There's no hiding for me ; ft. Kokoï & Fifa

Je dépasse à peine des hautes herbes et un soupir exaspéré gonfle mes joues avant de m’échapper, bruyant. J’écrase un coquelicot d’un sabot grisonnant et m’arrête brutalement, me sentant coupable. Pauvre fleur, elle n’avait rien demandé. J’effleure les pétales froissés du bout de mes naseaux et éternue quand la texture rouge et duveteuse me chatouille. J’ai broyé quelques grains (pépins ? pistils ?) en marchant dessus et la poudre moulue dégage une odeur herbeuse qui me rend méfiante tandis que je recule d’un pas et décide que je me suis assez attardée. Désolée, poppy, mais je ne peux plus rien y faire maintenant.

Je reprends mon chemin. La Plaine Illuminée s’étend, immense, face à mon corps bicolore et bien que je refuse de l’admettre, je me rends bien compte que c’est trop grand pour la traverser en une journée. Ça ne m’empêche pas de continuer mon petit bout de chemin, juste pour savourer le fait que j’ai le droit de m’éloigner des Terres Orphelines. Enfin. Je ne sais pas ce qui a fait changer Mama d’avis mais je ne m’en plains pas ! Il faut pas croire, je suis persuadée qu’elle me suit de loin ou missionne tonton Hélium, mon parrain ou Nokhömi pour me surveiller mais au moins, j’ai droit à un peu d’intimité !

Je m’éloigne des tours de verdures qui me dominent en taille pour rejoindre les sentiers battus par les sabots de chevaux adultes déjà passés par là. Vu comme la terre est meuble sous les miens, je ne doute pas qu’il s’agit d’un passage fréquenté, je parie que je vais bientôt tomber sur un cours d’eau et quelques arbres fruitiers ! Excitée, je prends le galop et bondis par-dessus le ruisseau que j’avais anticipé, continuant ma route sur la rive avant de dévier sur la gauche pour revenir sur le trajet tout tracé par mes congénères. De sacré spécimens, si j’en crois la largeur du passage que je parcours, c’est impressionnant, des chevaux si larges…

Soudain, je remarque une présence près de moi. Surprise, je me fige et tente d’identifier l’inconnu non loin, sans succès. Le vent est contre moi, je n’entends que le bruissement d’herbes qu’un gros nez bouscule pour les arracher à la racine et soudain, le bruit sec d’une touffe de verdure enlevée de son sol nourrisseur. L’écroulement de la terre meuble comme un cercueil qu’on met en terre et les pas lourds d’un herbivore. Je tords l’encolure pour jeter un regard derrière moi sans me retourner, prête à détaler, quand je me rends compte qu’il est déjà trop tard. Un immense mammifère souffle de l’air chaud sur ma croupe, le regard placide et étrangement affectueux…

Un bison me fait les yeux doux et je tremble de peur quand la bisonne termine de mâcher et avale goulûment son quatre-heure avant de frotter ses naseaux sur mon dos en poussant un soupir bienheureux. Je crois que je suis adoptée et je n’ose pas détaler de peur d’être écrasée si le géant essaye de me rattraper. Un rire féminin me parvient mais il ne s’agit pas de l’immense vache qui me confond avec son petiot. Je lance un regard courroucé aux alentours et ma voix dans le même élan, espérant que quelqu’un, n’importe qui, me vienne en aide. Comment vais-je me sortir de cette situation si personne ne vient me sauver ?!

« Ce n’est pas très gentil de rire du malheur des autres ! Venez plutôt m’aider s’il vous plait ! »

Hors RP:

Une jument de bronze et d’argent surgit des hautes herbes et vient se placer à mes côtés. Je lui adresse un regard méfiant auquel ma mère bovine adoptive fait écho, mais les gestes calculés de l’inconnue ne l’ont pas encore affolée. La bisonne ronfle des naseaux et moi je tremble comme une feuille. Elle a cru que la bête allait me laisser m’éloigner tranquillement ? J’ai un doute.

Je tente de faire un pas en avant et comme je m’y attendais, la grosse vache me suit placidement. Je préférais avoir Meeko sur les talons mais le raton-laveur a pris la poudre d’escampette quand je suis partie vers la Grande Plaine Illuminée, ça la prend parfois, je ne sais pas pourquoi. C’est souvent quand Mama est dans les parages mais pas tout le temps…

Je lance un regard paniqué à Superbia qui a le culot de se présenter comme si de rien était mais sa présence me rassure et elle dégage une aura maternelle que je préfère à celle de la bisonne. Ce que je voudrais surtout, c’est être avec ma Mama, ma vraie Mama. Dépitée, je fais un pas de plus mais encore une fois, ma mère bovine adoptive me suit et souffle de l’air chaud sur mon échine.

« Enchantée Superbia, j’aurais aimé vous rencontrer dans une situation moins compromettante et je dois avouer que je ne suis pas convaincue par votre suggestion. Vous êtes sûre que je ne dois pas m’enfuir en courant, je suis sûre qu’on peut la semer ! »

La panique me fait parler.

La voix apaisante de l’inconnue a des intonations maternelles qui m’apaisent. J’hoche lentement la tête pour lui signifier que je l’ai entendue et comprise. Superbia a raison, ça me paraît logique. J’espère seulement que le petit de la bête n’est pas gravement blessé ou pire, mort, sinon j’aurais du mal à lui échapper.

Je ne suis pas tout à fait convaincue par l’option zigzag cependant mais garde mon opinion pour moi. C’est que j’ai de petites jambes moi, pour le moment. La jument isabelle effleure mon épaule et je lui souris timidement, puis elle disparaît dans les fourrés.

Enfin isabelle, pas tout à fait mais aucun des livres de la Maison Hantée n’aborde le sujet de la génétique alors je ne m’y connais pas trop. Je soupire et lance un regard méfiant au grand spécimen derrière moi, qui n’a pas bougé et semble content de brouter maintenant que Superbia s’est éloignée.

« Tout doux… soufflé-je, en faisant un pas pour m’éloigner. »

Sans succès, la bisonne me suit. Mes épaules tombent et je me contente d’attendre le retour de Superbia, anxieuse, jusqu’à voir apparaître une forme brune… Le petit bison ! Soulagée, je bondis loin de la mère et les deux bovins meuglent en se blottissant l’un contre l’autre.

Je crois que je ne suis pas la seule à être heureuse de leur retrouvailles. Je me précipite vers ma sauveuse pour m’assurer qu’on ne me reprendra pas en otage, sait on jamais et sautille autour d’elle sans cesser de la remercier. Je m’imaginais mal ramener cette bête jusque sur les Terres Orphelines et expliquer ma situation à Mama, elle se serait bien moquée de moi…

« Merci Superbia ! »

C’est moi, ou justement, j’entends le rire de Mama ?

Fifa n’avait pas tant suivi sa fille que croisé son chemin et décidé de l’accompagner pour quelques temps sans nécessairement se faire remarquer. Elle voulait juste s’assurer que l’exploration de Kokoï se déroulait sans danger, aussi s’inquiéta-t-elle naturellement lorsque la pouliche pie se vit adopter… par un bison. Mais la situation semblait sous contrôle aussi rit-elle du quiproquo et observa la suite des évènements en se demandant comment sa fille allait s’en sortir.

La crème fronça les sourcils qu’elle n’avait pas en voyant approcher Superbia mais accorda une chance à la jument. Quand bien-même elles ne s’entendaient pas vraiment, il n’y avait aucune raison pour que sa meilleure ennemie s’en prenne à la pouliche. N’avait-elle pas assisté à la naissance, après tout ? Fifa l’observa donc à l’œuvre et s’étonna. Quelque chose avait changé... mais quoi ? Elle plissa les yeux et compris enfin.

Entre temps, Kokoï avait été délivrée de son embarrassante situation et déployait ses bonnes manières pour remercier Superbia, ce que Fifa décida d’imiter en se montrant finalement, non sans un dernier rire. Elle salua l’autre jument d’un sourire moins obtus que par le passé.

« Tu as déjà l’instinct maternel, c’est de bon augure, commenta-t-elle en lui lançant un regard entendu. »

« Mama ! »

Je lance un regard à ma mère, estomaquée. Elle n’a pas osé, tout de même ? Mais si. Je vois dans son regard qu’elle a fait exprès de me laisser me débrouiller pour me prouver que je ne peux pas encore m’en sortir toute seule. Je le sais et je sais aussi que parfois même les adultes ne peuvent pas se débrouiller alors je détourne la tête, boudeuse.

« C’est pas drôle, tu n’aurais pas fait la maligne non plus, à ma place ! »

Mais Superbia a assuré et je lui lance un regard admiratif avant d’ajouter.

« Maintenant je suis vraiment enchantée de vous rencontrer. »

Elle et ma mère discutent sans vraiment se saluer et je plisse les yeux, intriguée par leur relation, avant de saisir les enjeux de leur conversation. Moi, je ne vois rien qui me dise que Superbia est gestante ou pas, mais vu l’expérience que je viens de vivre, je ne doute pas qu’elle fera une bonne mère. Elle sait s’y prendre, la preuve !

« Je pense que tu n’as pas de soucis à te faire, interviens-je avec un sourire. »

La suite me dévoile une information capitale et je fais un bond.

« Tu m’as vue quand j’étais petite ! Wow ! J’étais comment ? »

Elle rit du regard outré de sa fille et se rapprocha d’elle sans craindre son air boudeur. Superbia semblait désapprouver de son éducation et Fifa lui lança un regard d’avertissement. La dunalino n’avait rien à dire sur sa famille. Elle ne savait rien d’elle, ni de Kokoï. D’ailleurs, l’autre jument ne semblait même pas savoir qu’elle était gestante.

« Ça m’a l’air évident. »

Elle n’élabora pas, parce qu’il lui en coûtait de faire des compliments à sa rivale, mais son regard en disait long et la réponse valait pour les deux questions. Fifa replaça quelques crins du toupet de Kokoï et sourit au souvenir de la naissance de cette dernière. Il était vrai que Superbia s’y était présentée et elle n’hésita pas longtemps avant de confier ce qu’elle pensait du temps passé. Il était loin, celui où elle avait craint ne jamais être mère, pire se voir arracher à la naissance de sa fille. Mais elle avait toujours peur qu’on s’en prenne à elle.

« C’est la plus belle chose qui me soit arrivée, souffla-t-elle avec un regard pour la pie. »

J’observe Superbia approcher, confiante et sourit à ses paroles, flattée. Si je pouvais rougir, mes joues prendraient une jolie teinte écarlate comme des pétales de coquelicot. La suite n’est qu’entre elle et moi mais je baisse les yeux, à la fois touchée, fière et honteuse car je sais que j’ai fait de sacrées frayeurs à ma Mama et que c’est pour ça qu’elle me laisse dans des situations pareilles.

« Merci, je lui réponds sur le même ton. »

Je la salue à mon tour et la regarde partir avant de me tourner vers Mama. Pour nous aussi, il est temps de rentrer. Je vais lui raconter ma mésaventure avec la bisonne au moins quatre fois, pour être sûre qu’elle comprenne bien à quel point j’étais gênée et mal à l’aise et un peu inquiète ! Ce n’était pas drôle et j’ai presque envie de brailler que c’est une mère indigne, mais je me retiens.

Je sais que ce n’est pas vrai et il serait injuste de prétendre le contraire.