Sweet Home. Cyrius

Cyrius trottinait sur le territoire des Rocheuses avec énergie. A vrai dire, il avait passé la nuit au Golfe d'Emeraude, comme à son habitude, avait fait un repas copieux de carottes du potager agrémenté de feuilles de thé parfaitement dosée. Ensuite, il avait décidé inopinément d'aller se vider la tête à la faveur d'un trotting à travers les Trompeuses.
Il avait traversé toute la vallée des Ronces - on pouvait d'ailleurs voir des feuilles et des épines accrochées dans ses crins - et remontait maintenant par le bas des Rocheuses, encadré par les montagnes rouges qui le cernait.
Il était trempé de sueur, fatigué, essoufflé, mais ni son corps ni son cerveau n'était près à arrêter la course. Mais soudain, une odeur portée par le vent arrive à ses naseaux, et malgré le flou artistique qui embrume sa boite crânienne, il s'arrête brusquement. Quelqu'un est là, pas loin, une personne familière, mais impossible de savoir qui.
Tel un minuscule point en contre-bas des montagnes, Cyrius balaye l'endroit du regard, scrutant la vallée, puis les reliefs, essayant de distinguer une silhouette. Ne voyant rien, il est soudain pris d'un doute : une hallucination, encore ?

Cyrius entend ce qui ressemble à un petit hennissement mélodieux. Il tend l'oreille, et, une fois encore, essaye de percevoir visuellement l'individu présent dans les Rocheuses. Finalement, son regard se pose sur une silhouette isabelle qui descend des hauteurs pour le rejoindre. Pendant un instant, le dominant croit y reconnaitre sa fille, mais bien vite il comprend que ce n'est pas elle. De plus, au vu de sa dernière rencontre avec Hallelujah, il était peu probable que cette dernière l'accueil avec un hennissement aussi sympathique. Il imaginait plutôt une sorte de grognement, voir même de rugissement.


Tachant de se concentrer une seconde sur la jument qui approche, Cyrius ne peut retenir un tressaut de surprise. Hoykä. Oui, il en est certain maintenant, cette pouliche isabelle, au caractère tempétueux et au langage châtié qu'il avait vu grandir et pour qui il avait une certaine affection. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas revu ? A vrai dire, l'alezan avait imaginé qu'elle était définitivement partie d'Horse-Wild. Il fut donc heureux de voir qu'elle était de retour, et il fit de son mieux pour se montrer sous son meilleur jour, malgré son look de vagabond trempé de sueur.


- Hoykä ! L'accueillit-il avec une joie sincère.


Il cligna un instant des yeux, et marcha à sa rencontre, tachant d'y voir plus clair.


- Mais t'étais passé où ?? Lui demanda t-il, en l'engueulant presque.

Cyrius affiche un sourire béat sur son visage, écoutant Hoykä qui explique avoir eu besoin de s'éloigner suite à sa relation avec Gavroche. Gavroche, se nom lui hérisse le poil et son sourire s'efface. Gavroche, qui avait donné une pouliche à Hoykä, comme s'appelait-elle déja ? Cyrius ne s'en souvenait plus.... Il resta quelques instant figé, l'image de Gavroche et celle de Nazz'ariah tournait dans sa tête à l'en rendre fou. S'il croisait l'étalon gris un de ces jours, mieux valait plus lui que Cyrius soit complètement stone.


Plongé dans ses pensés, Cyrius en oublie de réagir à l'explication d'Hoyka, qui d'ailleurs, reprend la parole sur un ton qui fait brusquement redescendre l'étalon sur terre. La jument isabelle s'est rapproché de lui et à planté son regard dans le sien. L'alezan relève la tête plus haut, comme pour mettre une certaine distance. Même pas 30 secondes qu'il avait retrouvé Hoykä, et celle-ci ne montrait déjà suspicieuse. Cyrius tâcha de se montrer le plus naturel possible. Tout allait pour le mieux.


- Je...J'ai quelques...enfin il s'est passé des choses, ça fait longtemps que tu es partie tu sais !


Il fronce les sourcils, essayant d'afficher un air autoritaire, espérant que cela suffirait pour qu'elle change de sujet. Puis, soudain, il oublie de se montrer froid, un sourire idiot s'affiche sur son visage...C'est dingue ce que cette jument ressemble à sa fille. Physiquement en tout cas, Cyrius ne peut s'empêcher de remarquer qu'Hoyka est plutôt jolie, la maturité lui va bien. 
Et puis sans prévenir, le nom de Gavroche retentit à nouveau en écho dans sa tête. Cyrius recule d'un pas, la mine assombrie, le visage fermé.


- Ne t'approche pas de Gavroche. Sauf si c'est pour le tuer. Et Cyrius éclate de rire. Une brise souffle sur son corps trempé et il frissonne.

Lancé dans son fou rire, Cyrius réalisa tardivement qu'Hoykä l'avait trainé jusqu'à une caverne toute proche. Il y faisait plus sombre, et l'étalon n'avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle l'isabelle l'avait amené là. Il posa sur elle un regard clairement aguicheur, mais changea immédiatement d'expression lorsqu'elle commença à lui hurler dessus. Non, apparemment ils n'était pas là pour "ça", le dominant tâcha de retrouver un minimum de lucidité avait de finir en steak haché.


Une chose était sure, il avait moins froid, et Hoyka lui avait postillonné dessus en vociférant contre lui. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?


- Déja on dit "Nom de Zeus" et pas "Nom de Dieu", on est sur les Trompeuses ici, chérie !


Cyrius était à présent parfaitement calme, il se risqua à redresser une oreille, espérant que l'isabelle ne se remette pas à hurler, l'acoustique était épouvantable et il sentait arriver un début de migraine.


- Et ensuite tu vas te calmer, t'es drôlement vulgaire tu sais ! Cyrius se déconcentre et se demande à nouveau ce qu'ils font tout les deux dans cette grotte. Son regard se pose innocemment sur la croupe d'Hoykä, une chanson raisonne dans sa tête et il commencent à fredonner lorsqu'il capte enfin ce que l'isabelle venait de dire. 


- Une rumeur ? Demanda t-il distraitement. Non ça c'est pas une rumeur, ton Gavroche à fait crac-crac avec Nazz'ariah, alias"la traînée des Trompeuses", et pouf ça fait des chocapics ! C'est pas du tout une rumeur rassure toi !


Cyrius lève la tête, soudain fasciné vers le plafond obscure de la caverne.

Hoyka cache sa croupe à l'alezan qui lui renvoie un regard offensé. Mais rapidement, à l'évocation de la rumeur qui n'en était plus une, l'isabelle se montre plus tendue. Cyrius aurait même pu dire qu'elle semblait en rage, et cela le fit sourire. La musique dans sa tête résonnait toujours, mais Cyrius était maintenant plus calme, apaisé, et presque concentré. Voir des sentiments négatifs chez ses interlocuteur le ramenait soudainement à la raison. Du moins, c'est l'impression qu'il en avait. Pourquoi n'avait-il toujours pas écarté Nazz'ariah des Trompeuses après ce qu'elle avait fait ? 


- Virer Nazz'ariah du troupeau ? Cyrius reprend quelques instants son observation du plafond avant de reposer sur la jument isabelle un regard perdu. Non, je n'ai pas encore pensé à ça...


L'étalon plisse les yeux, essayant de se comprendre lui-même. Avait-il réfléchit ne serait-ce qu'une seconde depuis que Nazz'ariah lui avait avoué ses actes ? L'étalon essaya de se rappeler ce qu'il avait fait depuis quelques semaines, mais il lui semblait bien que ses journées passées en roue libre auprès de ses arbres à thé ne lui avait pas laissé le temps de se focaliser sur des considérations aussi terre à terre que celle-ci.


Cyrius se met à réfléchir très sérieusement à la question, remarquant à peine que Hoyka s'était mise à faire les 100 pas. Le dominant se fige soudain, interrompu sans sa tentative de réflexion. Il couche les oreilles, la jument se remet à l'agresser verbalement. Cyrius est surpris par tant d'agressivité, mais pour une fois il saisit immédiatement le sens de son message. Il perd son sourire, soudainement bien loin de la planète sur laquelle il était parti se réfugier depuis son petit-dejeuner au Golfe d'Emeraude.


Conneries - teubé - lourdeau - tromper - salope - Cyrius - mort - troupeau.


L'étalon fixa Hoyka droit dans les yeux pour la première fois depuis qu'il l'avait revue, elle avait mis le doigt - ou plutôt le sabot - sur un problème évident. Cyrius demeura silencieux, sachant parfaitement, à ce moment là, qu'elle ne lacherait pas l'affaire. Mais avait-il vraiment envie d'y changer quelque chose ? S'enfermer dans son monde lui procurait tant de bien, pourquoi se pas envoyer paitre cette jument isabelle trop intrusive, il était adulte et dominant, il gérait sa vie comme il l'entendait !
Puis il repensa à Superbia, la seule à qui, dans un pure moment de faiblesse, il avait révélé quelques failles de son système. 


- Je te dirai bien de te mêler de tes affaires... commença Cyrius, la voix presque menaçante. Puis, ne sachant pas vraiment quel chemin devait prendre la suite de sa phrase, il s'arrêta à l'intersection, hésitant. 


- Je ne suis pas mort, Hoykä.


Soudain complètement refermé sur lui-même, il quitte la jument du regard et sort de la grotte pour retrouver le soleil de l'extérieur, cette caverne lui donne l'impression d'étouffer.

Cyrius marche droit devant lui, mais il ne reste pas seul longtemps. Hoyka le rejoint rapidement. Quelque part, il avait espéré qu'elle le fasse. Il ne se sentait plus euphorique, ni joyeux, la musique avait cessé son concert dans sa tête, la migraine l'avait repris, et ses pas le menait droit vers le Golfe, il avait de nouveau envie de quelques feuilles.
Hoyka s'excuse, ce qui achève littéralement Cyrius. Il connaissait cette jument depuis pouliche, et s'excuser n'était pas dans ses habitudes. Il n'avait pas besoin d'excuses, bien au contraire, et le fait qu'elle lui en donne indiquait à Cyrius qu'il était probablement allé trop loin.
L'alezan continue d'avancer, il s'autorise un regard sur l'isabelle qui, elle, ne le regarde pas, sans doute ne sait-elle plus comment réagir. Cyrius se rend compte qu'il l'a déstabilisée, quelque part il s'en veut, Hoyka revenait juste chez les Trompeurs, et lui comportait avec elle comme un imbécile.
Elle lui donne un petit coup d'épaule, et le supplie de réagir. L'inquiétude qu'il perçoit dans sa voix le perturbe. Etait-il vraiment entrain de se saborder, ainsi que tout ce qu'il avait construit ? 
Elle le dépasse, lui murmure de faire le bon choix. Quel choix ?
Cyrius s'arrête, le soleil tape agréablement sur sa robe désormais sèche mais crasseuse. Il ferme les yeux et prend un longue inspiration, il devait se reprendre, c'était une certitude. Le dominant rouvre les yeux. Il voit Hoyka devant lui, qui n'ose plus dire quoi que ce soit, puis contemple quelques instants les montagnes rocheuses, couleur rouge vif, tandis qu'un aigle vient rompre le silence d'un cris. 
L'étalon se sent soudain mal. Il a envie de pleurer, de rire, de hurler et de se terrer dans un trou tout à la fois. Peut être devrait-il sensiblement diminuer sa consommation de feuilles de thé, qui avait atteint un niveau jamais égalé ces derniers jours. Il avait beau se complaire dans les sensations qu'elles lui apportait, il avait conscience de ne plus être le même, Hoyka avait probablement raison. Après un long silence, Cyrius reposa à nouveau les yeux sur Hoyka, il ne pouvait pas la laisser partir ainsi. Oublier Nazz'ariah, se concentrer sur les personnes qui avaient encore un peu de valeur à ses yeux, et sur les Trompeuses, voila ce qu'il était censé faire.


Après une longue minute qui sembla durer une éternité, Cyrius se remet en marche et rattrape Hoyka. 


- Je vais bannir Nazz'ariah des Trompeuses, déclara t-il comme si rien ne s'était passé. Je ne sais pas encore quoi faire de son fils qui est né Trompeur. Si tu reviens durablement sur le territoire, je vais avoir besoin d'un bras droit. Quelqu'un qui n'aura pas peur de me donner son avis sur ce qui se passe sur les Trompeuses, quoi qu'il arrive. Il va falloir qu'on recrute de nouveaux membres pour fortifier le troupeau. Toujours essayer de recruter les solitaires qui s'introduisent ici avant de les évacuer. Cyrius se parlait à lui-même autant qu'il parlait à Hoyka, conscient qu'elle n'aurai peut être pas spécialement envie de jouer le rôle ingrat de bras droit, mais peut importait pour le moment. 

Cyrius vit se dessiner sur le visage d'Hoyka un sourire satisfait. L'étalon en conclut que sa reconnexion avec la réalité était effective, cependant il se sentais de nouveau un peu las, et ressentait soudainement la fatigue due à sa course à travers les Trompeuses. Il n'avait plus envie de rire, son monde était soudainement bien moins coloré. Cependant, il se savait à sa vraie place, et était conscient qu'il avait quelques responsabilités à assumer; alors il rendit son sourire à la jument isabelle. Histoire de la rassurer un peu, qu'elle se concentre sur ce qu'il disait et non sur lui-même.


Elle réagit immédiatement aux pistes qu'il avait lancé concernant le territoire. L'étalon avait toujours senti Hoyka impliquée pour son troupeau, et n'avait visiblement aucun mal à se projeter dans des considérations administratives et politiques. Cela plut à Cyrius. D'ailleurs, elle donna son avis sur la question du poulain de Nazz'ariah. Le garder, faire en sorte qu'il soit correctement élevé. En faire un véritable Trompeur. Nazz'ariah ne tiendrait de toute façon pas à s'en encombrer. Le dominant approuva ses paroles d'un léger signe de tête, jusque là, il était d'accord avec elle.


Elle enchaina ensuite sur la question du "recrutage".


- Recrutement, la corrigea machinalement Cyrius, tandis qu'elle parlait encore. Pas de doute, il était de retour.


Elle était sur le coup. Déja ? Cyrius ne creusa pas la question, cette réponse le satisfaisait amplement, il ne regrettait pas de l'avoir mise à contribution. Elle accepta sa position de bras droit, et Cyrius leva les yeux aux ciel lorsqu'elle le remercia.


- T'emballe pas, tu n'es qu'en période d'essai, on verra si tu te montre à la hauteur, personnellement je détesterai être mon propre bras droit.


Cyrius la taquinait, évidement. Etant donné le comportement border line dont il faisait preuve ses derniers temps, il préférait avertir Hoyka que le job ne serait pas de tout repos. Même s'il ne lui dirait pas, il était persuadée qu'elle était la mieux taillée pour assumer cette fonction.


- Je meurt de soif. Lâcha t-il soudain, posant un regard morne et éreinté dans le lointain.

Cyrius se sent sale et assoiffé. Il fixe Hoyka avec une certaine tendresse. Elle était exactement ce qu'il lui fallait, et il approuvait ce qu'elle disait. Il avait besoin qu'on lui rentre dedans de temps en temps pour lui remettre les idées en place. Il ne connaissait personne d'autre capable de faire ça aussi efficacement. Ainsi, il espérait qu'elle resterai longtemps dans les parages car il avait besoin d'elle.


- Tout compte fait, tu fera le job à merveille. La période d'essai est terminée !


Cyrius regarda autour de lui. Quitter les Rocheuses, se réfugier au Golfe. Non pas au Golfe, trop de tentations là bas... Aller faire un tour sur une terre libre. Boire, manger, se laver, dormir. Parfait. Il se retourne vers Hoyka, il est temps de la quitter, pour bientôt la revoir il l'espère.


- Merci pour tout Hoy', il faut que j'y aille. On se revoit bientôt.


Il la salut d'un léger sourire, et la quitte au pas, cap à l'est.

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