Il s’enfonce dans le passage saccagé par les mains meurtrières des humains. Les longs doigts griffus de la nature, parfois fatale, qui règne sur la Vallée de Ronces s’étirent devant lui comme pour l’empêcher d’aller plus loin que les hommes l’ont fait.
No. Thirteen renâcle, la mâchoire occupée. Il a tiré la machette de sa cachette et balance méthodiquement la tête de droite à gauche afin de passer sans encombre entre les buissons épineux qui l’entourent. Il sait qu’il ne croisera pas de bipèdes dans le coin.
Son enquête dans le Royaume des Singes ne lui a pas appris grand-chose, si ce n’est que les jeunes entiers de l’île ne savent pas rien. A moins qu’il ne s’agisse que des rejetons de Nazz’ariah et dans ce cas là, il les plaint. Lui-même a quitté sa fille à regret.
Il taille ce chemin dans les ronces pour qu’elle puisse s’y réfugier au besoin. Hyuna’ et Morrigan’ sont dans les parages, il les a suivies dans l’ombre jusqu’à ce qu’elles rencontrent une jument blanche qui est visiblement une amie de la belle noire.
Il ne s’est pas attardé car la conversation qu’elles tiennent ne le regarde pas. Le borgne avance pas à pas, jusqu’au plus profond de la Vallée et crache finalement la machette dans un buisson devenu inoffensif. Au bout, la vue qui l’attend lui coupe le souffle.
Le crème bat des cils et fait quelques pas de plus pour admirer les gorges verdoyantes d’un peu plus près. Il se trouve en bas d’un ravin où la végétation a repris ses droits et n’avait pas conscience du dénivelé avant de parvenir à l’espace dégagé où il se trouve.
Là où la Vallée de Ronces est sombre et humide, les Gorges de Galamus sont moites et ensoleillées. L’étalon en a brièvement entendu parler lors des quelques rassemblements auxquels il s’est mêlé et se réjouit de les avoir trouvées. Morrigan’ y sera en sécurité.
J'ai entendu dire que les humains étaient présents sur notre île. Qu'ils rodaient comme des rats hors de leur terrier, comme des chiens qui cherchent à déterrer un os. Beaucoup de chevaux ont croisé leur trace, sans les voir, mais personnellement, je n'ai encore rien vu. Je me souviens parfaitement des initiales présentes sur la souche, le squelette dans l'arbre, le bruit d'explosion, le diadème ... Mais tout cela vient-il des humains, les mêmes humains, dont j'entend parler ? Je ne saurai le dire. A une époque, je me serai sans doute renseignée sans peur, je serai partie à leur recherche sans crainte, mais aujourd'hui c'est totalement différent. Aujourd'hui, j'ai peur de les croiser. Qu'ils me capturent, qu'ils capturent ma famille ou de tout simplement les rencontrer. Fantôme me les a décrit : il m'a dit qu'ils nous ressemblaient, seulement ils possédaient que deux jambes, avaient un regard complètement différent et des chevaux d'étranges couleurs. Ils avaient aussi un dialecte complètement incohérent. Comment avait-il pu les approcher sans crainte ? Comment avait-il pu rester près d'eux sans être dégoûté ? Je ne comprendrai vraiment pas.
Mes sabots se posèrent délicatement sur les ronces près de moi. Un ronflement des naseaux et je secoue la tête, oreilles en arrière. Ils étaient passés par là, leurs traces étaient toutes fraîches. Comment pouvait-on les laisser fouler nos terres sans se poser de questions ? Comment avons-nous pu éviter leurs traces ? Comment avons-nous fait pour ne pas les voir ? Sommes-nous si imbéciles que cela ? Sommes-nous si invisibles ? Je n'espère pas. Un regard à droite, à gauche, ils étaient effectivement passés par là. Un profond soupir et je pris rapidement le trot. Il était temps que je découvre leur cachette, que je vois où ils vivent. Mes naseaux rasaient le sol, tandis que je tentais de connaître leur destination. Bientôt, je tombais sur des traces équines : un cheval était passé par là. Alors, sans hésiter une seule seconde, je suivis les traces sans me douter de la personne que je rencontrerais. J'espère sincèrement que ce soit un cheval de mon troupeau. Mais pas mon père, pas Superbia, ou même Thirteen. Ils me détestaient tous les trois, donc il était hors de question que je les croise.
Finalement, au bout de plusieurs minutes de traque, je me retrouvai dans un endroit que je ne connaissais pas du tout. Les Gorges du Galamus. Beaucoup m'en avaient parlé, surtout Papa. Et effectivement, elles étaient aussi belles qu'ils le disaient. L'herbe était d'un vert superbe, l'odeur était aussi douce que l'ambiance et le vent n'apportait que des bonnes choses. Soudain, mon regard se porta sur une présence : un étalon crème. Mes oreilles se mirent en arrière immédiatement : Thirteen. L'étalon que je ne voulais absolument pas le voir, puisqu'il me détestait. Mais j'avais promis quelque chose. Sans hésiter, je pris le trot et me mit à côté de lui, redressant mes oreilles. Il fallait que je mette de l'eau dans mon vin, que je me calme et tente de me faire d'autres alliés.
" Il faudra protéger cet endroit, si les humains nous attaquent. " dis-je, plus pour moi que lui.
La végétation est perturbée par des pas légers. No. Thirteen piaffe, il ne s’attend pas à avoir de la compagnie et n’est pas plus sociable que d’habitude.
L’odeur le prend soudain à plein nez. Elle ne lui est pas vraiment familière et la fragrance fertile qui accompagne la jument le rebute. Encore un rejeton de Nazz’ariah ?
Ah, l’aînée. Le borgne ronfle des naseaux et ne se tourne pas vers Hallelujah. La fille de Cyrius s’empresse de venir se poster à ses côtés.
- Bonjour, marmonne-t-il à contrecœur.
Il faut bien que l’un d’eux fasse preuve de bonnes manières et il sait d’expérience que la pouliche n’en a pas. Elle a bien grandi, se souvient l’entier.
Le crème l’a brièvement aperçue aux côtés de Hyuna’ à la fête mais ne lui a pas adressé la parole car elle ne lui a pas non plus prouvé qu’elle savait faire la conversation.
- Je ne pense pas que cela soit nécessaire, les Ronces les ont déjà repoussés une fois. Ils seraient bien malheureux s’ils s’y égaraient.
Mon regard se porta sur l'horizon et un frisson étrange traversa soudainement mon corps entier. J'avais comme le sentiment que quelque chose de grand, de grave allait se produire. Quelque chose que je ne pouvais contrôler, comme la plupart qui se passait actuellement. Comme la dispute avec Papa ... Certes, je n'y étais sans doute pas allé de sabots morts avec Superbia, certes, je n'ai pas été la plus gentille. Mais elle le méritait. Ou pas. Mais pour moi, elle le méritait : elle n'avait pas sa place dans ma famille. Non pas qu'elle soit un monstre, non pas qu'elle soit mauvaise mais je ne la supportais pas. Son physique, sa voix, tout chez elle : je ne supportais rien chez elle. Pourquoi ? Même moi, je ne comprenais pas. Même moi, je ne saurais réellement dire une raison. Peut-être qu'un jour j'en trouverais une, ou peut-être n'y aurait-il jamais de raison. Mais une chose est sûre, je me calmerai sur les insultes, sur tout ce que j'ai pu dire sur elle. Oh pas pour elle, je me moque que ça la blesse ou non, mais surtout pour Papa et notre relation. Je ne supporterais sans doute jamais qu'il me renie et disparaisse à jamais de ma vie.
Finalement, mon regard se porta ensuite sur Thirteen. Il n'avait pas changé. Il avait toujours ce regard sombre et sévère. On avait jamais véritablement discuté ensemble, c'est pourquoi je ne comprenais pas sa haine envers moi. Etait-ce car je ne lui ressemblais pas ? Ou peut-être parce que j'avais un comportement qu'il ne supportait pas ? Il y avait tant de raison en réalité. Ou peut-être car j'étais bien trop proche de Hyuna' et qu'il avait le sentiment, peut-être, que j'avais une mauvaise influence sur elle. Non, j'allais sans doute bien trop loin. Il ne fallait pas que je devienne aussi parano que Maman,ça me boufferait et ça ferait en sorte que je fuis comme elle. Il en était hors de question. A son premier mot, je secoue la tête. La politesse, j'avais oublié la politesse. Je voulais le surprendre alors, j'ouvre la bouche.
" Pardon, excusez mon impolitesse. Bonjour à vous aussi. " dis-je le plus calmement possible.
Finalement, à ses autres paroles, j'eus un regard un peu sceptique. Oh bien entendu, les ronces étaient connues pour faire en sorte que les gens s'y perdent, ou tout simplement se vautrent et se fassent mal. Ensuite je secoue la tête.
" Et s'ils faisaient semblant de s'égarer pour nous capturer ensuite ? " demandai-je avec la curiosité d'une enfant.
No. Thirteen n’a pas entendu parler du fiasco de la fête organisée par Cyrius, d’ailleurs il ne s’est pas demandé comment ce rassemblement s’est terminé. Les relations du dominant avec le reste de l’île ne l’importent que lorsqu’elles concernent Hyuna’ et Morrigan’ ou, dans une moindre mesure, lui. Il faut bien occuper le borgne et l’étalon alezan lui a donné le but qu’il lui fallait.
Un sourire sauvage déforme ses traits à cette pensée. Il trouvera bientôt la trace de sa cible.
Les humains ne l’empêcheront pas de chasser cet étalon à travers l’île s’il le faut et le crème se dit même que les bipèdes seront un bon prétexte pour expliquer une disparition inattendue. Qui remettrait ses paroles en cause ? Lui-même a échappé aux humains, ce ne serait que leur rendre la politesse que d’offrir un remplacement. Il plaint leur future victime.
Peut-être sera-t-il clément et laissera les humains en dehors de ça, mais un sacrifice pareil…
Cela ne se refuse pas, si c’est la solution pour qu’ils quittent l’île et ne mettent pas sa fille en danger. Morrigan’ est encore trop jeune pour se protéger seule. Il s’est assuré qu’elle puisse vagabonder à sa guise sur l’île, quoi qu’en pense Hyuna’. Il ne faudrait pas que quelqu’un mette cela à mal en essayant de capturer sa fille, pire, de la domestiquer.
Son expression féroce à cette pensée ne s’efface pas à l’entente des salutations d’Hallelujah.
C’est un peu tard, mais il ne commente pas. Comme toujours, les questions de l’isabelle ne sont pas très pertinentes et il retient un soupir exaspéré pour ne pas alimenter le mauvais caractère de la jument. Le borgne n’a pas de temps à perdre avec une pouliche insolente, car c’est ce qu’elle est encore à ses yeux. Qu’a-t-elle de plus que par le passé, si ce n’est la taille ?
- Les humains font semblant d’aimer, pas d’être égarés. Ils seraient démunis ici, nous aurions l’avantage afin de les exterminer jusqu’au dernier, crache-t-il.
Mais un léger doute effleure son esprit et il décide d’écarter les œillères de son assurance pour vérifier que les bipèdes n’ont pas essayé de se frayer un autre passage parmi les ronces. No. Thirteen sait qu’ils sont déterminés et qu’ils abandonnent rarement avant d’avoir tout essayé, causé le plus de dégâts possibles. Peut-être ont-il attaqué la végétation ailleurs.
Il fait volte-face et s’éloigne des Gorges de Galamus pour longer le rebord.
Je sentais parfaitement la tension présente entre nous deux. Il ne m'aimait pas. Je ne pouvais dire si je l'appréciais ou non, je ne le connaissais pas. Après c'est vrai qu'il m'avait connu dans une période où j'étais la plus atroce, où j'étais la plus vulgaire mais il ne se rend pas compte que le temps change les gens. Ou alors, peut-être est-il égoïste et considère-t-il qu'il vaut mieux garder une image de moi au passé ? Sans aucun doute. Beaucoup font cela. Ils vous détestent pendant la pire période de votre vie et vous le méritez. Vous avez été atroces avec eux, vous les avez insulté, vous les avez blessé et ils ont tellement été humiliés que cette image reste gravée en eux, comme sur de la roche. Je n'irai pas jusqu'à dire que vous êtes devenus leur pire cauchemar, il y a toujours pire, mais vous les avez détruit dans un sens. Alors oui, ils ne veulent qu'une chose ; que vous souffriez autant qu'eux. Que vous vous repliez sur vous-même, que vous vous en vouliez. Ou alors peut-être suis-je simplement parano et imaginais-je des choses qui ne sont que fausses. Sans doute. Ma mère m'a toujours dit que j'étais folle, donc elle avait peut-être raison.
Je me souviens des phrases que ma mère avait pu me dire lorsque j'étais petite ; que j'étais folle comme elle, que je deviendrai comme elle et surtout que quoiqu'il se passe, je ne cesserai de penser à elle. Après, maman a changé de comportement du tout au tout à l'époque de mon enfance. Au début, je ne compris pourquoi. Je ne savais pas pourquoi elle changeait autant de comportement, pourquoi elle devenait ainsi. Etait-elle malheureuse avec moi ? Avait-elle toujours été ainsi ? Je ne saurais le dire. Après, ne dit-on pas que les gênes font en sorte que les enfants prennent le caractère des parents ? Oh bien entendu, ils ont leur caractère propre, mais celui-ci était un mélange des deux comportements mélangés. Alors maintenant, en sachant cela je comprenais parfaitement. Mon ambition, ma vulgarité et ma loyauté venait de mon père. Tandis que mon impulsivité, mon sentiment de ne plaire qu'à moi-même venait de ma mère. Ils étaient moi et j'étais eux. Alors, maintenant je comprenais pourquoi certains chevaux me détestent et surtout gardent cette image de moi. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que je changerai, j'en suis capable, et ils ne me reconnaîtront plus.
Lorsque l'étalon fit volte face et commença à longer les gorges, je restai à ma place tout en l'observant. Il avait raison, sans aucun doute. Ils faisaient semblant d'aimer et non s'égarer, Fantôme me l'avait encore une fois dit lorsque nous avions parlé d'eux. Mais ces humains n'étaient-ils pas comme nous finalement ? N'ont-ils pas un masque qu'ils refusent d'enlever ? Ne font-ils pas semblant pour pouvoir plus facilement nous manipuler ? Sans aucun doute. Lorsque j'entendis les deux derniers mots, un grand sourire apparut sur mes lèvres. Je pense qu'il ne se rend pas bien compte de ce qu'il vient de dire face à moi. Les exterminer jusqu'au dernier ? S'il savait comme je rêve de faire ça avec les humains, autant que d'autres chevaux présents. Mais ça, ça reste entre moi et ma conscience. Finalement, je pris le trot et le rejoignis rapidement, me mettant à côté de lui.
" Pourquoi les exterminer s'ils ne nous ont rien fait ? Ah et au fait, pas la peine d'être si froid avec moi. Il me semble que je ne vous ai rien fait pour l'instant. " J'avais fait en sorte d'appuyer sur le "pour l'instant".
La végétation est intouchée dans cette zone hors du temps, retirée des Trompeuses et loin de tout, surtout des humains. Le reste de l’île peut bien partir en flamme que les Gorges de Galamus semblent destinées à rester inatteignables.
No. Thirteen aimerait s’en convaincre.
Hallelujah le rejoint soudain et se place à nouveau à ses côtés. Le borgne lui adresse une œillade intriguée lorsqu’elle reprend la parole et ne peut contenir un sourire, satisfait. Cyrius n’a pas partagé sa confidence avec sa fille aînée.
No. Thirteen n’aurait pas apprécié.
Certaines choses ne sont pas faites pour être répétées et lui-même garde le secret de la mission que le dominant lui a confié. Il va bientôt partir en chasse, lorsqu’il aura trouvé la trace de sa cible. Cela ne devrait pas être bien difficile.
No. Thirteen a de l’entraînement.
Suivre les pérégrinations de sa fille n’est pas toujours chose facile, mais après cette expérience, il ne doute pas de pouvoir trouver Rekkles lorsqu’il aura les bonnes informations, celles qui lui diront comment continuer.
Car No. Thirteen a déjà commencé.
Pour le moment, il est secoué d’un rire tonitruant, qui le fait s’arrêter pour libérer l’hilarité qui menace de le faire perdre sa froideur habituelle. L’isabelle n’a pas changé et son insolence est presque désolante.
- Et qu’est-ce que tu pourrais bien me faire ?
Son œil mordoré s’assombrit de nuages menaçant, un orage qui noierait peut-être la bêtise de cette petite jument démunie sous une pluie de coups. Le crème cesse peu à peu de rire, intrigué. A-t-elle seulement idée de sa fragilité ?
- T’ai-je un jour, donné ne serait-ce que l’impression d’être chaleureux avec qui que ce soit ?
Même Hyuna’ ne connaît pas la tendresse à ses côtés. S’il est doux, c’est seulement pour ne pas blesser Morrigan’. No. Thirteen n’est pas démonstratif, sauf dans la violence et il contemple un instant l’idée de s’y livrer.
Il veut exterminer les humains afin d’en être débarrassé.
J'en avais vu des paysages en voyageant sur les terres de l'île. Ceux que je préfère ? Ceux des Trompeuses, évidemment. Mais il faut bien avouer que les terres orientales peuvent être bien belles aussi. Que ce soit les Braises éternelles ou la Forêt aux singes. Ceux deux lieux sont vraiment superbes. Oh bien entendu, je n'ai pas vu grand chose quand je suis allée aux Braises, mais malgré le carnage du feu, j'avais pu distinguer quelques buissons épineux et quelques arbres non attaqués. Il y avait des hêtres, des chênes ainsi que des boulots. Ne dit-on pas que les chênes résistent à toutes les intempéries ? Qu'ils sont tellement puissants et centenaires, que même une foudre ne pourrait les abattre ? Cependant, je suis bien consciente que la Jungle est encore plus belle. Infestée de singes évidemment, mais magnifique. Les arbres fruitiers étaient omniprésents, ainsi que les buissons de fraises ou autre. Non, j'aimais réellement bien cet endroit. Mais les singes devraient dégager, c'est sûr. Ou qu'ils partagent leur territoire avec nous.
Brutalement, l'étalon crème eut un rire énorme. Mes oreilles se plaquèrent presque immédiatement dans ma crinière. Il se moquait ouvertement de moi et je détestais cela. Comment pouvait-il oser se moquer de moi alors que je lui parlais calmement ? Bon bien sûr, ma menace n'était pas si subtile que ça mais tout de même. Il n'avait aucun respect pour moi. Je l'avais remarqué dés la première rencontre avec lui. Il ne m'appréciait pas et je ne saurais sans doute jamais la raison. Mon comportement sans doute ... Comme la plupart des gens que je rencontre, en réalité. Sa question fut franche, mais mes oreilles demeuraient dans ma crinière. Il pense qu'avec mon physique, je ne pourrais rien lui faire ? Il ne me connait donc pas. Il pourrait être un Shire, un Ardennais que je foncerais dans le tas. Je n'ai peur d'absolument rien ni personne. Finalement, je m'ébroue un bon coup et redresse mes oreilles. Je n'étais pas là pour faire des hostilités, alors je me calme.
" Pour le moment rien. Mais ne dit-on pas qu'il ne faut pas se fier aux apparences ? Croyez-moi, mon physique ne veut rien dire. "
Il me fixe de son oeil borgne. S'il croit réellement me faire peur, il se fout le sabot dans son unique oeil. Il pourrait être défiguré que j'oserai lui rire aux naseaux. A sa seconde question, j'eus un petit sourire mystérieux. Il n'a jamais été chaleureux, je l'avoue, mais ce n'est pas pour autant qu'il est menaçant vis-à-vis de moi.
" Pas spécialement, mais la menace subtile et la violence ne me font pas peur. On peut être froid sans pour autant être méchant gratuitement. "
C'est l'hôpital qui se fout de la charité, je suis bien d'accord. Mais sa froideur et le fait qu'il me rejette sans raison commencent sérieusement à me gaver, là. Je reste à côté de lui pour fixer autour de moi et marcher calmement.
Le ton d'Hallelujah trahit ses émotions, dont il est témoin du coin de l'oeil. Les oreilles enfouies dans sa crinière d'encre, elle boude.
La silhouette musculeuse du crème évolue avec aisance parmi la végétation. Il n'y a plus aucune épine dans son pied, ni de brèche.
Les Gorges de Galamus seront le lieu idéal pour Morrigan'.
L'isabelle à ses côtés semble se reprendre mais No. Thirteen ne lui adresse pas un regard. Un sourire désabusé flotte sur ses lèvres.
Elle l'accuse de ses propres torts et il hausse un sourcil inexistant, fasciné. Jusqu'où va-t-elle aller ? Plus loin que sa mère ?
- Dis le moi si je me trompe, mais il ne me semble pas t'avoir menacée.
Le profil du borgne se revêtit d'un sourire candide. C'est la fille de Cyrius qui l'a menacé, a tenté de l'impressionner par sa carrure.
Certes, il en a ri. Mais l'hilarité ne menace rien, ni personne. La honte, par contre, pèse sur les âmes et gangrène la confiance en soi.
- Le grand méchant borgne… qu'a-t-il fait de mal ?
No. Thirteen en est bien curieux, tandis qu'il approche d'un bosquet pour l'examiner. Rien à signaler. Il regarde autour de lui. Morrigan' ne serait pas vraiment en danger par ici.
Il écoute, d'une oreille distraite, les reproches qu'Hallelujah a à lui faire. Son oeil mordoré ne s'arrête jamais tout à fait sur elle.
En fait, en ce moment, j'ai le sentiment d'être enfermée dans un personnage qui n'est plus du tout moi. Comme si mon ambition avait empiété sur mon âme ainsi que mon caractère en lui-même. Comment cela avait-il pu se produire ? Comment avais-je pu laisser faire cela ? Pourtant, quand je suis née, j'étais pleine de vie, j'avais confiance en moi et j'avais fait en sorte que le monde soit à mes pieds. Mais maintenant que j'avais grandi, que plus personne n'était là pour moi et surtout que mes propres parents m'avaient complètement abandonné ... Ouais, je crois que c'est tout cela qui a détruit celle que je voulais devenir. Oh bien sûr, je ne perd en aucun cas mon ambition de vue, je veux toujours le trône ... Mais j'ai peur. Peur d'être celle que je redoute, peur de devenir comme maman. Que tout le monde m'aime ? Que tout le monde m'adore ? Je m'en foutais tellement à une époque. Alors pourquoi aujourd'hui, j'avais l'impression que chaque parole prononcée était une menace ? Je ne comprend vraiment pas. Comment avais-je pu changer autant ?
Mes yeux suivaient l'étalon tandis que mon corps s'était complètement stoppé à sa première parole. Il avait raison. Il ne m'avait aucunement menacé, il n'avait fait que rire de mes propres dires. Est-ce la honte qui me rend ainsi ? Mais honte de quoi ? Mes origines ? Ce qu'est devenu ma mère ? Ce que je suis en train de devenir ? Je ne sais pas, mais ça me fait tellement peur si vous saviez. Mon corps refusait toujours de bouger, tandis que mes yeux étaient plongés dans l'horizon. Que se passait-il ? Je ne voyais même plus l'étalon, je distinguais seulement son odeur. Je ne savais même plus où j'étais. En réalité, j'étais complètement plongée dans mes pensées. Ses secondes paroles glissèrent sur ma robe comme une pluie de reproche, mais surtout une réalité qui fait si mal. Je tentai de me mordre la joue pour calmer tout cela, de fermer les yeux, mais mon corps refusait toujours de m'obéir. Mais que se passait-il bon sang ? Je ne comprenais vraiment pas et la peur prenait vite place dans mon corps transit.
" Rien. Absolument rien. Comme tous ceux qui m'entourent en réalité. " dis-je plus pour moi que lui.
Finalement, mes membres se réveillèrent et je secouai la tête. Je fis un pas, deux puis une envie me vint soudainement. Alors rapidement, je pris le trot et commençai à faire le tour des lieux, sans réellement faire attention au borgne. De toute façon, il m'ignorait presque alors ça ne changeait rien pour moi.
Il laisse Hallelujah derrière lui. Ce n’est pas une grande perte et il ne s’arrête pas pour se demander ce qui lui passe par la tête. Que l’isabelle ait fait un arrêt cardiaque ou réalisé quelque chose, il s’en soucie peu.
Sa voix lui parvient cependant et No. Thirteen ronfle des naseaux, amusé. Il la suit d’un œil las tandis qu’elle s’éloigne et ravi d’être tranquille, prend le chemin de la sortie. Il a vu tout ce qui peut l’intéresser.
