et attisaient sa rage. Cette affreuse rage qui bouillait au fond de son cœur depuis la mort du bel ange. Le rouquin couvait une violence qui ne demandait qu’à être assouvie. Une soif de sang, de justice, que le dieu des Secrets ne lui avait pas offerte, comme s’il ne la méritait pas. Peut-être ne la méritait-il pas, mais il restait persuadé que sa fille méritait cette peine, que l’on demande réparation, à défaut de prendre une vie puisque cela ne pouvait pas lui rendre la sienne. Même dans un drame de cette importance, Opéra restait Opéra et cela ne lui plaisait pas. Il rêvait de pouvoir laisser aller ses mauvais sentiments, de s’en prendre au monde entier, de laisser retomber sur les autres toute la culpabilité qui, pourtant, ne devait revenir qu’à lui. À lui et au meurtrier. Il n’y arrivait pourtant pas et restait, éternellement, capable de retenir sa violence, sa haine des autres car, au fond, ce n’était pas les autres qu’il haïssait au point de vouloir frapper. C’était lui-même.

Néanmoins, Sorrow s’engageait sur une pente dans laquelle le rouquin ne pouvait pas le suivre. Les mots soufflaient sur les flammes de sa haine et ramenaient, dans sa gorge, ce goût de sang auquel, pourtant, il n’avait jamais goûté. Aurore Opéra déglutit et détourna le regard du vieil étalon. Oui, le frison était vieux. Non, le roux ne croyait pas pour autant qu’un sacrifice vaille plus qu’un autre. Pour lui, cela n’avait rien à voir avec l’age, l’expérience ou quoi que ce soit d’aussi superficiel. Sorrow aurait pu peser plus lourd que lui dans la balance, représenter un cadeau plus avantageux pour le dieu concerné par l’offrande. Mais Sorrow n’était pas le père de sa fille. Il n’était donc qu’un grain de sable balancé sous les sabots des divinités de l’île. Un grain de sable perdu dans les milliers d’autres sur cette plage.

Le rouquin ne répondit rien. Il sentait en lui cette envie de cracher, de hurler, de faire comprendre au vieillard que la mort ne valait rien pour les dieux. Sorrow mourrait bientôt, mais qui mourrait vraiment en enfer ? Errer éternellement, était-ce mourir ? Il ne voulait pas se lancer dans ces réflexions. Il ne voulait pas croire que sa jolie fille était condamnée à l’errance là où elle aurait dû profiter du repos, loin du monde qui n’avait pas voulu d’elle.

La suite, néanmoins, mit Aurore Opéra dans une telle rage qu’il recula de quelques pas et tenta de calmer cette haine qui brûlait tout en lui, en sondant l’horizon noir. Rien n’y faisait, les paroles de Sorrow continuaient de tourner dans son esprit et le rouquin ne voulait pas les accepter. Sa jeunesse lui donnait-elle le droit d’oublier sa fille ? De recommencer comme si elle n’avait jamais existé ? Il ne voulait pas y croire. Il aimait se persuader qu’il ne l’oublierait jamais, que son image resterait gravée dans son esprit, que la douleur ne faiblirait pas. Pourrait-il recommencer après avoir si lamentablement échoué ? Il n’arrivait pas à l’imaginer.

Vous et moi… commença-t-il d’une voix grave, animée par la colère de ne pas être d’accord avec lui. Nous ne voyons pas les choses de la même façon. Alléger ma conscience ? Il en est hors de question. Des mots ne suffiront pas.

Aurore voulait continuer cette vie pourrie dans laquelle il s’était plongé. La culpabilité, il la méritait. Le soulagement ? Il n’avait rien fait pour cela. Il n’avait même pas cherché à défendre sa jolie fille, à courir après le monstre pour prouver au petit ange que le mal ne serait jamais pardonné. Il n’était pas un bon père et ne le serait jamais. Néanmoins, il restait, au fond de lui, un petit espoir que Sorrow ait raison, qu’il puisse, après la mort, croiser la pouliche pie et échanger, avec elle, quelques mots.

Dîtes-lui qu’elle méritait mieux que ce monde et que son souvenir ne me quittera jamais.

Sa voix se brisa sur les mots, mais Opéra fut content de pouvoir les dire. Il se fichait bien de paraître niais, innocent, naïf. Il se fichait de tout désormais. Même de laisser le vieillard à son tapis de feuille, ou baignant dans la marée qui montait. Aurore avait besoin d’être seul, de digérer ces mots qu’il n’avait pas aimés, ces phrases qui, malheureusement, trouvaient trop d’écho en lui, comme une petite voix qui disait oui, oui, il a raison, tu survivras. Le rouquin ne voulait pas. Il avait besoin de se sentir mal, coupable. Comme il avait besoin d’en parler à quelqu’un. Mais pas à Sorrow, non.

Prenez soin de vous, Sorrow.

Il eut envie d’ajouter quelque chose, mais ne sut plus quoi dire, comme si les mots s’étaient évaporés de son esprit en un claquement de doigts. Alors il inclina la tête, garda au fond de lui un peu de cette rage qui lui hurlait de continuer à vivre, et tourna les talons. Il était temps de chercher celle qu’il devait trouver.
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Sorrow

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MessageSujet: Re: Clair de lune [Libre]   Clair de lune [Libre] EmptySam 6 Juil 2019 - 3:31

Ses jambes étaient engourdies. Elles pesaient mais n'existaient pas. Muscles, os, tendons grinçants, nerfs réactifs. Et leur absence. Il sentait une douleur fantôme qui hantait la chair, tandis qu'un autre spectre la bandait de son suaire. Il avait mal sans avoir mal. Il n'aurait pas pu se relever s'il l'avait voulu, n'aurait pas pu fuir une vague monstrueuse, alléchée par la proie facile. Sorrow se sentit tout à coup condamné et, pour une fois, il n'accueillit pas la sentence avec la combativité et la rancœur qu'il réservait à ses déboires. Il laissa son corps glisser sur les feuilles sèches, sentit le sable couvrir un peu de sa peau. Ses naseaux se dilatèrent. La présence d'Aurore Opéra était semblable à l'hésitation d'une flammèche au bout de la nuit. Sa robe rousse le détachait de la pénombre, mais il n'était à présent qu'une paire de jambes visibles. Il se réduisait à ce que Sorrow n'avait plus.

Engourdi. Il mâchonna sa langue. Elle aussi lui parut cotonneuse, molle. Il aurait pu la dévorer par inadvertance, ravaler mille mots et les centaines d'arrière pensées cachées entre les papilles. Ses paupières étaient lourdes, pesantes comme son corps. Il papillonna des cils, les sentit qui rabattaient le sommeil contre la pupille. Un soupir frissonnant lui échappa. La nuit était froide. Il était engourdi. Aurore Opéra avait la rage au cœur, mais cela ne lui allait pas. Inexorablement, ces émotions détruisaient leur propriétaire ou disparaissaient, lentement, soudainement, peu à peu, tout à coup. On ne pouvait pas retenir une émotion. On ne pouvait pas même vivre éternellement avec la tristesse. Oh, elle pouvait revenir. Mais elle-aussi avait besoin de connaître d'autres personnes, d'habiter d'autres lieux, de sortir du logis.

" Très bien. "

Le message s'était glissé dans son esprit. Les mots allèrent à la rencontre de son inconscient, baignèrent dans l'eau noire. Ils étaient couverts de bons sentiments, d'amour. L'onde ne les en nettoya pas. Sorrow se dit qu'il aurait été heureux de recevoir un tel message s'il était mort mais, ah, il n'était pas mort. Juste engourdi.

Les jambes s'éloignèrent. L'étalon cilla une fois de plus, laissa sa tête tomber sur les feuilles. Le sel imprégnait sa couche. Il portait un message funèbre pour une enfant sans nom, sans visage.

Un enfant sans nom, sans visage. Quel merveilleux bambin ça devait être.

La pensée barbouilla un sourire sur sa bouche. Sorrow s'endormit profondément et rêva qu'il galopait avec des jambes neuves, à la poursuite de l'insaisissable. Quant aux statues de sel plantées dans le décor de ses songes, elles demeurèrent immobiles.

FIN  :jelly:
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