sweet moon - libre

Maha marchait tranquillement dans la plaine, attentive à tout ce qu'il s'y passait. Partout autour d'elle s'étalaient de grands lacs miroitants dans la nuit. Éclairée par les doux rayons de la lune, la renarde déambulait entre les différents plans d'eau. Sa gorge commençait à être sèche et elle avait soif. Ainsi, elle se dirigea vers l'un des lacs et elle baissa la tête pour commencer à boire.

La renarde écoutait le chant des crapauds paisiblement, qui sonnaient comme une douce mélodie à ses oreilles. Les yeux mi-clos, elle avait le nez plongé dans l'eau. Elle avait l'impression que ça faisait des jours qu'elle n'avait pas bu quelques gouttes d'eau. Et pourtant, elle avait bu hier.

Un éclaircissement de gorge la fit sursauter. Elle pointa ses oreilles en arrières et elle leva la tête. Lentement, elle tourna sa tête rousse pour regarder l'inconnu à la robe noire derrière elle. Elle s'ébroua et elle se tourna vers l'étalon, les oreilles pointées vers lui, visiblement curieuse.

Maha inclina la tête pour lui dire bonsoir et par simple respect envers lui, il fallait toujours être poli d'après elle. Curieuse, elle pencha légèrement la tête sur le côté, ses prunelles brillaient légèrement sous la lune.

- Bonsoir, souffla-t-elle en lui adressant un petit sourire. C'est une belle soirée que voilà.

Elle observa l'inconnu, c'était un grand étalon ébène, qui la dépassait très facilement en taille et qui semblait plutôt musclé. Elle se rendit compte qu'elle ne s'était pas présentée, alors elle toussa légèrement.

- Je suis désolée, je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Maha.

Tout aurait pu sombrer dans le chaos. Il aurait suffit d'une éclaboussure, d'un mouvement brusque - d'un énorme silure remontant à la surface pour gober la lune, les étoiles, l'univers entier. Il se serait peut-être complu dans le spectacle d'une destruction soudaine, insensée, l'horreur qui surgit au balcon pour interrompre la sérénade. L'atmosphère était belle, oui ; les reflets de la Lune sur l'eau étaient beaux, oui. Et il avait la nausée, soudain, comme si cette beauté ne pouvait vraiment exister, pas face à lui, pas maintenant.

Les pensées d'un être menacé par le sommeil et la migraine. Il ferma les yeux et sentit le sang jaillir dans son crâne, comme tentant de submerger son esprit.

Il les rouvrit pour contempler la jument rousse. Elle lui offrait un sourire. Rouillé, il lui rendit un spasme des muscles, tellement malhonnête qu'il le sentit sursauter avant de s'effondrer.

La politesse de l'inconnue lui arracha un rictus un peu plus sincère. Elle semblait parfaitement normale. Il réalisa qu'il avait croisé peu de créatures gentilles, ces derniers temps. Et que la gentillesse le rendait soupçonneux.

Maha. C'était joli. Il s'arrêta là. Pas la peine d'accorder trop de sens aux sons.

" Je m'appelle Shiro. "

Son regard vogua.

" Vous avez un crapaud entre les sabots, " signala-t-il finalement, les yeux rivés sur le gros batracien. Son prince charmant ? Ou son animal familier ?

Maha observa le dénommé Shiro, pensive. Il n'avait pas l'air d'apprécier être là, où alors peut-être se trompait-elle, mais son sourire sonnait faux et elle l'avait bien remarqué. Elle tourna la tête vers la lune qui semblait capter son attention, mais elle n'y vit rien d'anormal, alors elle reposa son regard sur l'étalon.

Elle baissa la tête quand le noir lui dit qu'elle avait un crapaud entre les sabots et elle observa la bête, telle une enfant qui découvrait le monde, les prunelles brillantes et les oreilles pointées vers la bête. Elle lui souffla dessus et il émit un croassement tout à fait comique. Un petit sourire amusé étira ses lèvres et le poussa du bout du sabot pour éviter de l'écraser. Elle ne voulait pas tuer une petite bête, bien qu'elle soit hideuse, innocente.

- Oh, ce n'est pas bien grave, il ne va pas me tuer, dit-elle en haussant légèrement les épaules, avec une petite lueur amusée dans son regard ambré.

La renarde gratta son sabot sur le sol humide, cherchant quelques brins d'herbe à se mettre sous la dent.

- Ça fait longtemps que vous vivez ici ? lui demanda-t-elle en levant son regard vers Shiro.

Deux ennemis le poursuivaient constamment : le souvenir et la menace de la conversation badine. Shiro resta les yeux rivés sur le crapaud comme s'il avait voulu échanger sa place avec la sienne. Au moins, personne ne demandait à un crapaud de tenir une conversation intéressante. Il s'imagina en train de coasser comme un dément. Sa lèvres supérieure s'ourla, brièvement. Il fit un pas de côté afin d'être mieux éclairé par la Lune.

Il regarda celle qui s'appelait Maha, mais qui était encore l'inconnue dans son esprit. Comme souvent, les mots tombèrent de sa bouche avant d'avoir été mâchés et régurgités correctement.

" Moi non plus. "

Il lui fallut une seconde de plus pour réaliser ce qu'il venait de dire et pour que la gêne vienne lui dévorer la figure. Il se mordit la langue mais ne parvint pas à se faire mal, se contentant de fixer la rouquine comme s'il venait d'être attrapé la main dans la boîte à biscuits :

" Non pas... Que j'en ai eu l'intention. Ou que j'ai jamais tué quelqu'un. "

Et il espéra que son air mortifié suffirait à la convaincre.

Sa question était parfaitement inoffensive ; le genre d'information que l'on réclame à un inconnu, histoire de mieux le cerner. Il pirouetta pour la contourner :

" Ici ? Dans les marécages ? Pas vraiment. Je ne goûte pas trop la compagnie des moustiques. "

Il lui fallut un instant de plus pour se précipiter, se rappelant que la politesse exigeait la réciprocité :

" Et vous ? "

L'alezane eut un petit mouvement de recul quant à ses mots. Moi non plus ? Qu'est ce que ça voulait dire, qu'il aurait pu la tuer ? Ses oreilles se pointèrent immédiatement vers l'arrière. Elle n'avait rien fait de mal, elle ne méritait pas de mourir si jeune !

Mais ses craintes furent vite balayées, il semblait bien gêné et honteux et la suite de ses mots la rassurait quelque peu. Pourtant légèrement inquiète, elle resta de marbre, sans plus aucun sourire sur les lèvres.

Quand il se décala, elle se déplaça de sorte à être tout le temps en face de lui, parce qu'on ne sait jamais. Attentive, elle observa sa tête et elle n'y lut aucune sorte d'animosité, alors elle osa lui faire un petit sourire délicat.

- Je vis un peu partout, je n'ai pas d'endroit fixe en fait, ni de famille, enfin plus rien, donc pas de lieu de vie, lui dit-elle en haussant les épaules.

Elle fit quelques pas délicats et elle se rendit compte qu'elle venait un peu de dévoiler toute sa vie.

- Je suis désolée, je ne veux pas vous embêter avec mes problèmes, excusez-moi, ajouta-t-elle, légèrement gênée.

Son regard balaya le sol avant de remonter vers Shiro.

Il n'avait pas l'habitude de provoquer la crainte. Une part de lui aurait voulu se gorger de cette occasion inattendue, ravie d'enfin accéder à un aspect de lui-même qu'il n'avait jamais pu rendre convaincant auprès des autres. Une sensation de gêne luttait contre elle, susurrant que s'il éprouvait du plaisir s'était pour avoir réussi à ressembler, ne serait-ce que brièvement, à son père. Sorrow faisait-il encore peur ? Il avait vieilli mais il n'avait pas vraiment faibli.

Il avait grandi dans son ombre, comme une plante oubliée. C'était facile de croire qu'un adulte fait peur, lorsqu'on est petit et que les ténèbres vous engouffrent.

Shiro n'avait jamais vraiment pu réconcilier son physique avec sa personne. Il y avait un étrange décalage entre sa race et son esprit. Son corps s'était d'ailleurs distendu pour rendre évidente l'opposition ; s'il était grand et plus musclé que certains des chevaux qui foulaient HW, il n'avait pas atteint la masse de son père et avait conservé à certains endroits les contours secs, longilignes et nerveux, d'un adolescent qui a grandit à l'étroit.

L'étalon considéra la jument, un peu pensif. Il lui offrit un petit sourire.

" C'est aussi ma situation, " répondit-il d'un ton qui se voulait apaisant, " Je peux vous comprendre. "

Le pouvait-il vraiment ? Il se garderait bien de donner des détails. Il avait grandi dans une maison hantée, après tout. Un détail qui ne rassurerait pas son interlocutrice. Pas après sa maladresse de tout à l'heure.

" Vous ne m'embêtez pas. Je ne savais pas qu'il s'agissait d'un problème. La solitude vous déplaît tellement ? "

La solitude n'était pas son problème à lui. L'errance, le déracinement, voilà qui pesait contre sa nuque et ralentissait ses pas, le forçait à tourner la tête en arrière. Les Terres Orphelines n'étaient plus son refuge. Et il ne trouvait aucun toit pour l'abriter.

Un vacarme attira son attention. Deux hérons se disputaient un petit poisson argenté qui profita du tumulte pour glisser d'entre leurs becs et retomber dans l'onde.  

Maha observa le noir tandis qu'il parlait, ils étaient dans la même situation, et pourtant, ils étaient tellement différents. Elle laissa échapper un petit soupire.

- Je n'aime pas être toute seule, ce n'est pas ma passion, je préfère être avec quelqu'un, ça me rassure, lui dit-elle en haussant de nouveau les épaules.

Elle suivit le regard de l'étalon et un petit sourire vint étirer ses lèvres cendrées. Elle prit le pas, sa queue fouettait lentement l'air pour chasser les quelques moustiques qui l'importunait. D'un simple mouvement, elle invita Shiro à venir avec elle, observant les environs avec une certaine attention.

- Vous avez de la famille ? lui demanda-t-elle tout en marchant tranquillement, faisait des petits pas délicats.

Il réalisa assez soudainement qu'il passait beaucoup de nuits en compagnie de juments, ces derniers temps. Par beaucoup, il voulait dire que c'était la deuxième fois que ça lui arrivait. Quant à ces derniers temps, on pouvait les étirer pour englober l'entièreté de sa vie. Avait-il passé une nuit avec Farandole ? Il s'était accroché à cette illusion là tellement longtemps, la nuit, lorsqu'il n'arrivait pas à dormir et voulait se convaincre qu'il avait tenté de mener une vie ordinaire... Il avait été attiré par Farandole, n'est-ce pas ? Il n'avait pas complètement abandonné l'idée de goûter au train train quotidien des autres.

C'était vieux, tout cela. Voilà bien longtemps qu'il avait perdu tout inconfort par rapport à sa situation. Bien que l'idée qu'un autre s'engouffre dans son inconscient le laissa toujours effrayé...

Maha prit le pas. Il hésita brièvement avant de la suivre, lançant un regard au croissant de Lune suspendu sur son rideau de velours. Il pouvait comprendre pourquoi on prêtait à l'astre de la nuit tant de personnalité. Ses multiples crevasses formaient les coins et les replis d'un visage tantôt grimaçant, tantôt bienveillant, dont il contempla à la dérobée les rides en restant à une distance respectueuse de l'autre jument.

Une autre question. Son visage resta impassible, mais son esprit sursauta. La famille, une fois de plus.

Pouvait-elle savoir quelque chose ? Il l'observa. Elle ne lui disait rien. Elle n'avait pas l'air d'avoir un lien de parenté quelconque avec une famille connue d'Horse-Wild. Et si elle ne supputait pas qu'il avait un lien de parenté avec Coeur Noir ou Sorrow à cause de son sang frison, c'était soit qu'elle était polie, soit qu'elle n'avait jamais entendu parler de ces énergumènes.

Il choisit de gagner du temps.

" Si la solitude vous déplaît, vous pourriez rejoindre un troupeau. Les terres Orphelines... "

Et il s'interrompit, les yeux dans le vague. Il n'allait pas chanter les louanges de la patrie qu'il avait quitté. N'allait pas envoyer plus de monde sur les terres qu'il avait connu, aimé, qui lui avaient presque appartenu et qui étaient déjà explorées, retournées, fouillées, cambriolées par des colonies de parasites.

Parasites. Il songea aux mites tapies dans la poussière de l'armoire de la plus grande chambre de la maison hantée. Aux trous laissées dans les nappes, les rideaux, les quelques vêtements pas encore complètement effilochées. Au trou laissé dans son coeur. Qui s'élargissait. A chaque pas.

Avait-il une famille ? Il aurait pu lui dresser un arbre généalogique avec ses maigres connaissances ; la lignée de Coeur Noir, tellement longue et étendue qu'il soupçonnait chaque cheval noir qu'il croisait d'être un cousin. L'histoire de son père, ancien dominant des terres Orphelines. Celle de sa mère, dominante reniée qui était partie alors qu'il n'était qu'un poulain, emportant avec elle Kuro, son frère jumeau, son frère aîné.

Mais c'était trop simple. Ça n'avait aucune saveur. Il ne connaissait pas Coeur Noir. Il ne connaissait plus sa mère. Et Kuro n'était qu'un fantôme blanc qui tentait de reconquérir les terres que son père lui avaient refusé.

" Non. "

Il se sentit soulagé.

Elle-même fut soulagée de le voir la suivre. Ses pas se faisaient légers et délicats tandis qu'elle réfléchissait un peu. La renarde savait que sa famille était morte, enfin tout du moins ses parents. Et ça lui pinçait le cœur à chaque fois qu'elle y pensait, elle aurait pu faire quelque chose pour sauver sa mère, elle aurait du trouver une solution. Mais elle n'avait pas réussi..

La réponse de l'étalon la tira de ses sombres pensées et elle releva la tête, qu'elle avait baissée sans faire vraiment attention à ses gestes. Les terres Orphelines ? C'était quoi ça ? Quel troupeau ? Elle n'avait aucune idée de ce qu'il voulait dire alors elle pencha sa tête sur le côté, intriguée, et piquée par une curiosité croissante. A force d'être trop curieuse, elle finirait par se brûler.

- Les terres.. Orphelines ? répéta-t-elle, sans trop comprendre ce qu'il lui disait. Il y a des troupeaux ici ?

Elle n'avait pas envie de rejoindre un troupeau, ce n'était pas pour elle non plus. Elle préférait plutôt être toute seule que d'avoir des ordres tout le temps. Elle voulait être libre et ne pas avoir toujours quelqu'un sur son dos. Alors elle pense que jamais elle ne rejoindrait un troupeau. Mais qui savait de quoi l'avenir était fait ?

Elle entendit la réponse de Shiro. Il n'avait pas de famille non plus et ce petit détail l'intrigua mais elle décida de ne pas insister sur ce sujet.

- Moi non plus je n'en ait pas, enfin je n'en ait plus, ils sont tous morts, lui dit-elle avec un petit sourire triste et pourtant curieux.

Maudite soit sa langue. Elle était la seule partie de son anatomie qui aimait voyager. Et s'égarer dans des contrées hostiles.

Il la retourna dans sa bouche, ruminant quelques pensées. Comment présenter les terres Orphelines à une inconnue ? Quels mots pour les décrire ? Ceux d'un artiste ? D'un cartographe ? D'un exilé ? D'un enfant ? Quels adjectifs, quelles tournures, quelles enjolivures ? Les terres Orphelines avaient toujours été son évidence, peut-être même la seule qu'il ait connu. Sa patrie, son asile, son refuge, sa goutte d'encre séchée sur la carte.

" Oui. "

Un crapaud lui laissa le temps de réfléchir et déclama une chanson qui fit le bonheur de son auditoire, ce dernier lui répondant de son propre concert de coassements enthousiastes. Il pouvait apercevoir un attroupement de nénuphars endormis, leurs fleurs blanches entrouvertes sur les baisers des étoiles scintillant entre leurs pistils.

" Vous êtes sur des terres libres. Elles sont nombreuses sur Horse-Wild, mais il existe aussi des terres dominées. Ces dernières sont au nombre de trois. Les terres trompeuses, les terres secrètes et les terres orphelines. J'admettrais volontiers que leurs noms ne les rendent pas sympathiques de prime abord. "

Mais il avait grandi en les entendant tomber de toutes les bouches, aussi ne lui paraissaient-ils pas inquiétants.

" Jusqu'à peu, ces terres étaient dominées. Mais récemment les dieux d'Horse-Wild ont décidé de relever les anciens dominants de leurs fonctions... "

Un silence.

" Vous ignoriez sûrement que des dieux existent ici. Je ne suis pas fou, ou membre d'un culte quelconque ; beaucoup des chevaux que vous croiserez sur ces terres vous assureront comme moi de leur existence. "

Le rôle de guide touristique lui seyait décidément fort mal. Il était presque essoufflé.

Maha lui appris que sa famille était morte. Il regretta presque de lui avoir offert sa vérité approximative, mais ce ne fut qu'un presque et il se contenta de lui adresser un regard dans lequel il tenta de glisser un semblant de condoléances.

La renarde écouta patiemment ce que l'étalon lui disait, intriguée. Alors il y avait des troupeaux sur HW. Bon, c'était pas sa tasse de thé mais peut-être s'informerait-elle sur les différents troupeaux. Parce qu'on ne savait jamais. Un détail étrange attira son attention. Il y avait des.. dieux ? Elle pâlit légèrement, plus du tout curieuse. Il était malade celui-là ou quoi ? Comment pouvait-il y avoir des dieux ? Elle fit comme si de rien était, silencieuse. Ses oreilles s'agitèrent nerveusement d'avant en arrière, tandis qu'elle eut un bref mouvement de recul. Mais elle décida d'essayer de ne pas y prêter attention.

Elle aperçut dans son regard un semblant de condoléance et elle lui adressa un sourire désolé. Elle n'avait pas voulu m'être une ambiance morose entre eux. Elle observa quelques instants le paysage avant de reporter son regard sur Shiro, ne savant pas trop quoi dire pour leur permettre d'effacer la conversation plutôt tendue qu'ils venaient d'avoir. Alors elle resta silencieuse, regardant ses sabots en marchant.

L'étalon ne retint pas une grimace. La réaction de la jument n'était pas passée inaperçue. Il n'avait fait que dire la vérité.

Bah ! résonna-t-il, ses propres oreilles menaçant de tournicoter, elle constaterait bien assez vite qu'il n'avait fait que dire vrai. Et il n'avait même pas mentionné le chatoyant Aléas, qui pourrait très bien lui donner une mauvaise surprise...

La nuit s'était refroidie, tout comme leur conversation. Il ignorait pourquoi il continuait sa marche, parfaitement conscient que cette dernière était sans but. Il était vexé, réalisa-t-il avec humeur. Il n'avait rien dit qui serait sorti de l'ordinaire pour un HWien normal. Et elle n'était pas d'Horse-Wild.

Il n'aimait ni l'inconnu ni les inconnus.

Remuant ce brouet noirâtre de pensées, il ne fit pas attention à la nuée de moustiques qui fondait sur eux.  

L'étalon ronfla des naseaux, interloqué, lorsqu'il entendit enfin le zonzonnement menaçant des insectes.

" Demi-tour ! " décréta-t-il, plus pour lui-même qu'à l'intention de la jument. Il fit volte face et prit aussitôt le trot.

La renarde marchait à côté de lui, pensive. Cependant, elle entendit un fort bruit de moustique et elle n'eut pas le temps de comprendre qu'elle en avait déjà plein les oreilles. Elle secoua la tête dans tout les sens tout en faisant demi-tour pour suivre l'étalon au grand trot. Elle ne voyait pas vraiment où elle allait et elle prit même le galop pour s'éloigner de ces stupides insectes. Une fois qu'elle s'estima assez loin, elle s'arrêta et elle ne cessa de s'ébrouer. Elle avait mal à la tête à cause des piqûres.

- Tu t'es fait piqué ? lui demanda-t-elle, plutôt inquiète.

Les mouches, les taons et les moustiques étaient décidément les prédateurs les plus redoutables de l'équidé. Les loups et les couguars ne faisaient pas le poids.

Shiro accéléra en sentant que son allure relevée ne suffisait pas à le mettre à l'abri des insectes survoltés qui vrombissaient contre ses oreilles. Il poussa un soupir et, désespéré, finit par prendre un virage brutal, préférant s'offrir à l'eau glacée plutôt qu'aux baisers insistants de ces vampires affamés.

Il trotta dans l'eau jusqu'à en avoir jusqu'au poitrail, moment où il choisit de s'arrêter et de faire volte-face.

Maha était restée sur la rive. Il entendit sa question. S'ébroua, pour se débarrasser de la sensation d'être entouré par un nuage d'insectes.

" Sans aucun doute, " répondit-il, agacé, en entamant du bout de la dent la première piqûre qu'il sentit.

Maha regretta aussitôt ses paroles quand elle sentit son agacement. Elle baissa les yeux et elle regarda l'eau dans laquelle il était avant d'approcher ses lèvres de la surface miroitante. Elle avait aussi envie de se gratter, mais elle savait que si elle le faisait, ce serait encore pire, et elle ne voulait pas avoir des plaques d'urticaire.

La température de l'eau fut une évidence progressive, comme celle qui engourdit peu à peu le corps d'un homme saoul. Shiro passa sa langue sur ses lèvres et remua, révélant les rides de ce vieux lac froid, retenant à peine sa grimace en sentant sous son sabot vase et algues mortes, tout ce lisier qui enlise la faune aquatique dans la vie.

Il laissa le silence s'installer confortablement et, renonçant à la politesse ainsi qu'à la raison qui lui aurait dicté de laisser sa peau tranquille, il entreprit de gratter furieusement les recoins de son corps qui avaient été piqués. L'étreinte de l'onde, glacée, apaisait les brûlures les plus insupportables.

Shiro releva les yeux, presque surpris de voir que Maha était encore là. Sa simplicité la rendait décidément bien étrange.

Il sortit de l'eau lentement, retenu par le poids et l'insistance de l'onde qui se satisfait bien vite d'avoir quelque chose de plus à serrer dans son étreinte, à enfouir au fond de sa poitrine creuse. Un frisson remonta son dos. Il s'éloigna de la jument pour ne pas l'éclabousser - se souvenant par la même occasion de ce qu'était la politesse - et s'ébroua avec toute la vigueur d'un jeune chiot.

Son regard retomba sur la rouquine.

" Je suppose que je ne vous offre pas la rencontre la plus agréable de votre vie, " admit-il plus qu'il ne demanda, l'ombre d'un sourire sur les lèvres. Il chercherait à ressentir de la culpabilité plus tard.

La renarde laissa sa phrase se terminer et elle n'ajouta rien, un peu vexée à vrai dire. Les piqûres la démangeaient, mais elle savait que si elle les grattait, ce serait encore pire. Alors elle resta silencieuse et elle observa le remous de l'eau en silence. Il n'avait pas vraiment été très gentil depuis le début de leur rencontre, et elle ne le serait pas non plus si il continuait à avoir cet étrange comportement.

Il se comportait rarement d'une manière qui attirait sur lui la dévotion et l'affection des autres, mais c'était bien la première fois qu'on lui faisait sentir à quel point son attitude était dérangeante. Ou alors était-il affecté par la nuit qui se faisait longue et piquante.

Il choisit de considérer qu'il s'agissait de la deuxième option et cligna des yeux. Sa migraine revenait au devant de la scène, brandissant sa petite massue et administrant des coups de plus en plus enthousiastes à son pauvre esprit de Polichinelle.

Shiro attendit que le regard de Maha se soit égaré loin de lui pour disparaître dans le silence qui suit toujours avec appétit la lâcheté, éclairé brièvement par un dernier rayon de Lune avant de se mêler, ombre noire parmi les autres, à la végétation griffue, décidant de quitter ce territoire sur le champ.

Il ne lui avait rien inspiré de beau.

Maha s'éloigna de son côté, les oreilles pointées en arrière, réfléchissant à cette rencontre.

Out ^^