I say the right things but act the wrong way [PV]

C'était désagréable de faire la coursière ? Parfait.

" J'ai dit que mon éducation avait quelques lacunes, pas que j'ignorais tout des règles de courtoisie. "

Et un autre de ses sourires apparut. Ils gagnaient en férocité. Il avait envie d'atteindre Kuro et de lui faire mal, comme un enfant désire se venger d'un objet qui lui a inspiré de la crainte alors qu'il est pourtant parfaitement inoffensif. Il ne pourrait sûrement jamais le blesser physiquement - bien que s'il eu fallu en arriver là, il ne se serait pas dérobé - mais lui rappeler son existence, lui faire savoir qu'il avait été si proche et serait bientôt si loin, hors d'atteinte... C'était là une belle perspective, qui le remplissait d'allégresse.

Shiro. Il se demanda comment cette chose là s'était passée. Il n'avait pas revu son fils depuis ce fameux jour, et il n'avait pas pu déterminer s'il y avait eu un quelconque reproche dans ses yeux ternis par l'inertie. Que ferait Shiro de sa vie ? Il avait commencé à se poser la question lorsque le jeune adulte qu'il était n'avait pas abordé l'existence comme lui. Si son cadet lui avait ressemblé lorsqu'il était très petit, leurs différences n'étaient allées qu'en grandissant au fur et à mesure que les années passaient. Sorrow : bagarreur, débrouillard, gouailleur, parfois romantique et très chanceux ; Shiro éteint, attaché à sa précieuse baraque, lâchant les mots sans connaître leur poids, désintéressé semble-t-il de toutes les relations terrestres qui vaillent la peine d'être vécues. Malchanceux soit par choix, soit par un concours de circonstances. La dominance était tombée sur Sorrow comme une bienheureuse providence. Il ne l'avait pas même faite miroité devant son cadet, lui rabâchant toujours qu'il ne ferait qu'un piètre dominant. Shiro savait forcément qu'il avait raison.

Non, il imaginait difficilement que la jument crème et son fils se soient bien entendus. Celle-là avait de l'ambition.

Elle ne l'avait pas non plus contredit, lorsqu'il avait avancé des similarités possibles avec le blanc. L'idée insoutenable que l'autre lui ait plus ressemblé malgré sa différence lui donna envie de cracher son fiel dans la mare pour l'empoisonner à tout jamais de son venin. Non ! Il n'avait pas choisi le mauvais fils. Et s'il n'avait rien pu ressentir pour lui, pour sa mère par la suite, ce n'était que les mystères de l'inconscient qui se déployaient. Qu'y pouvait-il ? Il n'aurait jamais pu le regarder sans dégoût. Quant à elle...

Les brumes disparurent pour révéler une jument blanche, qui n'était décidément pas frisonne. Ce n'était pas là le spectre de Querouane qui venait lui quémander des excuses. Non. La fille d'Ocëan Pearl. La fille de la meurtrière.

Et pourtant, il ne voulait pas apprendre que l'ancienne dominante était morte sous les coups de sa fille.

Il lui faudrait peut-être retrouver Hyuna'. Lui rappeler ses propos. Y avait-il de l'hellébore dans ce verger ?

Ocëan Pearl revint sur le tapis. Sorrow oublia momentanément Hyuna', rappelé une fois de plus à sa boîte à musique. La crème insistait. Innocemment, si l'on pouvait lui prêter cette qualité là.

Du reste, elle ne lui semblait pas entièrement innocente. Et si l'on se fiait aux cancans qui circulaient à son sujet...

Ocëan Pearl aurait-elle pu en savoir beaucoup ? Elle avait après tout fréquenté Perjury, ce qui le ramena à ses considérations sur les affaires de sa fille. Il ignorait complètement pourquoi il s'en rappelait à l'instant, et ne savait pas du tout qui lui avait soufflé ces mots-là. Peut-être même les avait-il inventés. C'était une idée...

" J'en doute, bien qu'Ocëan Pearl ne manque pas de ressources. "

Son regard glissa sur la boîte à musique. Serait-ce de la faiblesse que de raconter un peu de sa vie ? Ou pouvait-il encore sacrifier son mystère, afin qu'on ne la désire pas pour ses secrets ?

La vérité n'avait pas besoin d'être complète.

Le frison renifla. Il chercha ses mots.

" Elle vient de la maison hantée mais ce n'est pas moi qui l'ai volée, ne t'en déplaise. Il y a de cela quelques années, Perjury s'en est emparé pour des raisons que j'ignore. Il a noyé le fils de Geisha à peu près à la même époque. Je l'ai finalement retrouvée. "

Fifa rit nerveusement. Sorrow se surpassait un peu plus à chaque réplique. Elle aurait sûrement rit aux éclats si elle n'avait pas été influencée, qu'elle le veuille ou non, par son compagnon. Mais Kuro ne trouvait rien de courtois aux salutations de son frère et son père. La provocation ne ferait que leur attirer des ennuis, Fifa en était certaine, aussi décida-t-elle de ne pas mentionner sa rencontre avec son beau-père et surtout, de ne pas transmettre sa promesse de ne pas revenir. Elle-même n'y croyait pas, de toute façon.

« Shiro hésitait à partir quand je l'ai rencontré. confia-t-elle soudain. Je crois qu'il avait peur de ce qu'il allait trouver ailleurs. »

Les flocons se faisaient plus rares. Le ciel s'éclaircissait et Fifa y jeta un regard plein d'espoir. Elle n'avait plus très envie de s'attarder. Maintenant qu'elle avait mentionné les secrets du Ruisseau Sans Fond elle avait envie d'y retourner, de l'explorer. Même si Sorrow doutait qu'Ocëan Pearl ait une réponse à ses questions, la crème était prête à tenter sa chance. Elle n'en eut cependant pas besoin et pointa vers le frison une oreille attentive, buvant ses paroles. Ainsi elle ne s'était pas trompée. L'objet était plus ancien que celui qu'elle connaissait, bien qu'il vienne lui aussi de la Maison Hantée.

Elle décida de ne pas commenter le voyage de la boîte à musique ni la quête que s'était donnée Sorrow. Il s'agissait là d'une histoire personnelle venue d'un autre temps et elle n'avait jamais eu l'intention d'affronter l'ancien dominant directement. Parce que sa mère aussi avait été chassée, parce qu'elle respectait les années passées à veiller sur le territoire, Fifa considérait qu'il avait un laisser-passer. Il faisait toujours partie du troupeau, après tout. Tout comme Shiro. Bien qu'elle ne se serait pas avancée à les dire les bienvenus sur les Terres à cause de la rancoeur vengeresse de Kuro, si c'était elle qu'ils croisaient elle les laisserait en paix.

« Il est bon que les possessions de la Maison Hantée lui soient retournées. »

Elle avait trop tendance à vouloir se débarrasser des objets qui lui déplaisaient. La chambre d'enfant lui faisait horreur et elle l'aurait vidée si elle avait pu. Fifa se contentait de l'éviter comme elle le pouvait. Elle soupira profondément et se dégagea des branches de l'arbre, attrapant une pomme au passage. Le fruit était juteux, des saveurs ensoleillées à la hauteur de ses promesses colorées. La neige se craquela sous ses pas dans un bruit étouffé et elle s'amusa à marcher dans ses propres traces pour laisser le reste du Verger immaculé.

Décidément, il faisait mouche. Si les circonstances avaient été différentes, il aurait considéré qu'il avait mené là une conversation qui avait su dérider son interlocutrice. Il en aurait aussi conçu une certaine fierté. Si.

La neige cessa de tomber. Le phénomène n'avait rien de naturel. Le ciel recouvrit sa couleur originelle, l'air son parfum, la vie son cours. Sorrow balaya un peu de la neige qui s'était accumulée autour de lui et qui fondrait bientôt. Une dernière attention accordée à la boîte à musique.

Perspicace, attentive, ou peut-être seulement observatrice. Les craintes de Shiro n'étaient probablement pas bien cachées de toute façon. Il ne lui avait jamais appris à cacher ses émotions. Il en était incapable, piètre maître pour un garnement qui aurait refusé de retenir.

L'ailleurs. Il pouvait en effet receler toutes sortes de dangers. Mais il n'était pas paralysé par la même crainte que son fils. Il avait déjà fréquenté l'inconnu et n'avait jamais eu vraiment besoin d'un port d'attache, bien que la vieillesse dans un lieu fixe fut sûrement plus tranquille.

Il se demanda ce qui se serait passé, s'il n'avait pas été remercié de ses services. Aurait-il vieilli, faibli, contraint de confier les tâches les plus fatigantes à ses héritiers ? Il aurait fallu compter sur le zèle et l'énergie illimitée de Hyuna', rabrouer Shiro plus d'une fois pour qu'il se montre digne de la besogne, et toujours garder un regard sur l'horizon, craignant que celui-ci ne se tâche de blanc.

Il offrit un dernier petit sourire. Oui. Elle pensait que la boîte retournerait dans son antre originel. C'était logique.

Peut-être irait-il faire craquer le plancher de la maison une dernière fois, constater les outrages qu'ont lui infligeait maintenant qu'elle n'était plus sous sa protection. Il espérait que personne n'ait arraché le papier peint, ou englouti le stock de miel.

La jument crème semblait piaffer d'impatience. Elle devait avoir une idée en tête. Il s'en inquiéterait plus tard.

Le frison ouvrit la boîte à musique, puis s'allongea à nouveau au soleil. Il ferma les yeux et se laissa emporter, une fois de plus, par sa mélodie.

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