Erewhon [L]

Sujet: Erewhon [L] Jeu 17 Jan 2019 - 9:23

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Erewhon

Les bisons cherchaient de nouveaux pâturages.

L'herbe de la grande plaine illuminée n'était pas insipide. Elle n'avait pas été saupoudrée du givre qui la rend cassante, brûlante dans l'estomac. La grande plaine illuminée ne perdait de toute façon jamais de son affabilité, que l'hiver la caresse à rebrousse-poils ou que le printemps l'effleure, semant la vie du bout des doigts.

Mais les bisons cherchaient de nouveaux pâturages.

S'il n'avait jamais été bien content de suivre un destin auquel il ne croyait pas, il était rassuré par l'idée de cheminer derrière ce hasard ruminant, qui le conduisait vers sa nourriture et tolérait une présence qui aurait, de toute façon, pu être écartée d'un pas menaçant. Les bisons étaient énormes, mais placides. Ils lui jetaient de temps à autre des regards humides de froid, mais dans lesquels ne se glissaient aucune réflexion. Puis ils se détournaient, n'emportant pas dans la contorsion de leurs vertèbres une quelconque question. Cela lui convenait. L'insensibilité passive de celui qui ne réfléchit pas. Il l'aurait presque enviée.

Il ne devina le nom de l'endroit où ils l'avaient mené qu'en voyant galoper éperdument deux inconnus dont il cru d'abord qu'ils se poursuivaient afin de se dévorer. La jument, rendue aveuglante par un soleil d'hiver clément, haletait déjà alors qu'elle slalomait entre les hautes herbes laissées intactes, tandis que son poursuivant l'effleurait presque de ses babines. De temps à autre, elle se retournait comme une abeille folâtre qui hésite à piquer, se laissait caressée par la brise qui vivait entre leurs deux corps. Puis elle était prise d'un éclat de rire qui retroussait sa gorge et elle s'envolait à nouveau loin de ce qui devait n'être, en réalité, que son compagnon, son nouvel amant, ou toute créature qu'elle aimait assez pour que la tentation d'être embrassée soit là, mais que le baiser doive attendre le printemps de l'amour.

Shiro détourna les yeux, désintéressé. Le paysage était au moins aussi idyllique que celui de la grande plaine illuminée et terriblement similaire, ce qui avait retardé sa compréhension des choses. Il sentait les prémisses de la gêne à l'idée d'être vu ici s'emparer de son esprit et laissa cette émotion lutter faiblement avec l'indifférence pour le trône.

Il n'était pas là pour chercher quelqu'un, ou pour chercher de nouveaux pâturages.

Il ne cherchait rien ni personne, décréta-t-il, tentant de briser les vitres léchées de lumière de la maison hantée, ces grands yeux recouverts de fard et faisant office de phares dans la nuit aux voyageurs indésirés. Bien qu'il ait vécu reclus tout l'automne, les rumeurs étaient quand même parvenues à lui, parce que l'on ne peut en réchapper qu'en se cloîtrant sur cette île.

On avait investi son palais pourrissant pour en faire une demeure habitable. On avait souillé son domaine. L'idée était là, mais il ne la digérait pas. Aussi restait-elle sur sa langue sans fondre. De temps à autre, il tentait de l'avaler, mais elle restait coincée au travers de sa gorge et il manquait de s'étouffer la nuit venue sur ce cauchemar éveillé.

Il dormait mal.

Une traînée de trèfles attira son attention. Shiro se baissa pour brouter le cortège, ignorant s'il ingérait de la bonne chance, et tenta d'ignorer les éclats de rire qui retentissaient non loin de là, poussés par les deux mêmes fantômes. L'étalon avait glissé dans l'herbe et sa compagne se moquait tendrement mais bruyamment de la situation.

Sujet: Re: Erewhon [L] Sam 26 Jan 2019 - 16:25

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

La voûte céleste était belle en cette journée ensoleillée. Pas de nuages en vue, pas de pluie drue qui menaçait de tomber à chaque instant. Rien, rien que le bleu du ciel. Rien que les rayons doux du soleil. Ce calme après la tempête lui avait manqué, cette douce chaleur qui réchauffait son corps et son coeur. Mune goûtait paisiblement à cette journée, debout au milieu d'une plaine qui sentait bon les fleurs. Elle était partie quelques temps, guérir ses blessures qui malgré tout avaient laissé des traces sur son corps. Son postérieur était encore engourdi, vêtu d'une cicatrice au dessus du boulet qui ne serait jamais vaincue.

Le calme l'envahi, l'habite. Elle laisse son imagination aller, ouvre les portes de son musée qu'elle avait longtemps, très longtemps, laissées fermées. Tout avait prit la poussière, la salle du passé manquait de lumière et elle raviva les flammes des chandeliers. Son désert, ses parents, ses amis. Elle dépoussiéra les souvenirs, redresse les cadres, rebâti les statues. Son chez elle lui manque un peu, elle ne s'y était jamais sentie seule ou délaissée, elle ne s'était jamais sentie de trop. Et elle n'y avait jamais blessé personne.

Son regard se tourne vers la salle du présent. Elle sait quelles statues y sont. Et elle redoute de les retrouver. Elle redoute le grand noir qui l'avait fait vibrer, et elle redoutait de recroiser le regard blessé du poète. Avait-elle réveillé le mauvais sort en quittant son désert? N'était-elle finalement, qu'une nouvelle forme du chat noir? Peut-être qu'elle ne ferait que blesser quiconque elle approchait. Toute sa confiance s'était effritée depuis Figaro, depuis l'effondrement de la chapelle. Elle en gardait une douleur sourde dans la jambe. La lune s'était bien moqué d'elle ce jour là.

Son regard fatigué se tourne vers un troupeau de bêtes immenses qui broutaient non loin. Elle ne les connaissait pas, elle n'en savait rien. Tout ce qu'elle pouvait voir c'était qu'elles ne semblaient pas dérangées par une silhouette équine qui les suivait, qu'elle apercevait au loin par instants. Elle n'avait pas encore le courage ou la curiosité assez grande pour approcher. Il lui fallait d'abord trouver le courage d'entrer dans la pièce de son musée de la mémoire qu'elle pensait hantée.

Un long soupir traverse ses naseaux et elle baisse la tête vers l'herbe, laissant les brins chatouiller son nez.

La porte s'ouvre, grinçante. Elle tire les rideaux de la fenêtre qui illumine faiblement la statue de Shiro. Celle de Figaro s'est effondré sous la toiture, recouverte d'autant de pierres que de remords. Elle n'a pas le courage de la reconstruire. Elle s'en veut terriblement sans même n'avoir rien fait. Elle s'en veut d'avoir blesser sans avoir levé la main. Et elle ne comprend pas encore, des semaines voir des mois plus tard, la signification des paroles du poète presque omniscient.

Elle s'attèle faiblement à nettoyer les décombres autour des statues, dépoussière les souvenirs de Shiro. Un sourire nostalgique étire ses lèvres. Qu'était-il devenu? Subissait-il lui aussi le coup du mauvais sort, après l'avoir rencontrée? Elle espérait que non. Elle ne voulait pas être un messager de mauvaise augure. Elle avait jusqu'alors toujours voulu être une rencontre positive. Toujours...

Elle avait échoué.

Une larme roula sur la joue de la baie, amère, douloureuse. Sa robe n'était plus luisante, et elle évitait de voir la lune depuis la catastrophe. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, habitée de doute, de peur.

Son coeur se serra en entendant des rires heureux. Son regard suivit sans trop les voir le couple qui batifolait. Un couple. Le bonheur. Il lui sembla soudain que toute la tristesse de Figaro l'avait noyée, qu'il avait déteint sa couleur sur elle, et qu'elle avait changé. A cette pensée, un sourire triste habilla son visage. Elle était résignée, comme le poète. Résignée à un destin qu'elle pensait figé. Sa lune, sa belle lune, son astre fétiche. Elle ne l'avait plus vue depuis longtemps. Peut être était-ce pour cela? Elle n'en sut rien.

Un soupir plus tard, elle se redresse et s'ébroue. Suffit de s'apitoyer, ce n'était pas elle. Depuis quand avait-elle cessé d'observer le monde avec curiosité? Depuis quand avait-elle cessé de collectionner les visages, les expériences? Il était temps de se reprendre.

Elle prit une grande inspiration et prit un pas décidé vers le troupeau de grande bêtes. Leur regard indifférent à son approche l'intrigua, elle les observa, en renifla un l'instant avant qu'il ne s'éloigne d'elle, probablement outré par la proximité. Et alors qu'elle tourne son regard, il accroche un grand noir. La crinière légèrement ondulée. Son coeur rate un battement alors que la statue, dans son musée, semble s'animer.

Immobile, surprise, elle ne sait que faire. Elle n'ose presque pas respirer.

Shiro.

Sujet: Re: Erewhon [L] Sam 26 Jan 2019 - 18:05

Il était curieux qu'un enfant, qui avait un frère de son âge, n'ait jamais chahuté avec quelqu'un d'autre.

Poulain, il avait été le capitaine d'une coque de noix sur laquelle on se livrait à la flibuste ; il avait mené l'assaut contre des armées de sauterelles, chèrement conquis des fourmilières effarées. Tout cela, il l'avait fait seul, parce que Kuro avait toujours voulu vivre dans l'ombre de leur mère - comme si elle allait le rendre noir - tandis qu'animé par un esprit d'aventure, mais surtout assoiffé de reconnaissance, il se jetait sur les mille péripéties de l'enfance, les croquant en ne réalisant leur fadeur qu'après les avoir avalées.

Aujourd'hui elles n'avaient plus aucun goût et il ne savait pas s'il avait jamais vraiment été ce fantôme qui errait de temps à autre dans ses souvenirs, un esprit frappeur turbulent - comme ceux que fantasment les visiteurs de la maison hantée.

La cage d'escalier dans laquelle la séparation de ses parents avait été enfermée possédait encore un goût de sel, de poussière et d'oubli. La saveur d'un moment rangé au fin fond d'un placard, dont on ose l'extirper par peur qu'il ne coupe. Mais même cet événement là s'était affadi avec le temps. Il avait toujours su panser ses blessures en les noyant dans la torpeur de l'ennui, comme l'on étourdit un papillon dans le formol avant de le punaiser contre un mur. Mais si l'ennui voulait bien le suivre de temps à autre dans son errance actuelle, il s'écartait trop souvent d'un bond, surpris par la vigilance que requiert une vie seul, sans attache, au milieu d'un monde qui montre, à la moindre étincelle, le reflet de ses dents. Et Shiro n'aimait pas mordre.

Les rires amoureux tarirent, remplacés par un silence bourdonnant. Il les imagina se perdre dans la contemplation que l'on fait parfois de l'autre, se demandant bien quel angle de ce Picasso l'on aime tant, pourquoi l'ombre sous la paupière est si charmante, pourquoi le cerne couve l'amour au lieu de faire peser la longueur de la nuit.

Il avala. Les trèfles avaient un goût, eux. Mais il l'oubliait bien vite.

Shiro fit quelques pas pour rattraper les bisons qui, fort heureusement, n'étaient pas particulièrement véloces. Lorsqu'ils étaient pris par la peur, il leur arrivait cependant de se lancer dans des courses folles dont il pouvait soutenir le rythme, mais dont les soubresauts et les écarts l'effrayaient au point de le pousser à prendre ses distances, abandonnant la masse noire pour la retrouver des heures plus tard apaisée, complètement indifférente à la frayeur qui l'avait saisie.

Une silhouette mince se tenait non loin de là - ce n'était pas un bison, mais cela il ne le réalisa pas tout de suite, se contentant de faire voguer son regard dessus avant de le laisser se fixer sur ses propres pensées. Lorsqu'il eut cessé de mirer son for intérieur avec la complaisance teintée de désespoir qui caractérise les âmes qui se veulent torturées, il put enfin battre des cils et vraiment voir ce qui se tenait là.

Les oreilles l'interpellèrent en premier. Il leur accorda le temps infini qui passe dans une seconde, tandis que les souvenirs l'emplissaient d'un seul coup, avec tant de force qu'il crut étouffer dans une tombe, sur une pelletée de terre, la bouche entrouverte sur une exhalation de l'air froid de la banquise.

C'était Mune.

Ses propres oreilles tournicotèrent sans qu'il ne sache vraiment ce qu'elles voulaient dire. Shiro resta là, à la contempler - les souvenirs du tsunami revenaient à présent, déplaisants, et puis celui des insinuations de No. Thirteen aussi, âcre mais moins catastrophique - sans ciller comme un chat dans la nuit.

Que faisait-elle là ?

Cette question le remua enfin. Il tourna la tête pour étudier les alentours - l'herbe encore belle malgré l'hiver, les bisons qui paissaient près de lui, quelques arbres et le silence des amants - mais ne trouva personne d'autre. Cherchait-elle quelqu'un ?

Pourquoi le coin des tourterelles ?

Il ne tria pas ses pensées. Comme d'habitude.

" Ça va ? "

Il aurait peut-être du.

Sujet: Re: Erewhon [L] Sam 26 Jan 2019 - 19:05

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Les bisons avaient soudain disparu. Disparue la curiosité, disparue la tristesse. Rien, plus rien ne semblait exister autour d'elle. Comme si elle était enfermée dans sa propre tête, comme si son esprit lui jouait des tours. Elle venait de retourner dans la pièce où les souvenirs de Shiro étaient gravés, gardés précieusement, jalousement, loin des vices d'un mauvais sort. Et le voilà maintenant en face d'elle. Son esprit lui jouait-il des tours? Etait-ce bien lui? Aucun doute là dessus. Elle l'avait tellement observé, par moment de si près qu'elle peut encore imaginer son odeur. Un sourire nostalgique étire ses lèvres. Si c'est un tour de son esprit, il tombait mal.

Elle l'observe un long moment sans pouvoir vraiment bouger, comme un mirage dans le désert. Et s'il disparaissait quand elle bougeait? Et s'il s'enfuyait si elle cessait de poser son regard sur lui? Et si... Et si. Les paroles de Figaro lui revinrent violemment. Tu es le phare dans son tourment, va donc le rejoindre et le lui dire maintenant que tes yeux sont ouverts et ta langue déliée. Qu'avait-il voulu dire? Comment aurait-il pu savoir les questions qui agitaient l'esprit de la marwari? Elle n'en savait rien. Elle ne voulait pas le savoir. Son regard vacille un instant, elle ferme les yeux quelques secondes. Et s'il était trop tard? Trop tard pour lui parler? Après le tsunami, après sa disparition... Elle ne méritait certainement pas de lui parler.

Mune ne se l'admettrait pas, mais à la vallée des poulains, elle aurait espéré le croiser. Elle ne l'y a pas vu, en revanche elle avait rencontré un marwari bien différent d'elle, et un crème qu'elle ne comprit pas. En réalité, elle commençait à douter d'elle-même, de sa capacité à comprendre. Les autres, et elle-même.

Un instant plus tard elle ouvre les yeux, et il l'a vue. Les oreilles du plus foncé bougent, il semble pensif. Et il parle. Sa voix transperce le silence de coton de l'endroit. Elle ne sait trop où elle est et encore moins la soit-disant utilité du lieu. Tout ce qu'elle sait, c'est que Shiro était bel et bien là. Pas un fantôme, pas une vision de son esprit. Il était là. Mais comment allait-elle? Que lui répondre? Elle se sentait coupable. Coupable. Mais de quoi? de ne pas l'avoir cherché? De ne pas l'avoir revu? De ne pas lui avoir avoué qu'enfin, elle comprenait ce qui l'agitait elle, à l'intérieur?

Ou coupable, peut être, de se demander si elle ne se trompait pas.

Je... Je suis perdue. Pour être tout à fait honnête... un sourire force le passage sur ses lèvres. Il n'a pas vraiment changé, elle chérit toujours autant les souvenirs qu'elle a de lui. Et... toi?

Que lui dire? Que faire? Comment? Son coeur est serré, elle ne se sent plus prête à rien, plus bonne à rien. Les mots sont difficiles à trouver, elle n'avait jamais vraiment beaucoup parlé. Et de plus en plus, elle se sentait faible, incapable de faire face à ses propres sentiments. Et si elle se trompait? L'erreur la terrifiait. Depuis quand avait-elle cherché à ne pas s'impliquer?

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 27 Jan 2019 - 12:08

La voulait-il là, ou souhaitait-il la répudier aux confins de la terre ? Lorsque la grande vague d'Hokusai avait manqué de les engloutir, c'était le second instinct qui avait gagné contre son adversaire, lui avait intimé d'ignorer ce qui était trop beau pour être vrai, ce qui devait forcément receler, dans les tréfonds, quelque chose d'anormal pour lui.

Il la connaissait à peine et pourtant elle l'observait avec une intensité qu'il n'avait jamais connu. Scruté à la loupe, Shiro est un de ces insectes qui fait le mort au lieu de gigoter. Il s'immobilise et rend le regard à son tour, sans oser vraiment le laisser courir sur son corps par peur d'y réveiller encore les restes de souvenir qui s'y cachent. La nuit passée à ses côtés frappe déjà contre ses paupières avec insistance, réclamant le tribut qu'il doit à la Lune et exigeant des explications de la part de l'aube, cette sempiternelle rivalité amoureuse du soir et du matin.

L'avait-il déjà tutoyée ? Ce souvenir là était flou et il ne savait qu'en faire, tout comme il ne savait que faire de l'espace les séparant, un gouffre et un fil. D'un pas il avait peur d'être englouti, d'un autre il craignait de devenir funambule, coupant ses pieds sur le barbelé d'une ligne droite qu'il avait contribué à tendre. Quelque chose lui intimait de faire le chemin qui le rapprocherait d'elle, ne serait-ce que pour mieux capter son attention : c'est difficile, de vouloir rejeter quelqu'un, lorsqu'il vous accorde son être pour le focaliser sur vous.

Il retarda l'échéance pour adresser un dernier coup d’œil aux environs. Il entendit le couple qui remuait non loin de là. Leur conversation était bizarrement claire, comme s'ils avaient été juste à côté d'eux ou même parmi eux, indifférents à leur présence.

Je crois qu'il y a quelqu'un.
Oui, j'ai entendu des voix. Tu veux partir ?
Non... Je suis bien là... Avec toi... Tant pis pour eux. Moi, je suis amoureuse, alors j'ai le droit d'être là.

La voix de Mune tranchait et posait un problème. Il ne l'avait pas oubliée. Shiro laissa son corps s'animer alors qu'il faisait quelques pas pour se rapprocher d'elle, accordant à son esprit le soin de démêler ses propos. Il se demanda si elle a fait d'autres rencontres, depuis la leur, et si elle avait appris à connaître, si ce n'est à aimer, les terres qu'elle foulait.

" C'est facile de se perdre, sur Horse-Wild, " dit-il finalement, " Il y a très peu de chemins tracés. "

Et comme il était plus facile de rester sur un point fixe, un point fixe qui avait été dénaturé, que l'on avait vidé de son essence comme le vampire de la modernité abat le passé pour dresser l'avenir et la haine, la haine et le désarroi couraient dans ses veines à l'idée de voir mourir son paradigme...

Ses lèvres s'entrouvrirent pour répondre à la question qu'elle lui avait retourné, mais seul son souffle chaud frappa ses lèvres et il détourna le regard, la mine chiffonnée sur le combat qui se livrait dans son esprit. Bientôt, l'étoffe se teinterait du sang du vaincu.

" J'ai des soucis, " lâcha-t-il finalement avec difficulté, sans savoir ce qu'il voulait vraiment admettre, " Comme d'habitude. "

Il préféra dévier.

" Nous sommes au coin des tourterelles. Tu y es déjà venue ? "

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 27 Jan 2019 - 13:19

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Son regard scrutant la dérange soudain. Froide observatrice, elle se rend compte du nombre de fois où elle a certainement dérangé, du nombre de fois où elle n'a été qu'une statue au loin, avec en guise d'yeux des caméras rivées sur les sujets qu'elle regardait. Sa mémoire était une bibliothèque de visages et de gens qui n'avaient pas demandé à être là, et elle n'avait jamais songé qu'elle pourrait dérangé. Toujours cette impression d'être là sans vraiment l'être, assez tranquille et muette pour disparaître. Elle y avait cru. Et si, finalement, elle n'avait été que le Big Brother de son monde? Et si, comme la Lune, elle semblait être un être intangible, qui fuit dès qu'on tend la main vers lui?

Shiro se laisse observer, il ne semble pas oser bouger, comme un animal surpris par les phares de la voiture, à minuit, sur les routes de campagne. Mais était-elle le camion, la voiture, qui allait bientôt mettre fin à sa vie? Cette pensée fendit son coeur.

Peut être était-elle, finalement, un oiseau de mauvaise augure.

Les amoureux suintant de bonheur et d'allégresse parlèrent. Leurs paroles la dégoutèrent presque, laissant sur sa langue un goût amère. Jalousie, solitude. Cette impression de ne jamais mériter ce qu'eux ont construit. La rencontre avec Figaro avait fait son chemin dans son esprit. Le poète, sombre âme errant sur les rives où il avait fait naufrage, avait emporté avec lui une partie de Mune. Elle avait laissé sa confiance sous les décombres de la chapelle.

Tant pis pour eux. Moi, je suis amoureuse, alors j'ai le droit d'être là. Les mots la frappèrent soudain, avec une violence qu'elle ne pensait pas exister. Cet endroit était donc un repère amoureux. Et si Shiro était venu chercher sa moitié, ici? Et si elle était de trop? Et si tout ce qu'elle avait voulu lui dire ne serait jamais retourné? Tant pis pour elle.

Fort heureusement, le plus grand se mit à parler, concentrant l'esprit de la baie sur lui. Les mots qu'il prononce lui fait chaud au coeur comme ils la glacent. Elle n'était peut être pas la seule perdue, sur Horse Wild. Mais elle était surtout perdu en elle-même. Comment lui expliquer? Tourner autour du pot? Être aussi directe qu'elle le pouvait? Et si derrière les bisons apparaissait l'équidé que Shiro cherchait ici? De quoi aurait-elle l'air, la belle Lune?

Juste un cratère béant à la place du coeur, certainement.

Ce n'est pas mon corps qui est perdu, mais plutôt... Mon coeur et mon esprit.

Avait-elle vraiment envie de tout risquer? Risquer ces beaux souvenirs, les faner? Valait-ce le coup? Elle avait tellement à perdre, mais tellement plus à gagner. Son regard se fit sombre et fuyant, elle avait peur. Jamais elle n'avait été si indécise, si inquiète. Shiro n'en menait pas plus large. Un combat intérieur se voyait sur son visage, et ceci frappa soudain la marwari. Son regard se reposa sur ces traits qu'elle caressa des yeux. Elle voulait le voir sourire. Même si ce n'était pas grâce à elle. Elle voulait le voir heureux, par tous les moyens possibles. Juste accrocher ce visage en tableau dans son musée, juste un dernier rayon de soleil avant l'obscurité.

Et si elle finissait par tout perdre?

Les paroles du mâle la déchirent. Des problème, comme toujours. Elle meurt d'envie de lui demander comment elle pouvait l'aider, meurt d'envie de se battre pour lui. Elle esquisse un pas vers lui mais s'arrête une fois le sabot au sol. Elle a toujours peur de voir apparaître la personne que le mâle attend. Heureusement, peut être, Shiro lui présente le lieu. Elle n'y était jamais venue.

Non. Jamais. J'en déduis que c'est le coin des amoureux... la question est facile, elle flotte dans son esprit mais elle n'ose pas la poser. Mais sa bouche parle à sa place. Autant être fixée. Attends-tu quelqu'un? Je m'en irai si c'est le cas.

Un sourire faible mais réel étire ses lèvres. Cette idée la déchire mais elle est honnête. Elle avait fait trop de mal sans le vouloir, sans le savoir. Il était temps pour elle de penser aux autres. Son musée était une construction égoïste, presque malsaine, comme un cabinet de curiosités qu'elle gardait jalousement pour elle. Elle ne bouge pas, figée telle une statue de pierre, dans son mouvement vers lui.

Je ne voudrais pas déranger.

Sujet: Re: Erewhon [L] Lun 28 Jan 2019 - 19:53

Il y avait mille façons d'égarer un coeur et un esprit. Et pourtant, c'était toujours vers l'évidence que l'on se tournait, comme assoiffé par l'idée de voir naître l'amour chez l'autre, chez l'inconnu comme chez l'intime, avide d'assister à un spectacle dont les actes et les scènes se démultiplient pour former parfois les mêmes trames, parfois les écarts étranges, les hoquets d'un metteur en scène contemporain. Shiro avait une vision de l'amour brouillée et dubitative. Il se serait presque complu dans le fait de ne pas l'avoir connu, tout comme il aimait se prélasser dans tous ses retards, antithèse d'un lapin blanc fonçant tête baissée dans le terrier.

Et lui n'avait jamais eu d'Alice à ses trousses.

Ses parents s'étaient séparés. Pouvait-il poser sur cette déchirure sa propre paume égratignée ? Fallait-il que tout soit de la faute du géniteur et de la génitrice, ou la responsabilité se tapissait-elle dans l'ombre de son esprit, araignée perdue dans les tréfonds de sa toile ? Au fond de lui, il savait qu'il se blâmait lui-même plus qu'il ne blâmait Sorrow et Querouane ; s'il n'avait pas aimé jusque là, s'il n'avait pas compris l'amour, s'il en avait même eu - et cela, il ne l'avouerait pas, pas même à lui-même, pas plus d'un instant - peur, c'était parce qu'il avait lui-même bâti les remparts qui le séparaient du reste du monde. Et du haut de son fief décrépit, tous les refus de grandir semblaient grandioses, parce que lorsque on s'enferme dans une geôle pleine de crasse, on finit par prendre les rayons de soleil entre les barreaux pour de l'or.

Comment Mune avait-elle perdu cœur et esprit ? En être à l'origine eût été à la fois terrifiant et exaltant. Il sentait déjà son esprit tournoyer, comme ivre, confronté à cette éventualité. Mais la façade restait impassible comme le troupeau de bisons qui broutait, broutait, broutait.

Un aboiement de rire s'arracha à ses lèvres avec une soudaineté qui trahissait l'inconscience de la chose. Les yeux de Shiro dansèrent entre les brins d'herbe et le ciel alors que cet éclat de fausse joie agonisait et qu'il rétorquait, moqueur à sa propre encontre :

" Attendre quelqu'un ? Moi ? "

Le calme retomba. Comme ses yeux sur Mune.

" Non, je n'attendais personne. "

Elle souriait. Il pouvait placarder n'importe quelle émotion au spasme de ces muscles. Joie. Attente. Déception. Politesse. Plaisir. Douleur. Désir. Dégoût. Il ne la connaissait pas assez pour savoir ce qui se cachait dans les replis de sa bouche.

" Alors, " lâcha-t-il, bravache, " Où les as-tu perdus ? On pourrait les retrouver. "

Il savait où étaient les siens, profondément fichés entre les planches d'une maison noire, noire, noire, sombre comme le creux de la nuit...

Mais qu'est ce qu'une nuit, sans lune ?

Sujet: Re: Erewhon [L] Mar 29 Jan 2019 - 2:30

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

C'était douloureux. L'attente était douloureuse, difficile, comme un million de lames plantées dans son coeur. Et si, et si... Et si. Les questions tournaient dans sa tête, tournaient tournaient comme une nuée d'oiseaux chassés par le faucon. Et si finalement il ne voulait pas d'elle. Et si finalement, elle aurait mieux fait de se taire. Certes, elle ne se limitait pas à cette sensation, ce sentiment qui grandissait pour l'étalon. Mais à cet instant précis, où la peur est à son paroxysme, où volent dans son esprit les fantômes de scenarios d'horreur qu'elle se crée, elle est persuadée que selon sa réponse, sa vie pourrait s'arrêter.

Juste une seconde, un souffle coupé. Un arrêt temporaire, puis tout reprendrait son court. L'oiseau continuer de voler même après avoir perdu une plume, et la Nature et le Temps reprennent leurs droits. La douleur serait réelle, mais pas éternelle. Simplement.

Un soupir intérieur de soulagement plus tard, et la jument retrouve son calme. Ce ne serait pas grave longtemps. On guérit de presque tout, l'esprit et le corps étaient de belles mécaniques... L'image du poète lui revint en mémoire. Tout le monde ne guérit peut être pas de tout, finalement.

Le rire de Shiro la ramena à elle. Elle semblait avoir dit une blague, ou une idiotie si grosse que l'étalon qui lui semblait presque impassible s'était mit à rire. Pas un rire de joie, pas un éclat de bonheur. Juste un rire dont l'amertume pouvait presque se goûter sur la langue de la marwari. Un rire moqueur. Se moquait-il d'elle? Il en aurait bien le droit, que pourrait-elle y faire? De toute façon, elle-même n'était pas certaine de s'engager dans la bonne voie. Et si elle se méprenait? Et si, finalement, elle ne ressentait pas ce qu'elle pensait ressentir? Quelle ironie ce serait. L'observatrice incapable de se comprendre elle-même.

Il semblerait finalement, que le mâle n'attendait personne. Peut être mené ici par erreur, comme la jument. Son regard posé sur elle la ravissait autant qu'il l'angoissait. Que pensait-il? A quoi pensait-il? Elle aurait aimé le savoir. Lire en lui comme il lisait peut être en elle. Il lui semblait que tout était visible si facilement sur son visage, toute la peur, toute l'incompréhension qu'elle ressentait. Elle avait l'impression d'agiter des bannières fluorescentes pour les faire connaître.

Presque chevaleresque, il lui offre de chercher coeur et esprit dans les tréfonds d'un château bâti par on-ne-sait quel roi démoniaque. Elle sourit à cette idée, touchée du geste, de la proposition. Touchée, peut être un peu trop, par ces paroles d'un chevalier en armure noire. Que répondre? Que faire? Le grand bain était là, réclamait qu'elle y plonge. Et pourtant la peur tiraille toujours, avant le grand saut. La peur de ne pas pouvoir remonter à la surface, de se noyer dans les abysses. La peur de s'écraser au fond, le volume d'eau trop peur profond. Se briser les dents. Briser ses espoirs. Il fallait sauter.

Quelque part dans une grotte glacée, entre les crins d'un mâle noir comme la nuit.

Elle ajouta mentalement je crois. Mais il lui semblait soudain qu'elle en était certaine. Elle n'avait jamais été aussi remuée par une rencontre que par celle-ci, jamais été aussi marquée, que par lui. Que pouvait-ce être d'autre? Une fascination? Peut être. Mais elle croyait en bien plus que cela. Elle avait sauté. Plongé dans la noirceur abyssale. Elle attendait maintenant de savoir si elle s'y laissait couler, ou si elle remontait grâce à une bouée. Prendre une goulée d'air frais, pur. Respirer. Enfin libérée.

ÂGE : 18 PUF : HW MESSAGES : 183 SEXE DU CHEVAL : //

CUPIDON

Saint-Valentin

Votre coeur se serre et vous fermez les yeux sous le coup de la douleur. Quand vous les rouvrez, quelque chose a changé... Serait-ce... votre corps ? Non ! Justement, ce n'est pas le vôtre. Vous ne savez pas comment, ni pourquoi, mais vous vous retrouvez soudain dans le corps de votre interlocuteur. Que faîtes vous ?

Shiro prend l'apparence de Kuro dans ce RP.

Qu'est-ce qu'une nuit sans Lune, en effet. Il ne l'avait pas vue, l'astre blanc, lorsqu'ils avaient dormi ensemble. La Lune. Il se souvenait des sensations. De la nouveauté de la chose.

L'amour était-il quelque chose qu'il désirait ?

S'enfuir le matin venu, emportant son nom dans sa bouche et son idée dans sa tête, cela constituait-il de la crainte, ou de l'affection ? Qu'est-ce que c'était vraiment, d'ailleurs, l'amour ? De la douleur, ou du plaisir ? Ce n'est pas comme s'il l'avait jamais vraiment compris. Il aimait rationaliser des choses et en exalter d'autres ; les ruines macabres pouvaient se gorger de poésie jusqu'à ce que leurs rideaux effilochés ne deviennent les fantômes d'une enfance passée dans un palais croupissant, reflet de son for intérieur. Mais l'amour ? Il n'avait jamais recouvert l'amour des mille perles qui sont censées vivre dans les yeux de l'aimé. L'amour, il l'avait toujours observé à la dérobée comme le fait un enfant confiné à l'arrière d'une voiture, restreint par sa ceinture de sécurité, qui fixe avec des yeux brûlants la dispute parentale, le geste énervé, le soudain virage d'un homme ivre de rage qui menace d'emporter amour, famille et futur dans le canal que l'on traverse, ce gigantesque canal dont l'eau brille, brille, brille comme mille larmes et mille perles dans les yeux de la mère.

Il n'avait pas vu sa mère depuis longtemps.

Mune parla. C'était facile à comprendre, difficile à assimiler. Shiro la regarda. Noir comme la nuit. Grotte glacée. C'était emprunt d'une sorte de poésie qui ne lui correspondait pas. Il ne méritait pas d'être un objet de désir et il ne méritait pas qu'on l'aime. Surtout, il ne méritait pas son amour à elle, si c'était bien là ce qu'elle avouait.

Il baissa les yeux sur sa peau et la découvrit blanche.

Lé van s'ouvrir. L'eau rentra dans son esprit, glacée, balaya tout sur son passage. Il y avait un autre enfant, derrière lui, dans la voiture... Un enfant à la peau différente...

" Qu'est-ce qui se passe ? " demanda-t-il, du ton plat et encore dénué de panique de la véritable surprise qui tord les tripes, vide l'esprit de toute idée cohérente. Sa gorge se noua aussitôt, et il répéta, la voix cette fois piquée par la peur : " Qu'est-ce qui m'est arrivé ? "

Se ressaisir. Réfléchir. Etait-ce momentané ? Ressemblait-il à son frère, ou était-il juste devenu blanc ? Shiro riva ses yeux sur Mune pour la fixer et ne pas explorer plus son corps.

" Ne me laisse pas seul ! " glapit-il tout à coup. Il lui semblait qu'il s'effondrerait sans sa présence pour l'ancrer sur autre chose que sa nouvelle physionomie.

hors-rp:

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 15:03

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Le temps semble interminable. Etiré par la peur, déformé par le doute. Il lui semble qu'elle se noie, dans les profondeurs abyssales. Elle ne pourrait même pas le voir, noir comme la nuit, venir à son secours.. Ou pas. Son coeur est serré, il lui semble soudain que c'était faux, qu'on ne pouvait pas guérir de tout. Il lui semblait que les fissures qui se dessinaient ne seraient jamais réparée, seulement rafistolées, maigre compensation d'une douleur qui sera éternelle. Le rejet, le silence. Ce silence éternel, infini, un silence qu'elle espère être brisé. Vite. Vite.

Elle déglutit, comme si elle avalait l'eau dans sa gorge, qui menace de noyer ses poumons.

Sa gorge est serrée, son ventre noué. Elle a mal, physiquement, d'une douleur émotionnelle. Elle doutait soudain de vouloir de cet amour. Et si on revenait en arrière? Et si...

Elle ouvre les yeux, redresse la tête qu'elle a baissée. Et surprise, d'étalon noir aucune trace, mais un cheval blanc qu'elle ne connait pas. Shiro s'était-il enfuit? La laissait-il ici, sans réponse, avec juste le silence comme messager à interpréter? Ses yeux se brouillèrent de larmes. Elle n'avait rien entendu. Il ne pouvait être parti sans bruit, et ce cheval arrivé par les airs. C'était impossible. Alors quoi? Encore un tour de cet île maudite? Elle n'aurait peut être jamais du partir de son désert. Même les mirages la brisaient moins.

L'étalon blanc était aussi perdu qu'elle, même sa voix lui était inconnue bien que familière. Elle ne savait pas, que Shiro avait un jumeau. Et elle n'avait jamais croisé Kuro. Comment pourrait-elle imaginer qu'un dieu malicieux échangeait les corps? C'en était beaucoup, beaucoup trop pour elle. Pour son coeur. Pour son esprit. Il lui semblait qu'elle virait folle. Que l'amour la rendait folle, comme un poison insidieux qui la retournait sur tous les plans.

L'appel à l'aide de l'étalon la ramena à la surface. Elle se remit à respirer un instant alors qu'une larme dévalait sa joue. Comment l'aider? Quel était son problème? Qui était-il? Elle était perdue.

Qui êtes-vous? Où est Shiro? Quel est le problème? Je...

Sa voix se brisa et elle déglutit pour essayer de ravaler ses larmes. Il lui semblait que les miettes tombaient de son coeur. Comment allait-elle faire?

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 15:32

L'égoïsme l'avait fait vivre. C'était en faisant abstraction des autres qu'il avait pu grandir, plante malade dans un coin sans lumière, et se façonner cette image qui, si elle aurait repoussé plus d'un, attirait sa complaisance languissante, celle d'un malade qui, à défaut d'espérer la santé, se plaît face à ses afflictions imaginaires. A l'instant, seule sa personne vivait dans son esprit. Il se détacha de celle de Mune, malgré son exclamation, et se retourna dans tous les sens. En soulevant son sabot de terre, il trouva sa jambe plus lourde, ses fanons plus fournis ; et l'inspection qu'il poursuivit lui révéla un corps musculeux, immaculé, qui ne pouvait être le sien et qu'il ne reconnaissait pourtant pas.

Seul un frison blanc existait sur cette île, et il ne l'avait pas vu depuis des années.

Un mélange bouillonnant de peur, de hargne et de panique lui monta au nez. Il pinça violemment la peau qu'il put atteindre de ses nouvelles dents, comme pour vérifier qu'il pouvait bien sentir la douleur dans ce nouveau corps ; elle monta, piquante et habituelle, mais il ne lâcha prise que lorsqu'il eut sentit perler le sang de la plaie, envahissant sa bouche. Il n'avait que faire d'un corps qui ne lui appartenait pas.

Son instinct lui demandait de partir au galop. Son esprit, confus, faisait une revue des théories les plus abracadabrantesques, et s'attarda, dans une tourbillon d'autres pensées, sur celle qu'il aurait pu maintenant rentrer sur les terres Orphelines et en devenir le dominant. Cette idée lâcha prise en même temps que ses dents sur la peau. Il chancela et la laissa s'imbiber d'un liquide aussi rouge que celui qu'il connaissait, mais bien plus éclatant sur une chair aussi pâle.

Ses yeux tentèrent de se fixer sur autre chose et trouvèrent leur ancrage dans la mer minuscule qui venait de glisser de l'oeil de Mune. Certes, l'égoïsme l'avait fait vivre ; mais il préféra tout à coup se préoccuper d'elle, parce que son propre être lui faisait horreur. Il fit un large pas en avant, la bouche ouverte comme pour crier, mais se découvrit sans mots. Mune, elle, parvenait à articuler quelques pensées, et enfin il s'exclama, panique trépidant sur la langue :

" C'est moi ! Je suis là ! ", des larmes furieuses lui piquèrent les yeux et roulèrent à leur tour, " C'est cette maudite île qui... "

Et il tonna contre le sol, surpris de le sentir trembler sous son poids. Quelques bisons relevèrent la tête et le dévisagèrent pensivement, mâchonnant un peu d'herbe grasse. Pour une fois, leur bête indifférence l'exaspéra.

" Mune, " souffla-t-il en se noyant à moitié sur l'air qu'il ingérait, " Je ne sais pas ce qui se passe, ni pourquoi cela m'arrive... Il semblerait que je me sois transformé et que j'ai pris le corps de mon frère... "

D'autres larmes furieuses lui brûlèrent les joues.

" N'ai pas peur ! " poursuivit-il, faisant de nouveau quelques pas vers elle - l'absence de sa véritable enveloppe charnelle le rendait manifestement plus audacieux - : " Par pitié, ne pleure pas. "

Ces quelques mots dits, il en revint enfin à lui-même pour mieux macérer dans son désespoir. La douleur lancinante qu'il ressentait le poussa à jeter un dernier regard sur son corps.

" A quoi ressemble ma figure ? " murmura-t-il avec angoisse.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 16:00

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Impossible, impossible pour elle de comprendre. De voir, d'entendre. Comment faire? Le mâle tourna en rond, comme une bête piégée dans une cage que lui seul pouvait voir. Piégé dans son propre corps, paniqué sous le regard de la jument. Quelque part dans son musée des souvenirs, la jument essayait de garder sa belle statue de Shiro intacte. Et si tout ceci brisait ses souvenirs? Et si tout ceci la blessait à jamais? Impossible, impossible...

Elle revint à elle, un peu béate, quand le mâle blanc se mordit lui même. Un pas en avant plus tard, dans un mouvement spontané, elle essayait de comprendre. Pourquoi? Qui se mordrait la peau, jusqu'à saigner? Qui...

Le déclic lui vint presque logiquement. Impossible que les deux chevaux aient échangé de place sans bruit en l'espace de quelques secondes. Et si... Cette île farceuse avait échangé les corps?

Le mâle lui confirma cette théorie. Tout était si différent. Elle voyait des similitudes entre ce corps et celui qu'elle connaissait de Shiro, mais ils étaient à la fois si opposés... Le mâle avance vers elle, s'énerve contre le sol. Les bisons, témoins silencieux de ces retournements de situation, ne semblent pouvoir prêter main forte sous aucun prétexte.

Elle était perdue, encore souffrante de l'absence de réponse. Shiro, dans un autre corps, ne sembla plus tout à fait lui même. Il s'énervait, pleurait, montrait des tonnes de sentiments que Mune n'avait jamais vus de lui. Et à son plus grand désarroi, elle ne pouvait pas en faire des tableaux dans son musée. Elle ne pouvait pas, car ce n'était pas le visage de celui qu'elle aimait.

Tu as un frère aussi clair que la neige...

Elle se tut, le regardant approcher alors que leurs deux visages s'inondaient de larmes. Elle ne savait plus quoi faire, quoi penser. Comment l'aider? Voulait-il seulement de son aide? À elle? ou l'aide d'un ou d'une autre... Peut être était-ce cela.

L'étalon lui demanda, la supplia presque de ne pas pleurer. Mais comment pourrait-elle? Comment oublier? Comment faire taire la douleur dans son coeur, cette souffrance qui lui donnait envie de ne jamais avoir existé. Il lui sembla soudain si logique... On ne vivait vraiment que dans la douleur. Tout était décuplé, plus rien d'atténué. Tout était si... saturé.

Je... elle se tait pour entendre sa question. Ton visage... Son visage... Vous vous ressemblez un peu...

Elle ne sait que dire de plus et éclate en sanglots. Elle abaisse la tête, plie l'encolure et abreuve la Terre de cette pluie salée, véritable déluge. Elle peine à respirer, tant sa cage thoracique est comprimée par la douleur de cet amour qui l'empoisonne.

S'il te plait, rejette moi, ne me laisse pas dans ce flou qui me noie. elle l'implore. Dis quelque chose... Je ne savais pas qu'on pouvait souffrir autant à cause de ses sentiments...

L'observatrice est touchée, elle s'effondre. Les abysses autour d'elle deviennent de plus en plus sombre. Qu'y a-t-il au fond? Sa mort serait-elle rapide?

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 16:27

" Oui, " cracha-t-il, " ... Non ! " ajouta-t-il ensuite, le cerveau retourné. Avait-il un frère aussi clair que la neige... ? Mune aimait un étalon noir comme la nuit. C'était lui qu'elle aimait ! Lui, lui, lui !

Pour la première fois, cet aveu était accueilli avec un élan de possessivité. C'était à Shiro que les mots doux avaient été adressés, pas à cette grosse masse blanche dans laquelle son esprit était à l'étroit, alors que le corps était plus large. Il eut un énième mouvement d'humeur, qui vit un bison s'éloigner de quelques pas incertains. Mune l'aimait lui ! Et lui, c'était Shiro.

Peu importait à l'instant que Shiro ait été imparfait, pitoyable, déméritant ; peu importait que l'affection que lui vouait la jument baie soit inédite, effrayante, pour une créature qui se gardait si bien de la normalité. A l'instant, il était le vampire d'Edvard Munch, qui plonge ses dents dans la nuque de la promesse d'être aimé et refuse de lâcher prise tant que le suc de l'amour n'aura pas été, tout entier, englouti.

Vous vous ressemblez un peu.

Il cessa de s'agiter pour inspirer de longues bouffées d'air d'abord agacées, puis moins violentes. Ses yeux papillonnèrent. Les amoureux qui faisaient des cabrioles champêtres il y a quelques minutes de cela n'étaient plus que des tourbillons de vent d'hiver ayant oublié d'emporter l'écho des rires. Lui-même ne se sentait pas la possibilité de fendre un sourire, maintenant ou jamais s'il se retrouvait coincé dans un être qu'il avait pourtant peut-être secrètement jalousé.

C'était donc ça, être Kuro. Être anormal.

Mais Kuro n'était pas aimé de Mune.

Qui pleurait encore. Elle avait pleuré aussi, la dernière fois. Etait-ce de sa faute ? Comment pouvait-on aimer quelqu'un qui vous menait ainsi, presque aveuglément, jusqu'aux larmes ? Comment pouvait-on aimer sa maladresse ? Et surtout, comment pansait-on les plaies de quelqu'un d'autre ?

Il se redressa - Kuro semblait un peu plus grand, mais il s'illusionnait peut-être, prêtant à son nouveau corps des qualités qu'imaginaient l'esprit - et fixa l'horizon d'un regard à moitié perdu, réfléchissant à la demande que venait de formuler sa compagne. Il lui semblait que toute déclaration qui sortirait de cette bouche blanche ne lui appartiendrait qu'à moitié.

Enfin, une étrange douceur, presque monotone.

" Es-tu sûre de m'aimer ? " demanda-t-il, " Tu me connais à peine. Je suis un être plein de défauts et plein de maladresse. La preuve, je te réduis aux larmes sans pouvoir t'en empêcher. Je garde... Un souvenir... Je chéris notre première rencontre, tout comme je chéris ta présence et reçois avec un mélange de plaisir et d'appréhension ton amour. Je n'ai jamais imaginé que j'aimerais quelqu'un, Mune. C'est étrange pour moi de me dire que je puisse inspirer de l'amour... Et je ne suis pas certain de le mériter. "

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 16:58

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Encore une poussée de colère, encore un cri, encore... Encore. Tout est vide dans son coeur, dans son esprit, tout est noyé par le doute. La douleur. La tristesse. Est-ce qu'on survit vraiment à tout ceci? Sa mécanique était-elle finalement si belle? Comment se relever, comment sortir de l'eau, continuer malgré la noyade? Était-elle assez forte? Assez forte pour aimer de nouveau, aimer sans concessions, sans retour? Elle en doutait de plus en plus. La colère et l'incompréhension de Shiro ne semblait plus vraiment l'atteindre. Anesthésiée par la douleur, elle restait cependant là. Même si tout s'effondrait petit à petit.

Elle aurait préféré qu'il la frappe elle, plutôt que le sol. C'aurait été plus simple, comme réponse. Plus facile à encaisser. Faire primer la douleur physique sur la douleur mentale. Abîmer la carrosserie pour la mettre à l'image du carburant. Mais non. Il se fâchait sur le sol, sur cette terre qui a fait que cette île maudite leur joue des tours. Au meilleur des instants. Elle payait la monnaie de sa pièce, un retour de Karma depuis Figaro et la chapelle. Elle méritait cette souffrance, elle méritait la douleur. Plus le temps passait, plus elle le pensait. Âme pure et naïve, elle se noyait petit à petit. Elle n'aurait jamais dû quitter son désert, la belle Lune. Là bas, que des mirages, rien de bien mortel... Rien de surnaturel.

Es-tu sûre de m'aimer? La douleur est brûlante. Elle est violente. Fer forgé bouillant qui marque son coeur. Pouvait-il en douter? Après tout ceci? N'avait-elle pas prouvé déjà qu'elle en était certaine? Elle ferma les yeux, simplement capable de sourire. Ainsi, elle n'avait pas l'impression de le frère de Shiro jouait à la malmener. Ainsi, elle pouvait s'imaginer que c'était bien lui, son étalon noir comme la nuit.

Si ce que je ressens n'est pas de l'amour, je crois bien que ce sentiment pourrait me faire mourir pour toi. Si ce n'est pas de l'amour alors... elle chuchote. Qu'est-ce..?

C'en est trop, trop pour elle. Elle fatigue, elle souffre, tout autour d'elle et en elle la malmène. Elle est bien moins forte qu'elle ne l'imaginait. Bien moins forte. Elle avait plongé sans savoir nager, sans cette certitude de savoir comment s'en sortir. Que faire maintenant?

Une personne sans défauts, existe-t-elle seulement?N'est-ce pas là... Le propre de l'amour? D'aimer sans concessions? D'aimer le tout de l'autre? Peut importe à quel prix? Peut importe...

Elle se tait, elle parlait trop. Il lui semblait soudain être pitoyable. Elle ne le connaissait pas, et il ne la connaissait pas. Son amour était infondé, et il lui sembla soudain que la honte s'emparait d'elle. Qui savait Ô combien il la jugeait en cet instant? Elle aurait préféré ne pas exister. Ne rien avoir dit. Elle se maudit. Mais trop tard, elle était au fond de l'eau.

Peut être que je ne mérite pas non plus que tu imagines aimer quelqu'un. un violent frisson la traverse et agite tout son corps. elle relève la tête et lui offre un sourire. Lorsque tu trouveras la personne à aimer, tu ne te poseras pas la question. Tu le sauras, c'est tout.

Et ce n'est pas moi. Les mots ne traversèrent pas ses lèvres. Elle ne voulait pas l'entendre.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 17 Mar 2019 - 17:39

" Mais c'est horrible ! " s'exclama-t-il. Il revenait lentement mais sûrement à lui-même et les exclamations, poussées sans réfléchir, tombaient au sol avec la même force que d'habitude. Il scruta Mune comme pour mieux déchiffrer ce qu'elle disait sur son visage. Aimer un être, en outrepassant ses défauts ? Ce n'était pas ce qu'il avait entrevu de l'amour dans la cage d'escalier qui le séparait de la rupture de ses parents ; les défauts devenaient, alors que le temps fissurait les coeurs, trop grossiers, trop encombrants, trop insoutenables et, tôt ou tard, on cessait de les tolérer. Voilà une réalisation qui le terrifiait plus que tout : savoir qu'on pouvait l'aimer et qu'on pouvait cesser de le faire. Savoir qu'en réalité les défauts existeraient toujours, ne seraient pas rendus invisibles par l'amour, mais qu'ils subsisteraient et grignoteraient, lentement, sûrement, l'affection naissante, jusqu'à en atteindre la racine, jusqu'à l'avoir dévorée, elle-aussi.

Mourir pour toi.

La férocité de cette affirmation le laissait songeur. Aurait-il pu, lui, mourir pour quelqu'un ? Y avait-il une autre mort que celle qu'il s'était confectionnée, dans les recoins empoussiérés de la maison hantée ? Sa mort idéale ? Il était de ces êtres qui meurent pour leurs idéaux, aussi bas et insignifiants soient-ils.

" Mourir... Ne meurt pas, " murmura-t-il, " Ce serait trop bête... Pas pour moi, voyons, Mune. Quel fou t'as convaincu qu'on devrait mourir si facilement ? Et toi qui crois au destin, comment peux tu te convaincre que c'est ce qu'il veut pour toi ? "

Il en oubliait presque son problème blanc, qu'il ne put que constater en baissant les yeux. Combien de temps cette mascarade durerait-elle ? Son frère avait de la chance que la rancune n'habite actuellement pas son esprit ; il aurait probablement pu ruiner sa réputation en faisant les pires folies dans un tel lieu, mais il n'en avait pas le courage et pas l'envie. Il désirait surtout récupérer son bien, son corps, cette robe noire si commune à sa race et qui lui avait permis de se fondre dans les ténèbres de ses rêves mornes si longtemps.

Savoir. Savoir sans se poser des questions. Là encore, l'idée l'horrifiait. Comment ne pas questionner un sentiment ? N'est-ce pas en le décortiquant que l'on parvient à le digérer, l'affadir, le laisser grandir ? Tout sentiment n'amenait-il pas ses questions ? Comment pouvait-on ressentir sans questionner ? Il en revint à ses bisons, qu'il jalousa à nouveau ; leur vie n'était faite d'aucun questionnement. Guidés par l'instinct, ils se contentaient de se reproduire, donner la vie et se sustenter, une existence si mécanique qu'il enviait à l'instant.

" Tu mérites tout, bien au contraire. Tu m'as l'air d'être quelqu'un d'admirable... De fascinant. Mais je ne peux pas être d'accord avec tout ce que tu dis. Est-ce que tu le comprends ? Je n'aime pas comme toi. J'ai besoin de connaître les choses avant de les aimer. Et à l'instant... Je ne me connais même plus moi-même. "

Il regarda, dépité, sa robe blanche.

ÂGE : 18 PUF : HW MESSAGES : 183 SEXE DU CHEVAL : //

CUPIDON

Saint-Valentin

Votre coeur se serre et vous fermez les yeux sous le coup de la douleur. Quand vous les rouvrez, quelque chose a changé... Serait-ce... votre corps ? Oui !

Shiro retrouve son apparence normale.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 24 Mar 2019 - 20:47

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Abandonne. Abandonne. Abandonne. La mélodie est douce, lancinante. Elle la berce comme elle la blesse, elle lui donne du souffle comme elle l'étouffe. Abandonne. Abandonne. Abandonne. C'était si facile. Ne plus se battre. Laisser l'eau entrer dans ses poumons, baisser les bras. Regarder là haut, la lumière qui s'affaiblit. La lumière qui disparait, happée par la nuit. Il lui sembla soudain que tout était si doux, si chaud. Drapée par la douleur, la douceur d'un mal l'empoisonne. Exit les palpitations douloureuses, la tempête fait place au calme. Tout est dévasté, mais étrangement paisible. Tout a perdu sa couleur, sa saveur, son odeur. Mais plus rien ne frémit face à la douleur. Tout est enfin calme.

Paisible.

Elle s'est résignée. Elle n'argumentera pas. De toute façon, que répondre? Quoi dire? Il n'aimait pas comme elle. Que connaissait-elle de l'amour? Rien, visiblement. Son jeune âge lui revint soudain à la figure. Son manque d'expérience, de vécu, tout semblait soudain si... Logique. Bien entendu, elle qui n'avait rien vécu, ni amour, ni tendresse, comment pouvait-elle savoir que c'était cela, qu'elle ressentait? Comment pouvait-elle en être si sûre. Un sourire, amère, mais vrai, étira sa bouche. Après tout, il n'avait pas tord. Personne ne serait d'accord avec elle. Et elle le connaissait encore moins qu'elle ne connaissait l'amour. Quelle idée lui était passé à travers la tête? Avouer des sentiments auxquels elle ne connaissait rien? Mais tout lui avait paru si... Vrai. Fort. Savoureux. Le ventre tordu, la gorge sèche. L'attente, l'angoisse. Et le silence. Elle s'était certainement trompée. Elle se persuadait. Personne n'aimait aussi vite, ce n'était pas la norme. Le mensonge était plus doux que le rejet. Se voiler la face, enterrer le coeur battant, bien vivant. Le faire taire comme un enfant bâillonne de ses mains la bouche de son frère hurlant. Tais toi. Tais toi. Tais toi. Arrête. Tais toi.

Tu as raison. elle sourit. Oublie ce que j'ai dit. J'ai certainement été emportée par l'ambiance qui règne dans ce lieu.

J'ai eu tors. Sur ses sentiments? Sur le fait de le dire? Elle n'en savait rien. Mais elle s'était trompée. Et elle se trompait elle-même, un peu plus, chaque seconde. Tais toi. Arrête. Abandonne.

Une dernière bulle d'air remonte à la surface. Elle est noyée.

En rouvrant les yeux, elle les pose sur un Shiro redevenu lui-même. Cette île aimait les malmener, et il lui sembla soudain la haïr du plus profond de son âme. Son désert lui manqua. Beaucoup. Ses amis aussi. Elle eut l'envie irrépressible de laisser l'aventure là. Après tout, sa plus grande erreur n'avait-elle pas été de vouloir explorer le monde?

Elle finirait par en être persuadée.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 24 Mar 2019 - 22:23

Cette fois, il sentit que le sortilège faisait effet. Un immense soulagement s'abattit sur lui, contradictoire ; il pesait plus que le poids de Kuro, comme si son propre corps eut été une corvée nécessaire dont il n'avait encore jamais réalisé le poids. Shiro se contorsionna pour s'observer, ce en quoi il s'accorda plus d'attention qu'il ne le faisait d'ordinaire. Alors que ses yeux se promenaient sur son propre corps, il se demandait s'il était capable d'attiser le désir. S'il l'avait voulu, aurait-il su séduire n'importe qui ?

Il n'aurait probablement pas réalisé qu'il parvenait à ses fins et n'avait pas particulièrement envie de subir l'éventuel revers de l'expérience. Qu'y avait-il de pire que d'essuyer un rejet ?

Il regarda Mune. Était-ce ainsi qu'elle ressentait les choses, à l'instant ? Cette dévorante brûlure ? Il lui semblait qu'elle était trop pure, trop bonne pour ressentir les choses avec la même rapacité que lui. Les choses étaient probablement bien plus belles dans l'esprit de Mune, tout simplement parce qu'elle les avaient conçues. L'idée d'être idéalisé au fond de ce cœur était pourtant inconfortable, et il en ressortait la sensation d'être une écharde qui s'enfonçait dans une chair trop tendre. Il ne voulait pas la faire souffrir, mais était bien incapable de cesser.

Elle était très belle. Peut-être n'y prêtait-il pas assez attention, tout simplement parce qu'il savait son affection acquise et n'avait donc pas à mijoter dans les affres du désir. Mais elle était pleine de charme et il se doutait bien que, si elle le désirait, elle pourrait elle titiller les sens de n'importe qui.

L'idée lui déplut sans qu'il sache si c'était parce qu'il la savait à la merci des sentiments qu'elle éprouvait pour lui, ou parce que lui-même la voulait pour lui, simulacre d'une possessivité amoureuse dont il ne se croyait pas encore capable.

Et pourtant il l'avait voulue près de lui ce matin-là, lorsqu'il l'avait laissée dans la grotte. Peut-être y avait-il aussi laissé une part de lui-même.

Oublier. C'était facile à dire. Et il oubliait si rarement.

" Quelle ambiance ? " demanda-t-il finalement, lui offrant le répit d'une question simple. " Il y avait un endroit comme ça, là où tu as grandi ? "

Un désert, avait-elle dit. Et il avait répondu qu'il n'aimait pas les déserts, parce qu'on y avait soif. Il avait encore soif aujourd'hui. Il déglutit avec la sensation d'avaler du verre.

Shiro se regarda à nouveau, pris d'un doute. Non. Il était toujours là.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 24 Mar 2019 - 22:44

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Les traces des larmes séchées tirent sur les poils de ses joues. La marwari se rappelle soudain avec une violente ferveur la douleur qui habitait son corps quelques secondes plus tôt. Mais elle ne l'accueille pas. Elle ne la laisse pas rester. Elle l'étouffe, l'enterre, la jette et l'ignore. Il était temps de passer au dessus, aussi facile était-ce à dire. Avec désespoir, elle continue d'ignorer ce qu'il se passe dans son coeur, cet amour, cette douleur. Elle les laisse de côté, joue à imaginer autre chose. Elle se plonge dans les souvenirs de chez elle. Chez elle. Même si elle revenait, voudraient-ils encore d'elle? Après ces années où elle était partie? Les gens et les choses changent, autour d'elle. Et elle essaie de demeurer la même.

Mais cette île l'avait changée, sa pureté et son innocence tâchée. Sa naïveté détruite. Elle change d'appui, repose maintenant son postérieur blessé dans l'effondrement de la chapelle. Il lui sembla soudain qu'elle aurait préférer y rester, enterrer son corps et ses sentiments, les taire à jamais. Les taire à jamais. Comme un amoureux transit reste muet, lorsque la femme de sa vie se marie à cet autre. Qu'il le dise, ou se taise à jamais.

Les remords s'emparèrent d'elle. Elle aurait dû se taire. Qui sait ce que Shiro pensait d'elle, maintenant? Sa vision avait-elle changer? Il pouvait se moquer. Ouvertement. La rabaisser. C'aurait été plus simple que d'affronter son regard. Un soupir traverse ses lèvres, las, douloureux. Il lui semblait soudain qu'elle était différente de ce matin. Elle ne se réveillerait peut être plus jamais comme avant.

Il parle, avec sa voix à lui. Et elle aurait presque espéré que ce changement de corps lui fasse oublier les paroles de la baie. Mais non, impossible. Impossible. Cette île ne l'aiderait jamais.

Les couples, l'amour qui rôde ici. elle sourit. Je me suis fourvoyée.

Elle réfléchit à la question, se rappelle des dunes, des oasis. Il n'y avait pas d'endroit comme ici, pas de fleurs aux couronnes qui s'arrachent avec le vent, pas de bisons qui paissent paisiblement. Pas d'arbres aux feuilles si courtes qui tombent avant la neige. Pas de neige. Pas de mer. Juste le sable, les dunes, les palmiers. Quelques rochers, des cactus. Une grotte, très belle, près d'une oasis. Il lui semblait que c'était là bas, que les couples se formaient, se retrouvaient, passaient du temps en tête à tête.

Il y a un équivalent. Mais tout est moins... Vert.

Et vivant. Elle soupira, fermant les yeux. Elle ne voulait plus voir cette vie, cette verdure qui lui semblaient soudain trop vive. Trop gorgée d'eau, trop pétillante. Tout dans son monde semblait si terne soudain, par rapport aux paysages d'ici. Elle était plate. Sans intérêt. Sans surprises. Comme les dunes de son pays natal.

Bien sûr qu'il ne s'intéresserait pas à quelqu'un comme elle.

Comme avait-elle pu y croire.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 24 Mar 2019 - 23:34

Si l'ambiance tirait de Mune des confessions qu'elle semblait regretter, elle n'avait fait qu'attiser sa propre réprobation. Shiro jeta un regard alentour, en quête des deux fantômes qui avaient batifolé gaiement il y a quelques minutes de cela. Disparus. Comme leur amour.

Il lui semblait que beaucoup de ces spectres hantaient ces lieux plus qu'il ne les rendaient vivants.

Shiro baissa les yeux et tomba sur les jambes de Mune, qu'il regarda. Il se souvint soudain de cette gigantesque vague qui avait failli les emporter tous les deux, de la cohue, du fait qu'elle boitait, alors. Hokusai sans poésie. Mais elle était une créature bien poétique ; on aurait pu écrire des haïkus brefs, saccadés et mutins, sur la courbe si particulière de ses oreilles.

" Tu as toujours mal ? " demanda-t-il, doucement, prudemment. Il ne savait pas s'il avait le droit de s'inquiéter de sa douleur. Percevrait-elle cela comme un affront de plus, s'il offrait de la pitié ?

Ce n'était pas comme s'il avait quoi que ce soit d'autre à présenter ; il n'était qu'un piètre guérisseur. Jamais il n'avait eu à subir une douleur immense qui n'ait pas été psychologique. Tout au plus avait-il flâné parfois trop près des chardons, ou culbuté un peu vite en bas d'une colline lorsqu'il était quelqu'un d'autre, un poulain dont il s'était tellement dissocié qu'il lui arrivait souvent de se demander depuis combien de temps il avait commencé à vivre.

Et quand cette incarnation de lui-même mourrait-elle, elle-aussi ?

Jamais, trancha son esprit, incisif dans sa terreur, menacé par l'idée de l'évolution. Il fallait mijoter dans les habits dont il s'était revêtu, quand même ils auraient été moins fins, moins translucides, moins légers que ceux, neufs, de l'empereur.

Le vert. Il regarda alentour. Il n'avait jamais vraiment prêté attention aux couleurs.

Les bisons commençaient à s'éloigner et il les observa, tiraillé. Quel étrange spectacle cela aurait été pour Mune, que de le voir partir rejoindre cette étrange troupe, un caneton grotesque parmi les oies gigantesques. Le frison demeura cloué au sol, fixe, le cou tendu vers son habitude qui lui échappait. Il était si rare que ses habitudes lui échappent.

" Ça te manque ? Chez toi ? " demanda-t-il en la regardant à nouveau. Disparaîtrait-elle, maintenant qu'elle semblait si déçue, si meurtrie ? N'emporterait-il d'elle qu'un souvenir, une sensation d'avoir raté quelque chose ?

Elle était jeune. Il le réalisa en l'observant de plus près. Et lui était plus âgé, mais peut-être moins mature.

Shiro fit un pas en avant, indécis, ignorant vers où il allait la conduire et si elle le suivrait.

Sujet: Re: Erewhon [L] Dim 24 Mar 2019 - 23:58

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Les bisons prenaient la route, prenaient le large. Ces êtres immenses, bien trop grands, proportionnés si bizarrement, s'en allaient. Et avec eux, une partie de Mune s'amenuisait. C'était difficile, d'aimer. Difficile d'oublier. Et compliqué d'avancer dans ce flou qui la submergeait. Après tout, comment se relever d'une telle chute? Elle se sentait étrangement bien, au fond de l'eau. La noirceur abyssale l'enveloppant. Etrangement bien, même si vide ou souffrante. Elle se complaisait soudain dans cette étendue aqueuse, vaste marécage de vase qui l'engloutissait, elle et sa naïveté, ses espoirs infondés.

Shiro dans le corps de Shiro. Il sembla soudain à Mune qu'elle ne l'avait jamais réellement regardé, alors qu'elle l'avait scruté des heures durant. Elle le voyait sous un nouveau jour, avec un nouvel état d'esprit. Elle se rendait compte qu'elle l'idéalisait, happée par un amour aveugle qu'elle avait volontiers laisser lui mettre des oeillères. Après tout, elle s'y était sentie bien, dans cette voie tracée par le sillon de son coeur. Sans voir ailleurs, sans regarder l'extérieur. Elle y avait été bien, se complaisant dans son idée qu'il serait le meilleur pour elle.

Elle y croyait encore.

Mais, en serait-elle encore certaine, après avoir vu le monde? Son meilleur ami du désert fit son apparition dans sa tête. Leur âge était proche. Avait-il trouvé quelqu'un, lui? Faisait-il les mêmes erreurs qu'elle, lui? Certainement pas. Ils étaient si différents. Il n'aurait pas été capable de se tromper autant, de foncer tête baissée dans le piège qu'il avait posé lui-même. Il était bien plus intelligent et clairvoyant que ça.

Pas elle.

Mal. Oui, elle avait mal. Mais de quoi parlait-il? De sa jambe, sans doutes. Ce n'était pas ce qui lui faisait le plus mal, en ce moment. Mais elle se garda bien de le lui dire.

Oui, parfois elle me lance. Ou je n'ai pas autant de force et d'endurance avec. Ca s'arrangera peut-être. Au moins, je peux marcher. Et je ne suis pas morte sous les décombres...

Bien qu'elle en aurait eu envie, si elle était honnête.

Le troupeau s'éloignait, et Shiro sembla le remarquer. Dans son regard, la jument pu crû déceler une envie de s'en aller, de les suivre. Comme il était venu avec eux, peut-être repartirait-il avec eux. Comment réagirait-elle s'il le faisait? Sans rien faire, certainement. De quel droit pourrait-elle dire quoi que ce soit? Elle n'avait aucune emprise sur lui, après tout.

Elle ne le connaissait pas.

En cet instant, mon désert me manque terriblement. elle inspire. Je me demande si j'ai bien fait de le quitter.

Elle n'a plus de filtres, son sourire est triste, douloureux. Il fait un pas mais elle ne veut pas le suivre. Elle ne veut pas bouger. Tout son corps la fait souffrir, comme sa jambe quelques mois plus tôt. Il lui semblait qu'elle boitait toute entière.

Tu vas suivre ces bêtes qui t'ont mené ici? Sais-tu où tu vas aller?

Voulait-elle seulement une réponse? Qu'est-ce que ça lui apporterait? Rien.

Sujet: Re: Erewhon [L] Lun 25 Mar 2019 - 12:06

Le vent rugit, portant avec sa rage la rumeur d'un rire. Shiro se retourna, comme pour déceler dans le vide la présence d'un Cupidon moqueur. Mais le chérubin ricaneur était invisible et il ne faisait que sentir une désagréable piqûre, celle du bout de sa flèche ou celle qu'il s'était infligé lui-même en entamant la peau de son frère. Quelques pensées volèrent vers le blanc. Avait-il subi, en même temps que lui, l'échange de corps ? Qu'en avait-il pensé ? Il n'avait pas envie que Kuro le regarde.

Parce qu'il le craignait ?

Il se retint de broncher. C'était une idée difficile à admettre. Il ne devait rien à Kuro. Et s'il était devenu dominant, c'était parce que les dieux aimaient ainsi emberlificoter le sort, le tendre et le détendre, faire des nœuds parfois coulants autour de gorges déjà serrées par l'angoisse. L'ironie avait dû plaire à cet Hadès chez qui il avait vécu sans jamais être étouffé par la foi. Il avait, quelque part, toujours considéré que la maison hantée lui appartenait à lui et pas à ce dieu païen dont il n'avait que faire et qui ne visitait de toute façon jamais son fief lugubre.

Était-ce pour cela qu'il n'avait jamais été touché par la grâce ? Ou avait-il lui même rongé ses chances, un renard rendu fou par la rage qui se croit pris au piège ? Quoi qu'il en était, la maison hantée n'était dorénavant plus qu'un souvenir chéri. C'était peut-être d'ailleurs le souvenir qu'il aimait, plus encore que la chambranle branlante et grincheuse de ce palais des ennuis.

" Qu'est-ce qui s'est passé exactement ? " demanda-t-il, baissant les yeux sur la jambe de Mune incriminée. Il ne le lui avait pas demandé. Avait supposé que, encore malhabile sur le terrain nouveau d'Horse-Wild, elle avait fait une chute. Mais elle venait d'évoquer des décombres. Et la réalité est si souvent différente de ce que concocte l'imagination.

Il s'anima à l'entente de ses prochains mots, comme un pantin qui, prit d'un soubresaut, est soulevé par la main d'un dieu qui s'amuse à le faire danser avant de le replonger dans sa tranquille apathie de jouet.

Ses yeux s'allumèrent, les mots se précipitèrent.

" Ça, je peux le comprendre ! " mais lorsqu'il s'agit d'évoquer le chez lui qu'il avait perdu et désirait encore ardemment, il ne su trouver les mots et resta la bouche entrouverte quelques secondes, comme si sa langue allait s'animer seule pour offrir à l'imagination tout ce qu'il avait aimé jusqu'à ce jour. Hélas, il était des choses indescriptibles. Et des choses banales qui, aux yeux des autres, ne prendraient jamais les dimensions colossales qu'elles occupaient dans l'esprit.

Un nouveau rire. Il sentit la terre trembler. Les bisons s'éloignaient. Il faudrait attendre longtemps avant qu'ils ne deviennent de petites tâches noires aux contours difficiles à identifier.

Ses questions le plongèrent dans l'embarras. Il la regarda - elle et son sourire cousu au fil de fer - avant d'embrasser du regard la plaine tranquille, presque insouciante. Ça ressemblait décidément à la grande plaine illuminée, sans l'être vraiment.

" Je ne sais pas, " admit-il finalement, laconique. " Je ne sais jamais vraiment. Je n'aime pas voyager. Et toi, Mune ? Tu sais où tu vas aller ? Qu'as-tu vu, jusqu'à présent ? "

Sujet: Re: Erewhon [L] Lun 25 Mar 2019 - 23:40

La rose, abreuvée de larmes
ft. Shiro

Les souvenirs lui montèrent à la tête, dansèrent devant ses yeux. La pluie diluvienne, les soldats perlés qui s'enfoncent dans la chair avec désespoir, écrasante défaite d'un liquide contre un corps. Elle inspire. La lune était haute ce soir là, dansant faiblement à travers les nuages humides, éclairant d'une lueur blafarde les tombes dressées vers le ciel, appellent à l'aide. Une pensée. Un souvenir. Vivre à travers les vivants, même après la fin d'une existence. Continuer. Encore.

Qui se souviendrait d'elle?

Le constat est amère. Elle aurait pu mourir ce soir là. Avec le poète. Et qui se serait inquiéter de leur disparition? Certainement pas grand monde. Elle n'avait connu que Shiro, et vu les dernières minutes, peut être aurait-il préféré ne jamais la revoir.

Une statue d'ange agenouillé floute sa vision. Le rideau d'eau dénature toutes les couleurs, et ses souvenirs ne sont pas plus vifs que la réalité. Un poète au pied d'une statue blessée, deux anges déchus qui attendent leur sort. deux lunes silencieuses, observatrices. Que serait-elle devenue, si elle avait rebroussé chemin ce soir là? Si elle s'était tue, aujourd'hui?

La chapelle, au coeur du cimetière, s'est effondrée sur Figaro et moi. elle marque une pause. Il a été bien plus blessé que moi.

Se remémorer cet épisode est douloureux, mais bien, Ô oui, bien moins que de penser au rejet qui trotte dans son coeur. Elle occupe son esprit par une douleur qu'elle se réinvente, torture son coeur par d'autres maux, pour oublier le présent. Vivre dans le passé, dans les souvenirs, pour oublier la douleur bien réelle, de secondes qui coulent comme du sel sur une plaie ouverte.

Comprendre. Comprendre. Peut-il vraiment la comprendre? L'étendue de sa douleur, des remords qui la hantent? Ces pensées sont d'un égoïsme amère qui ne lui traverse pas l'esprit. Elle se garderait bien de le dire, mais en cet instant, il lui semble que personne n'a jamais pu souffrir autant qu'elle souffrait.

Triste imaginaire que le blessé s'invente, pour se conforter dans sa souffrance.

Cette île n'est peut être pas faite pour moi.

Elle réfléchir et pense tout haut, sa voix est faible, tremblante. Les bisons s'éloignent avec une infinie lenteur, ou était-ce le temps qui étirait les secondes, pour savourer son plaisir d'une souffrance décuplée? Shiro lui répond, enfin, couteau incisif dans le sable du temps. Indécis, incomplet, incompris? Qui d'autre lui pouvait savoir? Il sembla à Mune que celui dont elle s'était éprise vivait sa vie par procuration, comme un prisonnier dans son propre corps, un pantin agité par un marionnettiste. Elle l'envia un peu, égoïstement, de ne pas aimer voyager. Il n'avait jamais eu, comme elle, à s'habituer, découvrir, souffrir du dépaysement. Et il n'était pas non plus tombé amoureux de l'inconnu. Elle le jalousa.

Je vais reprendre la route. Visiter les terres de cette île du démon, puis repartir là d'où je viens. Le temps passera, et emportera avec lui les souvenirs. elle ferme les yeux. Là est ma seule issue, mon seul salut.

Les mots sont amères, la décision hésitante mais prise. Elle partirait. Il le fallait.

Sujet: Re: Erewhon [L] Mar 26 Mar 2019 - 14:16

Certaines émotions s'emparent subitement de l'être sans qu'il ne se soit attendu à être capable de les ressentir. Aussi fut-il surpris que l'inconnu l'empoigne lorsque Mune évoqua le nom de quelqu'un d'autre, mais plus surpris encore de ne pas pouvoir qualifier ce qui le dérangeait tout à coup, une brûlure si soudaine qu'elle n'a pas eu le temps de frapper la peau de son rouge. Shiro regarda Mune fixement, cherchant à comprendre qui pouvait bien être Figaro et pourquoi il avait un nom. Ses dernières rencontres à lui étaient-elles autre chose que des visages ?

Il avait oublié jusqu'au nom du borgne à l’œil mordoré sans pour autant complètement effacer l'étrange menace qui avait alors pesé au-dessus de sa tête, plus encore que les nuages colériques. Il n'avait pas particulièrement envie de penser à cet étalon, qui lui avait alors rappelé Mune et disséminé quelque chose en lui.

Encore des semences dont il ignorait le nom. Il les trouveraient un jour en train d'éclore au sein de sa cage thoracique, pour embaumer son coeur ou au contraire enserrer les os jusqu'à ce qu'ils ne craquent. L'amour étouffait lentement certains êtres comme le lierre enlace de ses promesses morbides un tronc centenaire qui a attendu la mort, l'a vue tomber à ses pieds sous la forme d'oisillons jetés hors du nid, et s'est déjà nourrie d'elle en puisant ses prochaines graines dans le corps en décomposition.

Figaro avait été plus blessé qu'elle. Il pouvait puiser dans cette information une joie féroce, qui, si elle lui était moins coutumière qu'à son père qui ressentait rarement la gaieté sans l'allier à la hargne, le touchait parfois lui-aussi.

Était-il déjà allé au cimetière ? Fallait-il y aller pour se recueillir sur les ruines de ce qui avait fait mal à Mune ?

Qui viendrait se pencher sur ses propres ruines, qui l'avaient écorchée encore plus vif ?

La marwari était plongée dans les affres de quelque chose qu'il avait peur de toucher, de peur de découvrir un miroir qui lui renverrait une image de lui brisée en mille morceaux. Pourtant, il n'aurait rien pu faire autrement. Il était le genre d'êtres qui ne savent pas revenir en arrière. Au risque de subir une immense déception.

Farandole aussi été partie. Mais où ?

Peut-être avait-il trop pris l'habitude de repousser ceux qui lui voulaient du bien. Mais il n'avait jamais cru qu'on lui veuille du bien. Seules les choses étaient capables de désintéressement ; les êtres, toujours, cachaient les mystères de l'intention sous la langue...

Il songea à ce qu'il fallait dire. Devait-il retenir ? Il n'était pas du genre à convaincre les gens d'aller à l'encontre de leur instinct. Et quelque chose de cruel en lui voulait qu'elle reste pour lui. Les mystères. Cachés dans les mots.

" Tu changeras peut-être d'avis. Il est difficile de rejoindre Horse-Wild, mais plus difficile encore de la quitter. "

Il hésita.

" Si, au cours de tes périples, tu entrais dans une vieille maison qui tombe en ruines... Tu pourrais t'y reposer quelques temps. On y réfléchit bien. Du moins, je réfléchis mieux dedans. "

Shiro sentait qu'elle partirait bientôt. Les bisons s'éloignaient.

Il ne savait pas comment lui dire au-revoir.

Il ne l'avait pas fait, la première fois qu'ils s'étaient vus.