Talk Fast

Talk Fast

Fifa s'était aventurée dans le Cratère Météorique à contre-coeur. Le territoire n'était pas le plus paisible d'Horse-Wild et avec son ventre qui s'arrondissait un peu plus chaque jour, elle ne souhaitait pas se mettre inutilement en danger. Mais à choisir entre le territoire qui partait en cendres et son voisin où régnaient en maître les singes, il lui semblait que traverser celui là de nuit était peut-être plus sûr. Les Braises étaient sûrement très belles de nuit cependant et parfois, son regard dérivait à l'est. Elle y emmènerait Kokoï, se promit-elle.

Réservé:

L'étalon appaloosa marchait dans le cratère, les oreilles couchées sur son encolure, et une haine indéfinissable dans le regard. On l'avait trompé encore une fois. Et ça jamais il ne le pardonnerait. Autant arrêter de souffrir, et donc ne plus s'attacher. C'était donc son nouveau plan de vie, et il l'appliquerait à la lettre à partir de maintenant. Un bruit suspect lui attira l'attention et il remarqua une jument crème ronde comme un ballon. La colère fit noircir encore plus ses yeux tandis qu'en silence, il tentait de s'éloigner d'elle.

Fifa remarqua une autre silhouette qui marchait entre les cratères tandis que sa propre course se rapprochait peu à peu de l'autre équidé. Elle n'essaya pas de l'éviter et se retrouva bientôt à quelques mètres de lui. Il ne semblait pas bavard aussi le laissa-t-elle tranquille, se contenant d'avancer à ses côtés, une distance respectable entre eux. Il boitait et elle était ralentie par le ventre qu'elle portait, mais la sensation d'être accompagnée l'encourageait à continuer.

Il se rendit vite compte que la jument avait fini par se rapprocher malgré tout ses efforts pour s'en éloigner. Résigné, il tourna la tête vers elle avant de s'arrêter, essayant d'avoir l'air le plus neutre possible. Autant ne pas l'effrayer maintenant qu'il était obligé de lui parler. Ses oreilles s'agitèrent légèrement et il inclina la tête silencieusement.

L'étalon s'arrêta finalement et Fifa fit de même, un léger sourire aux lèvres. Elle ne se sentait pas menacée bien qu'il ne semble pas bavard et elle lui rendit son hochement de tête avant de le saluer verbalement, détendue.

« Bonsoir, je vois que nous allons dans la même direction, peut-être pourrions nous faire le chemin ensemble et discuter pour nous tenir mutuellement éveillés. proposa-t-elle paisiblement. »

N'ayant pas forcément envie de parler, le jeune appaloosa hocha simplement la tête à la demande de la jument et il se mit au pas, toujours avec son éternel allure dansante, qui ne l'handicapait plus désormais. Les oreilles de l'étalon s'agitèrent légèrement tandis qu'il écoutait la crème marcher à ses côtés. Puis enfin, il se décida à parler.

- Je suis Gavroche, et vous ? lui dit-il d'une voix rauque et vibrante de colère, pas envers elle bien sûr.

Mais qui ne savait pas que Gavroche était tout le temps en colère et contre tout ?

Son acolyte accepta la proposition en silence et Fifa ne daigna pas tout de suite à parler. Ce n'était pas nécessaire et l'allure claudicante de l'étalon rompait déjà bien assez le calme. La nuit tout était tranquille et pourtant à chaque pas qu'il faisait, il boitait et soulevait un peu de poussière dans un bruit étouffé par le sol sec et aride du Cratère.

Finalement, l'inconnu prit la parole et la crème lui sourit pour l'encourager, peu impressionnée par la colère latente qui se dessinait dans sa voix rauque.

« Fifa. Vous avez passé trop de temps dans un Cratère ou votre voix est toujours comme ça ? »

Elle tâcha de garder un air neutre mais ne parvint pas à cacher la malice dans son sourire. Peut-être qu'il allait se dérider si elle le taquinait...

Les oreilles de l'étalon s'agitent doucement, et un léger sourire narquois vient prendre possession de ses lèvres cendrées. Il tourne la tête vers son interlocutrice, trouvant un refuge à sa colère grandissante ces jours-ci.

- Elle a toujours et elle sera toujours comme cela, lui apprit-il en haussant un sourcil inexistant.

Gavroche ne se vexa pas de sa boutade et Fifa hocha la tête d'un air approbateur. Voilà qui commençait bien. Elle rendit son sourire à l'appaloosa et surveilla brièvement les alentours, inquiète pour son ventre de plus en plus lourd à porter.

« Où allez vous comme ça ? Pour ma part je retourne sur les Terres Orphelines. »

Son regard tomba sur la marque blanche qui tranchait dans le champagne de sa robe mais elle se garda bien de lui faire une remarque, ne voulant pas l'importuner avec une question indiscrète.

- Moi aussi, lui dit-il simplement.

Il capta son regard sur ses cicatrices apparentes et dans un premier temps, il décida de passer outre. Mais très vite, il se dit qu'elle allait le lui demander et elle préférait la devancer.

- C'est mon père, ajouta-t-il avec une simplicité déconcertante.

Gavroche devança sa question qui ne venait pas et les yeux de Fifa se glacèrent d'effroi. Elle baissa légèrement la tête, lança un regard à son propre ventre qui abritait une vie en devenir.

« Encore un individu exemplaire, marmonna-t-elle finalement. »

La crème redressa la tête et contempla les étoiles avant que son regard ne revienne vers l'étalon, se voulant compréhensif. S'il n'avait pas eu une enfance facile, sa colère avait peut-être de bonnes raisons d'être. Il disait se diriger vers les Terres Orphelines et elle le considéra longuement quand de le questionner paisiblement.

« Et qu'avez vous à faire là-bas ? »

- Je n'aime pas en parler, lui dit-il avec une froideur non dissimulé.

Il ne parlait jamais de son passé et il y avait une bonne raison, toutes ses blessures étaient des à son géniteur et jamais il n'arriverait à le pardonner si il le revoyait un jour. Chassant ses pensées d'un coup de tête, il continua d'avancer en claudiquant, les oreilles bien couchées contre son encolure et ses crins argentés.

- Je rentre chez moi, lui dit-il en haussant un sourcil imaginaire. Il tourna la tête vers la demoiselle, avant de répéter ses paroles. Et vous, qu'avez-vous à faire là-bas ?

Gavroche n'était pas sociable et il ne s'intéressait à personne, c'est peut-être pour ça qu'il ne savait pas qu'il se tenait devant la dominante de sa maison. Il trébucha sur une pierre et il se tordit le pied déjà blessé. Il grimaça légèrement de colère mais il continua sa marche sans s'arrêter, boitant toujours un peu plus. Mais il s'en fichait, il se fichait de tout.

« Je ne vous l'ai pas demandé, répliqua promptement Fifa. »

Et c'était vrai, elle n'avait pas insisté, il avait abordé le sujet de lui-même et elle n'avait pas posé plus de questions pour autant. Gavroche tirait une tronche de trois kilomètres de long et elle résista à l'envie de le bousculer ou de le fouetter de sa queue pour lui donner une raison d'être grincheux. Elle n'était pas en état de supporter les conséquences s'il se vexait et s'en prenait à elle. Pourquoi le ferait-il, cependant, s'il faisait partie des Orphelines ? L'information lui tira un sourire tandis qu'elle redressait la tête et les oreilles.

« Je crois que le terme exact est "veiller sur le territoire" mais je vous avoue que je voulais surtout me reposer. J'aurais bien le temps de dominer après la mise bas. »

Elle laissa le silence peser sa révélation avant d'ajouter sur un ton léger.

« C'est toujours un plaisir de rencontrer un membre du troupeau. »

- Sauf que votre regard insistant en disait long sur vos intentions, lâcha-t-il en haussant un sourcil avant de soupire longuement.

Il en fut tout surpris quand elle lui avoua qu'elle dominait les Orphelines. Il secoua la tête tandis que ses crins argentés tombèrent en cascade sur son encolure champagne. Il leva la tête et puis finalement, il l'inclina respectueusement. Quelle gourde il avait en la traitant de la sorte ! Il regarda le sol tout en marchant, cherchant quoi dire.

- Je suis désolé, je ne pensais pas.. balbutia-t-il en ronflant légèrement des naseaux. Il continua de fixer le sol tout en marchant, se trouvant très irrespectueux envers un dominant pour une fois.

Fifa battit des cils, considéra un instant la réplique de Gavroche et lui répondit.

« Qu'est-ce que vous en savez ? On vient de se rencontrer, si ça se trouve j'ai ce genre de regard quand je décide de me la fermer. »

Un sourire amusé vint contrebalancer son langage et elle observa du coin de l'oeil la surprise s'installer sur son visage quand il découvrit à qui il avait affaire. La crème s'attendait presque à ce qu'il s'offusque et refuse son autorité avant même qu'elle n'essaye de l'imposer. Ce ne fut pas le cas et elle chassa ses excuses d'un geste pour s'ébrouer.

« Vous en faîtes pas. »

Gavroche s'ébroua à son tour, la gorge nouée. Il chercha à faire quelque chose pour se donner un peu de contenance et finalement, il éternua quand de la cendre mêlée à de la poussière rentra dans ses naseaux.

- Je.. souffla-t-il sans vraiment savoir quoi dire. Il ne savait pas comment se faire "pardonner", simplement parce qu'il ne savait pas comment faire.

L'étalon semblait dans tous ses états et elle rit de ses mésaventures avec la poussière.

« A vos souhaits ! »

Il n'osait même plus parler et Fifa rit un peu plus, enjouée tandis qu'au-dessus deux les étoiles déclinaient peu à peu.

« Allons bon, vous allez vous en remettre ? Au moins vous n'êtes plus de sale humeur, j'ai réussi mon pari. Vous allez attraper des rides avant l'âge à faire la tête comme ça. Si je peux vous être d'une quelconque assistance n'hésitez pas à m'en parler, ou même à un autre membre du troupeau. Je vous souhaite d'y faire de belles rencontres. »

- Euh oui, oui bien sûr, lui dit-il en ne savant même plus où se mettre.

Il baissa la tête et il accéléra légèrement, essayant de cacher sa honte grandissante tant bien que mal, ce qui ne semblait pas vraiment marcher.

- Merci, lui souffla-t-il en lui adressant un tout petit sourire, mais un sourire quand même.

Fifa hocha la tête sans rien ajouter et n'accéléra pas. Elle ne voulait pas se fatiguer quand le chemin était encore long aussi resta-t-elle à quelques pas de Gavroche et se contenta du silence. Ils auraient bien le temps de faire connaissance en route et au hasard des Terres Orphelines.

FIN.

» If walls could talk