yellow summer

Maha marchait dans la plaine, intriguée par cette herbe de couleur jaune. C'était amusant ! Elle renifla et elle en prit une petite bouchée pour la goûter. Elle ne semblait pas bizarre, alors elle s'autorisa à manger pour calmer la faim qui la tenaillait. Elle leva ensuite la tête pour profiter du soleil qui lui réchauffait doucement le dos. Le nez en l'air, elle voulait profiter du soleil au maximum.

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Brod venait d’arriver sur ce nouveau monde et déjà il s’était imprégné de l’odeur des terres Secrètes. Allez savoir pourquoi, même lui n’en avait aucune idée, il s’était entiché de ce coin-ci et avait décidé d’y poser bagages. Peut-être était-ce le manque de dominant qui lui soufflait un faux air de liberté tout en lui offrant un point où retourner. Bref, Brod était devenu un Secret.

Fier de ce qu’il était devenu, l’étalon noir trottait les membres bien haut, le nez relevé pour bien montrer son incroyable moustache et le toupet en travers du visage, le rendant borgne pour un temps. En vérité, le mâle ne savait pas exactement dans quoi il s’était engagé, mais il s’était dit que le contrat n’était pas à vie et qu’il lui permettrait peut-être de trouver plus facilement la trace de son jumeau.

L’herbe jaune craqua sous son poids et Brod eut la mauvaise idée de baisser la tête pour regarder. Ses gros sabots brisaient la végétation séchée et il s’attrista de son trop-plein de force qu’il n’arrivait pas à gérer. Comme il aimerait flotter au-dessus du sol sans l’écraser ! Puis, soudain, un voile noir recouvra son champ de vision. Il s’arrêta net, donna de petits coups d’œil de côté et dut bien se rendre à l’évidence : il n’y voyait plus rien. Ses longs crins ne laissaient passer que de fins rais de paysage qu’il lorgna sans en deviner les contours. Tant pis ! Il était hors de question qu’il dérange sa magnifique chevelure.

Cela aurait pu être une bonne idée. Vraiment. Sauf que dans sa maladresse infinie, Brod s’emmêla les pattes et s’écrasa au sol dans un vacarme assourdissant. Les herbes jaunes le recouvrirent et s’accrochèrent à ses crins. Tout penaud, l’étalon avait trop honte pour se relever et ne fit que bouger la tête dans l’espoir de trouver une meilleure position. C’est ainsi qu’il sentit, du bout de sa belle moustache, un objet qui se tenait devant lui. Intrigué – et n’y voyant toujours rien – Brod leva plus haut le museau et frôla de ses vibrisses l’objet-non-identifié. Alors qu’il remontait à une bonne vingtaine de centimètres, il n’eut plus aucun doute : il s’agissait d’un pied.

Venait-il de caresser la jambe d’un inconnu avec sa moustache ? Sans aucun doute. Et l’odeur lui susurrait à l’oreille qu’il s’agissait d’une jument.

Voilà qui commençait bien.

La renarde continuait de manger de l'herbe jaune sans se doute de ce qu'il allait se passer. Elle avançait lentement, inspirant à pleins poumons la bonne odeur de l'été, et goûtant à ce goût exaltant qu'avait l'herbe jaune. Pourtant, cela semblait-être une herbe comme les autres, mais sa couleur ne trompait guère, elle avait effectivement quelque chose de spécial. Peut-être le goût ? Non, la rousse l'aurait remarqué. Peut-être un pigment un peu farfelu alors.. Oui, c'était sûrement cela.

Maha entendit d'abord des bruits de pas puis un gros bruit, comme une chute. Elle se tourna, regarda l'horizon sans rien y voir. Elle avait effectivement oublié de regarder derrière elle, par terre. Le bruit n'était plus qu'un crissement d'herbe amusant. Un petit sourire s'accrocha à ses lèvres mais il disparut immédiatement quand elle sentit quelque chose remonter le long de son postérieur.En plus de ça, elle avait ses chaleurs, alors complètement paniquée, elle fit un énorme bond en avant, les oreilles cachées dans sa crinière alezane.

La renarde se tourna vers le responsable de sa frayeur et elle aperçut un gros cheval noir avec des balzanes et une liste, et.. et une moustache ?! Elle retint un gloussement tant ce cheval là était ridicule. Mais elle retiendrait surtout le fait qu'il venait de lui toucher la jambe ! Menaçante, elle pencha la tête vers l'étalon, les naseaux pincés par la colère.

- Qui êtes vous ? Et comment osez-vous me toucher de la sorte ? demanda-t-elle avec hargne, faisant claquer ses dents vers le museau de l'étalon. Je vous interdit de m'approcher, c'est bien clair ? D'ailleurs votre moustache, c'est du plus hideux appareil ! siffla-t-elle avec colère.

Etant énervée et un peu choquée, elle ne pesait nullement ses mots, mais à qui la faute ?

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Brod regrettait amèrement sa chute. Il se fichait un peu de sa dignité écrasée par sa maladresse, mais ce contact non-voulu avec une jument inconnue le mettait profondément mal à l’aise. Que faire ? Il n’osait plus bouger de peur de la toucher à nouveau !

Soudain, la jument bondit en avant et l’étalon secoua la tête pour tenter d’y voir clair. Ses crins retombèrent dans l’herbe et il découvrit une belle dame de robe rouan qui le fixait d’un drôle d'air. Il aurait pu tuer quelqu’un qu’elle l’aurait mieux lorgné que cela ! L’Irish se sentit plus bas que terre et aurait souhaité s’enterrer immédiatement, connaître une mort subite pour ne pas avoir à supporter cela.

L’étalon sursauta quand la belle dame s’énerva sur lui. Il se recroquevilla sur lui-même et, l’air d’un poulain battu sur le visage, attendit que la tempête passe. Il avait mérité ces mots, mais ils sonnaient à ses oreilles comme une sentence terrible. Qu’avait-il fait ! Il n’osa pas loucher sur sa moustache, peut-être avait-elle été abîmée par le contact de la jument… Non ! Il ne pouvait pas penser ainsi. C’était à l’inconnue qu’il avait fait du mal !

Brod aurait souhaité se relever, mais les derniers mots de la belle l’achevèrent complètement. Son incroyable pilosité, un hideux appareil ? Il ne voulait pas y croire ! C’était sa plus grande fierté ! Devait-elle être si méchante ? Il n’avait fait que la toucher. S’il avait su, il aurait pu en profiter pour la mordre, tiens ! Elle n’en aurait pas dit moins !

L’Irish ravala sa pseudo-colère en sentant la douce odeur de la jument. Ainsi donc, était-ce cette période. Son crime était atroce, il l’avouait sans peine. D’ailleurs, il n’était pas sûr de vouloir approcher celle-ci de trop près. Et s’il succombait à ses charmes ? Si elle essayait de l’ensorceler pour avoir un enfant ? Il n’en voulait pas, bon dieu ! Tout sauf ça.

Brod, souffla-t-il, la voix tremblante de tristesse. Croyez bien que je ne voulais pas vous… voyez, je n’ose même pas en parler ! (Sa voix grinça, plaintive.) Aaaaah… Abattez-moi sur-le-champ, madame. Je mérite la colère du monde, assurément.

Il en rajoutait un peu, mais que voulez-vous…

Le gros noir jugea qu’il était temps de se mettre debout, au moins par respect pour la dame, mais une nouvelle crainte s’empara de lui. Il était si maladroit ! Que faire si la jument ne s’était passez reculée et qu’il lui rentrait dedans ? Il se connaissait, il était capable de le faire en voulant l’éviter. Bah ! Tant pis !

Brod poussa sur ses jambes, bascula vers l’avant, reprit dangereusement un semblant d’équilibre et se mit enfin debout. Au moins, il n’avait pas percuté la jument, mais il était très près d’elle et cela ne lui plaisait pas. Et si l’envie lui prenait d’essayer de lui arracher sa belle moustache ? Non, non, il ne pouvait pas laisser cela arriver. À gros pas lourds, Brod recula pour instaurer une distance de sécurité entre lui et la rousse.

Je comprends votre colère, mais tout de même ! Ne vous en prenez pas à ma moustache. (Il gonfla le poitrail, très fier de ses vibrisses.) Allons bon ! Avouez que la colère vous aveugle. C’est certainement la plus belle moustache que vous ayez vue.

Il n’admettrait pas qu’elle dise le contraire. C’était qu’il en prenait grand soin !

L'alezane pointa légèrement pour abattre ses sabots sur le sol, juste devant les naseaux de l'imposant étalon. Mais pour qui se prenait-il au juste ? La colère lui enserra le cœur, elle avait envie de vomir. Pacific, lui, dormait tranquillement entre ses deux oreilles, bien accroché comme toujours. Une dernière fois, elle fit claquer ses dents vers la moustache de l'étalon avant se reculer, les oreilles plaquées contre son encolure, laissant apparaître le caneton.

- C'est surtout d'une laideur surnaturelle ! lâcha-t-elle en faisant une mine de dégoût. Je ne comprends pas pourquoi vous vous obstinez à la garder. Je vais vous l'arracher et là vous pourrez pleurer, non mais ! siffla-t-elle, les dents serrées.

Le caneton poussa un petit cri d’approbation tandis que la renarde toisait le grand cheval et sa laide moustache d'un œil critique. Finalement, après avoir levé les yeux au ciel, elle soupira.

- Je m'appelle Maha, dit-elle sans grande envie.

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Décidément, Brod trouvait la jument bien violente. Il n’avait pas attenté à sa vie et n’essayait pas non plus de la forcer à quoi que ce soit. Il ne la touchait plus, d’ailleurs et prenait soin de ne plus l’approcher de trop près. Mais non, cela ne lui suffisait pas.

En plus d’être violente, elle était méchante. Avait-elle besoin de s’en prendre avec tant de hargne à sa belle moustache en guidon ? Il ne croyait pas un mot de ce qu’elle disait. Assurément, la colère prenait le pas sur le bon sens. Elle ne voulait pas avouer que ses vibrisses étaient les plus belles du monde simplement parce qu’elle avait honte d’avoir été touchée. Peut-être même essayait-elle, en vérité, de cacher qu’elle était chatouilleuse des boulets.

Le grand noir releva la tête et pointa ses oreilles en avant. Que voyait-il ? Un petit caneton jaune et noir enfoui dans sa crinière ? Et elle osait lui faire la morale sur sa moustache ! Était-elle mieux lotie que lui ? Il en doutait. Au moins, lui, il ne laissait pas n’importe qui lui chier entre les deux oreilles.

Dîtes donc, ma petite dame ! C’est un peu se moquer du monde, là. Vous avez une boule puante sur votre tête et vous critiquez ma moustache. Ça n’a pas de sens. (Il pencha la tête de côté, sans comprendre ce qu’elle attendait de lui.) Que voulez-vous que je fasse ? Prendre une paire de ciseaux avec mes grosses paluches ? Demander à un crabe de me serrer la pince ? Je n’aime pas faire du mal au monde, madame, mais si vous me touchez, vous le regretterez. (Il recula, par prudence.) Enfin bon, réfléchissez ! Personne ne vous a jamais menacée de vous arracher les crins parce qu’il n’aime pas les rousses. Laissez-moi tranquille et ma moustache aussi.

Brod renâcla, peu content du traitement qu’on lui infligeait. Il était arrivé depuis peu et il se faisait déjà maltraiter. Il était encore jeune, ne pouvait-on pas lui pardonner sa maladresse ? Non, cette jument était butée comme jamais personne avant elle. Mais elle lui disait son nom et cet élan de sympathie laissa l’étalon totalement perdu. Un coup elle voulait le tuer, un coup elle redevenait calme. Était-elle lunatique ? Ou était-ce simplement sa période qui la mettait dans tous ses états ? Il préféra ne pas demander.

Un joli nom, mais vous devez déjà le savoir, souffla-t-il, légèrement boudeur. N’accepterez-vous jamais mes excuses ? Je suis maladroit, mais je jure que je ne recommencerai pas !

- Ce n'est pas une boule puante ! s'offusqua-t-elle en plaquant ses oreilles contre son crâne, mécontente. Il est très bien élevé, et il n'est pas sale ni laid comme votre moustache, répliqua avec un sourire insolent.

Le dénommé Brod avait le don de l'énerver, alors elle leva les yeux au ciel, et elle secoua légèrement la tête, poussant un soupire plus qu'excédé. C'était sûrement à cause de ses chaleurs, déjà qu'elle n'aimait pas ça, ça lui perturbait les hormones et les neurones. Finalement, décidant qu'elle lui avait déjà fait assez de remontrances, elle avoua sa défaite en redressant ses oreilles vers le gros étalon noir. Elle inclina légèrement la tête en signe d'arrêt de leur dispute inutile.

- Oui, beaucoup me l'ont dit. J'avoue que Brod, c’est original, finit-il par lui dire. Je les accepte, et je m'excuse, j'ai réagit un peu trop fort, j'en suis désolée mon grand monsieur.

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Brod était bien d’accord avec la rousse. Son canard apprivoisé ne semblait pas puer. En vérité, il le trouvait incroyablement mignon, blotti ainsi entre ses deux oreilles, plongé dans un sommeil que leur dispute ne dérangeait pas. Ce qui faisait de lui un objet de peur pour Brod le Maladroit. Il jaugeait trop peu sa force pour oser toucher un être aussi petit. Pour l’oser, il respectait Maha. Ses mots, par contre, il ne les aimait toujours pas.

L’étalon noir détourna la regard. Il ne voulait plus supporter ses mots méchants. Son crime méritait-il si grande peine ? Il aurait eu envie de dire non, mais au fond de lui il savait que si. Brod loucha sur sa moustache en guidon et soupira. Qu’elle le veuille ou non, elle devrait bien supporter la vue de ses vibrisses. Le mâle n’avait pas choisi de naître avec. Certes, il en était fier, mais à bien y réfléchir, avait-il eu le choix ? Il valait mieux pour lui qu’il aime ce qu’il devrait supporter toute sa vie, non ?

C’est irlandais, souffla-t-il du bout des lèvres.

Brod s’arrêta là dans ses explications. S’il lui en disait plus, elle risquerait de se mettre dans une nouvelle colère. Allons bon ! Son nom non plus, il ne l’avait pas choisi ! La jument capitulait et demandait la paix, mais il ne voulait pas courir le risque de réveiller la bête qui attendait la moindre occasion pour lui crier dessus. Peut-être n’aurait-il jamais dû quitter son pays, là-bas au moins, l’on savait respecter son incroyable pilosité.

C’est un caneton ? (Brod préférait changer de sujet.) Où… où sont ses parents ?

L’étalon s’étrangla avec ses mots, la panique dans les yeux. Il n’avait pas vu de cane ni de canard, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’y en avait jamais eu dans la plaine. Il était arrivé sans voir devant lui, à cause de son toupet trop fourni. Et… et s’il…

Prudemment, Brod baissa la tête et leva l’antérieur gauche. Rien. Il leva l’antérieur droit et bondit en arrière. Une plume ? Il n’avait pas la meilleure vue du monde, mais ça y ressemblait un peu. Avait-il écrasé maman ?

Non, non, non, non, non, non… (Il releva des yeux brillants de peur et de tristesse sur la jument rousse.) Dîtes-moi que c’est faux…

Elle passa outre la dernière remarque de Brod sur son nom et elle leva simplement les yeux au ciel. A la question de l'étalon noir, Pacific leva la tête et il poussa un petit cri tandis que Maha hochait la tête avec douceur pour ne pas trop secouer son ami à plume.

- Oui, il les a perdu. Quand je l'ai trouvé, un étalon noir nommé Sorrow le menaçait, alors je l'ai récupéré pour le sauver. Je suis sa seule famille désormais, lui conta-t-elle tandis que ses oreilles s'agitaient légèrement.

Quand il se mit à paniquer, elle leva de nouveau les yeux au ciel et elle émit un rire amusé avant de secouer sa crinière rousse tandis que le caneton piailler, comme si il riait lui aussi.

- Non, non, ne vous inquiétez pas, vous n'avez rien fait de mal, le rassura-t-elle en haussant un hypothétique sourcil.

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Brod était un meurtrier. Son crime ne serait jamais pardonné. De pauvres petits canards envoyés en Enfer par sa maladresse. Un caneton devenu orphelin qui le regardait déjà d’un mauvais œil. Il lisait la vengeance dans son regard ! Le touffu allait grandir avec cette idée en tête et il viendrait ensuite égorger le mâle dans son sommeil. Ou il l’affronterait face à face, comme un homme ! Dans tous les cas, Brod mourrait à moins d’arriver à se défendre. Ou de prendre les devants. Il plissa les yeux pour examiner ses chances. S’il donnait un coup de boule au caneton, il ne manquerait pas d’assommer la jument par la même occasion.

Il choisit donc le long chemin de la vengeance.

Quoi ? (Brod revint sur terre et pointa les oreilles vers la jument.) Perdus, vous dîtes ?

L’étalon noir baissa les yeux sur la plume à ses pieds. C’était bien une plume, il n’était pas fou. À qui était-elle, alors, si ce n’était pas à maman cane ou papa canard ? Il n’y avait aucune trace de volatile dans le ciel et aucun arbre où l’un d’eux aurait pu se poser.

Vous me rassurez, j’ai eu peur d’avoir fait une bêtise. (Il sourit, mais le cœur n’y était pas, encore secoué par la peur du meurtre.) Mais à qui est cette plume, alors ?

Brod eut la brillante idée d’essayer de la ramasser.

Un peu trop brutalement, il baissa la tête et ses lèvres butèrent contre la terre à quelques centimètres de sa cible – il ne savait pas viser. La douleur lui arracha une grimace et il sentit un léger goût de fer dans sa bouche. Il avait frappé trop fort.

Un peu honteux, le mâle recommença la manœuvre, plus doucement cette fois. Il posa ses lèvres sur la plume, pinça et releva la tête, fier d’avoir réussi son coup. Sauf que maintenant, il ne pouvait plus regarder la plume.

Il loucha comme il put, mais ne vit pas grand-chose à part une longue forme floue de couleur blanche avec quelques petites taches rousses.

Si elle n’est à personne, vous devriez la garder, dit-il à Maha, tout en tentant de garder l’objet entre ses dents. Elle irait bien avec votre robe.

Brod sourit et la plume retomba au sol dans un tournoiement gracieux. Il n’était vraiment pas très doué, le pauvre.

- Je ne sais pas à qui est cette plume, mais je sais que vous vous montez beaucoup trop la tête, lui dit-elle en observant la plume au sol.

Et un sourire tendu s'accrocha à ses lèvres quand il tenta de la ramasser, sans succès. Il recommença et elle l'observa avant de regarder la plume attentivement. Elle secoua sa crinière alezane pour la mettre bien comme il faut tandis que Pacific voulait descendre. Elle baissa la tête et le caneton sauta au sol pour s'éloigner en gambadant joyeusement. Elle observa la plume qui venait de tomber et elle la ramassa avant de la donner délicatement à Brod.

- Si vous voulez bien me la mettre dans la crinière, je vous en serais reconnaissante.

Elle se déplaça de manière à ce qu'il puisse lui accrocher la plume dans les crins et elle baissa légèrement la tête pour qu'il puisse voir quelque chose avec son imposante crinière noire. Elle resta bien immobile et silencieuse, attendant qu'il finisse.

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Brod était bien d’accord avec la rousse. Il se prenait trop la tête, mais comment pouvait-il faire autrement ? On lui avait souvent reproché d’être trop maladroit, de ne pas faire attention, d’être trop violent et de ne pas savoir canaliser sa force. Il faisait tout mal quand il voulait faire bien et détruisait au lieu de construire. Un vrai désastre ambulant, assurément.

L’étalon noir se crispa tout entier quand le caneton sauta à terre. Sa respiration se fit plus sifflante et il fixa ses yeux droit sur la boule de duvet. Il était bien trop petit dans les herbes jaunes – jaunes ! – et dépassait à peine avec sa petite tête toute mignonne. Le mâle se décida donc à ne plus faire le moindre mouvement. S’il touchait par mégarde la petite chose, il y avait peu de chance que celle-ci s’en sorte vivante.

L’irish réceptionna la plume comme il put et fixa la crinière rousse de Maha. Comment devait-il s’y prendre ? Il avait déjà accroché une rose dans les crins d’une jument, une fois. Il s’était griffé les lèvres une centaine de fois avant d’arriver à son but et, plusieurs heures après, la jument l’avait tant disputé qu’il n’avait pas bien compris ce qu’elle lui reprochait. Comme la rousse, c’était pourtant elle qui lui avait demandé de le faire. Apparemment, les épines lui avaient fait mal à l’encolure et tiraient douloureusement sur sa crinière. Mais comment Brod aurait-il pu savoir ?

Che vais echayer, dit-il les dents serrées sur la plume pour ne pas la faire tomber.

Heureusement, il n’y avait pas d’épines sur une plume. Malheureusement, cela voulait dire qu’elle adhérerait moins aux crins de la jument rousse. Brod réfléchit longuement à la meilleure manière de s’y prendre, mais aucune illumination divine ne le frappa. À la place, une nouvelle peur l’étreignit : et s’il lui bavait dessus en essayant d’accrocher la plume ? Il frissonna à cette idée et préféra ne pas y penser. Il se lança enfin sans aucun plan.

Brod tapa un peu plus fort que prévu son museau contre l’encolure de Maha. Il grommela une excuse sincère et coinça rapidement la plume dans ses crins roux. Puis il s’écarta, non sans vérifier soigneusement que le caneton ne s’était pas faufilé derrière lui.

Et voilà ! Une vraie beauté !

Il préféra ne pas préciser que la plume tenait par miracle et qu’elle risquait de tomber bien vite. Il avait fait assez de mal comme ça pour aujourd’hui.

Dîtes-moi, Maha, ça fait longtemps que vous êtes sur l’île ?

Le noir comprit un peu tard que l’on pouvait se méprendre sur ses mots et que la susceptibilité de la jument ne manquerait pas de s’insurger. Non, il ne faisait pas allusion à son âge ! Il pensait simplement qu’il s’agissait du bon moment pour se renseigner sur son frère. Après tout, c’était pour lui qu’il était venu sur cette île.

Elle resta bien immobile tandis qu'il lui mettait la plume dans les crins. Il lui donna d'abord un petit coup puis il arriva à bien viser pour lui coincer dans sa toison rousse. Elle le gratifia d'un regard reconnaissant pour ce qu'il venait de faire. Il n'était peut-être pas aussi mauvais que ce qu'elle pensait finalement.

- Merci, finit-elle par dire avec un petit sourire.

Elle réfléchit à sa question. Depuis combien de temps ? Peut-être quelques mois maintenant. Elle ne savait pas trop et puis la notion du temps, c'était pas vraiment pour elle. Elle pinça ses naseaux, peu certaine de sa réponse.

- Quelques mois tout au plus. Et vous, nouveau je suppose ? dit-elle en penchant légèrement sa tête sur le côté.

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Brod gonfla le poitrail de fierté. Si ses rapports avec la jument rousse avaient mal commencé, voilà qui était bien mieux. Elle le remerciait pour la broche improvisée ! Il inclina la tête, mais n’ajouta rien de peur de tout gâcher.

Il se rassura en constatant que Maha n’interprétait pas mal sa question. Il n’essayait pas de deviner son age, ce qui avait très peu d’importance pour lui. Non, il pensait simplement que c’était le bon moment pour parler de son incroyable quête avec la jument. Après tout, elle avait peut-être entendu parler de son frangin, ce qui l’aiderait grandement.

Nouveau, en effet, dit-il en portant son regard sur l’horizon, comme s’il était le héros principal d’un film un peu naze et qu’il se plongeait dans son triste passé. Il n’était rien de tout ça, bien entendu (et il ne voyait même pas la ligne d’horizon). Je suis venu ici dans l’espoir de retrouver mon petit frère, fragile créature qui a besoin de ma protection. Mais ma quête est plus ardue que prévue. L’île est si grande…

Il glissa une œillade vers la rouquine dans l’espoir qu’elle interprète son appel à l’aide et qu’elle lui dise si oui ou non elle avait déjà rencontré un mâle comme lui. Pas un moustachu, bien entendu, mais un gros patapouf, oui.

Elle écouta ses paroles, et capta son regard plein d'espoir qu'elle ne pouvait satisfaire. Elle ne connaissait aucun étalon qui portait ce genre de description. Alors un sourire un peu gêné prit possession de ses lèvres charbonneuses tandis qu'elle l'observait, un mine désolée sur le visage.

- Et bien j'espère pour vous que vous le retrouverez, mais je n'ai aucune idée de qui cela peut-être. Je n'ai, à ma connaissance, rencontré aucun étalon avec cette description. Votre quête est belle, et j'espère que vous réussirez à la mener. Je vous souhaite bonne chance Brod. Malheureusement, elle leva le nez vers le ciel puis elle observa les alentours. Le devoir m'appelle, je dois retrouver mon conjoint avant la nuit. Je suis désolée de vous laissez en plan, mais je n'aime pas le décevoir. Prenez soin de vous et de votre moustache, et si je trouve un étalon qui ressemble à cette description, je lui ferais part qu'un certain Brod le cherche sans répit. Au revoir, finit-elle par dire en lui glissant un sourire.

Sur ces mots, elle poussa un léger sifflement et Pacific arriva en courant. Elle baissa la tête pour le prendre avec elle et elle fit demi-tour pour s'élancer au galop et retrouver Oklaan.

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Brod regarda la jument partir, la tristesse au bord des lèvres. Ces dernières paroles lui laissaient un arrière-goût de désespoir qu'il tâta d'une vilaine grimace et repoussa d'un coup de moustache. Elle ne connaissait pas son frère et c'était bien dommage. Bah ! elle n'était que sa première rencontre sur l'île, il ne devait pas se laisser abattre.

Le gros noir tourna les talons - non sans arracher une grosse motte de terre au passage - et s'enfuit dans un galop lourd de mauvais sentiments. Il finirait pas trouver, oui, oui.

Non ?

FIN

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