Tsarevna Lyagushka. [PV]

Je redresse les oreilles et adresse un regard curieux à Plume Brisée. Qu’est-ce que pourrait bien se cacher ? Les braises ont-elles des secrets à couver ? Moi qui croyait qu’il n’y avait que les terres de Poséidon pour faire des mystères, je ne sais pas si je me réjouis de m’être trompée ou pas.

« Vraiment ? Quel genre d’endroit ? »

Je suis intéressée mais je n’ai pas pour autant oublier l’histoire qu’il était en train de me raconter. Je repense à l’adage « qui vole un œuf, vole un bœuf... » ce n’est pas tout à fait faux, lorsqu’on fait quelque chose de mal ce n’est pas son ampleur qui importe mais l’acte en lui-même.

Ce n’est souvent que le début et toujours mal vis à vis de la victime. Mais je dois admettre que je suis sceptique quand à la notion de celui qui est en droit de rendre la justice… et je n’ai pas le temps d’aborder ce sujet car le conte est sur le point de se terminer.

Je ris de la chute et ne peut m’empêcher de commenter en faveur de la princesse grenouille.

« Elle ne s’attendait quand même pas à ce qu’il soit aussi efficace qu’elle ? Il ne faut pas trop en demander. »

Mes yeux bleutés dérivent sur les flammes qui sont encore absorbées par leur propre lutte, l’esprit échauffé par la chaleur qu’elles dégagent. Leur crépitement ne s’apaise pas et après quelques instants je décide que je me suis attardée assez longtemps. Mama va finir par s’inquiéter.

« Merci beaucoup Plume Brisée, j’ai beaucoup apprécié votre histoire. Il est temps pour moi de rentrer mais je vous souhaite une bonne fin de journée. »

Les personnages de conte pouvaient traverser des immensités en quelques phrases. On appuyait rarement sur les moments remplis de vide, sur le quotidien qui éviscère ce genre de long voyage, répandant sur les pâquerettes tout juste écloses et les flocons de neige à peine tombés l'ennui et le doute, l'incertitude d'un jour parvenir à cet autre bout du monde fantasmé par le voyageur. Plume Brisée ne s'était pas attardé sur la lenteur du périple d'Ivan ; Ivan avait enjambé la Russie d'un seul coup, en quelques mots, parce qu'il avait un but et qu'il était destiné, par le dénouement, à l'atteindre.

Était-il destiné à retrouver Isis ?

Ses yeux se promenèrent sur les pupilles mordantes des braises. Elles menaçaient toujours de vous sauter à la figure lorsqu'elles étaient observées avec trop d'insistance, une étincelle de larme embrasant un regard impudique. Les alentours craquelaient continuellement, digéraient leur déchéance, mastiquaient ce qui pouvait encore l'être. Kokoï était intéressée par l'endroit qu'il avait évoqué, dont les contours éphémères tremblaient derrière la fumée.

Il réfléchit afin de lui donner une réponse, tentant de chasser de son esprit le but ; le but vers lequel le tendait le destin, cet arc dont les flèches se perdent parfois jusqu'à l'autre bout du monde.

" Une forêt, " dit-il finalement, énonçant clairement comme il en avait l'habitude, avec ce timbre de voix profond et presque creux, " Aux arbres immenses. Je pense que si quelqu'un la cherchait assez longtemps et avec assez de courage, il la trouverait. "

Il sourit à la jeune pouliche. Son histoire était finie. Les histoires finies laissaient dans la bouche un plaisant goût d'achevé ; mais seule la mémoire pouvait ensuite faire revivre le récit. Et il le ferait revivre un autre jour, dans un autre endroit, face à une autre personne. Qui sait, Kokoï raconterait-elle aussi peut-être un jour, à quelqu'un, loin d'ici, l'histoire de la princesse grenouille.

" Rentre bien, Kokoï. Je te souhaite une bonne et une longue vie sur les terres de cette île. Elle n'est pas toujours gentille avec tout le monde ; mais les plus sages semblent vivre sur Horse-Wild en paix. "

Plume Brisée jeta un dernier regard à la pouliche.

Puis la fumée consuma progressivement sa présence, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point hésitant à l'horizon.

J'hoche lentement la tête, j'ai bien entendu les paroles de Plume Brisée, je trouverai cette forêt. Je le remercie pour ses bons mots et le regarde disparaître avec la sensation d'être moi-même un personnage de conte de fée avant de faire mon chemin loin des Braises Éternelles. J'y retournerai.

FIN.