Humble [PV]

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

Humble

♪ ♫ La délicatesse avec laquelle l'eau de l'oasis gloussait tranchait avec le silence de l'air buté. Le désert était, et il l'avait découvert au fur et à mesure, un endroit dans lequel le calme régnait en maître absolu mais fébrile, secoué de nombreux tics. Le vent se soulevait de temps à autre subitement, comme un serviteur que l'on tire de sa somnolence, et courait partout, renversant sur son passage le mobilier fantomatique d'un palace à l'air libre, dont les seuls véritables agréments étaient de rares points de verdure.

S'immiscer en ce royaume avait demandé une certaine préparation. Blake se savait mal adapté à un climat désertique ; les autres aimaient employer le mot baroque pour décrire les chevaux qui portaient du sang frison, sans que ce mot, trop neutre, ne puisse souvent dénoter d'une appréciation ou d'une critique dans leur bouche. Ce baroque qui caractérisait son corps ne se prêtait pas aux températures de l'endroit, ni même à la mollesse du terrain. Blake avait grandi à côté de la mer, dans un univers qui menaçait souvent d'être englouti. Ici, c'était le vide qui menaçait de vous engouffrer. Mais l'eau était rare, si rare, et il supputait que lorsqu'on s'égarait trop longtemps, on finissait par fantasmer ses gloussements moqueurs. Aussi c'était-il préparé. Il s'était hydraté avant de partir, avait observé la position du soleil, avait grimacé en constatant que rien ne pouvait être fait pour prévenir une éventuelle perte de mémoire. Mais il supposait qu'il était trop coriace pour se laisser subtiliser des filaments de son identité. On ne pouvait pas lui reprocher de ne pas être sûr de lui.

Il avait trouvé deux oasis jusque là. La première avait été petite, à moitié avalée par le sable, l'eau trouble. La seconde était cachée dans une anfractuosité rocheuse qui protégeait son eau profonde et la rafraîchissait. Il y avait décelé des traces de passage, ce qui lui indiquait qu'elle était fréquentée par les habitants du désert et les voyageurs qui osaient le traverser. Une modeste surprise.

Celle-ci était plus grande que la première. L'étendue d'eau était claire, d'un bleu presque rêveur. Des dattiers protégeaient ce puits de paradis et portaient quelques fruits haut perchés. Blake avait relevé des traces de pas, d'animaux... Et d'autres, plus curieuses, qu'il avait scruté avec inquiétude.

Les mouches fréquentaient aussi les lieux. Il avait entendu leur bourdonnement infernal de loin. C'était s'illusionner que de croire que les déserts étaient vides de parasites. Et ceux-là se déplaçaient en nuée, comme un véritable fléau d'Egypte. Le pie espérait qu'il ne s'abattrait pas sur le plan d'eau dont il caressait la surface de ses lèvres. L'eau lui parut presque douce, et il lui arracha un peu plus longtemps ce baiser furtif avant d'en avaler une gorgée, frappant ses flancs de sa queue pour soulever un peu d'air.

Sa mémoire n'était pas affectée pour le moment. L'endroit lui paraissait présenter des avantages et des inconvénients. Sa pauvreté n'en faisait pas une source très intéressante pour les membres du territoire. Mais il songeait au fait que si l'on avait voulu perdre un importun ou condamner quelqu'un, le lancer dans un désert qu'il ne connaissait pas, où il pouvait perdre la mémoire, après l'avoir déshydraté, aurait été cruel et efficace...

Cyrius, qu'il n'avait qu'entrevu, ne possédait pas la réputation d'un tyran.

Blake prit une dernière lampée d'eau avant de relever la tête. Le vent se soulevait à nouveau, diligent, et apportait cette fois mille parfums pour plaire à son maître.

Dernière édition par Blake le Mer 22 Mai 2019 - 18:53, édité 2 fois

Délicatement, ma mâchoire se referma sur une seconde bouchée d'herbe, légèrement emprunte d'humidité, tandis que je fermais les yeux. Pour une fois, je jouissais d'un moment à moi. Un moment où je pouvais réellement penser à moi, où je pouvais prendre du bon temps et ne pas me soucier de la journée qui s'en suivrait. Parfois, avec mon jeune âge, j'avais besoin de faire cela. De faire en sorte d'oublier tout ce qui m'entourait, mais surtout d'oublier les responsabilités que je m'étais conférée personnellement. Personne ne me les avait donné, mais je l'avais fait moi-même. Et puis combien même quelqu'un me l'aurait ordonné, j'aurais sans doute refusé. J'appréciais énormément penser à moi, mais surtout me laisser aller aux ambitions que je pouvais avoir. Et puis dans le fond, Papa avait parfaitement accepté cela. Il avait même prit mes projets avec un grand sourire, alors sans doute en avait-il besoin dans le fond. Un sourire prit place sur mes lèvres tandis que j'avalais cette bouchée d'herbe. Légèrement, je relève la tête et pose un regard sur le Golfe d'émeraude, présent devant moi. Rosie avait découvert des cadavres ici, un bateau s'y était échoué et Papa avait fait le ménage apparemment ... Pourtant quand on le regarde ainsi, on en a pas l'impression n'est-ce pas ? C'est si beau, sincèrement.

Finalement, je pliai l'antérieur droit, suivi du second et mon corps se couchait au sol. Je me roule vigoureusement, poussant un profond soupir de bien être, tandis que l'herbe fraîche venait caresser ma robe. Au bout de quelques secondes de roulade, je me lève et m'ébroue avec vigueur, faisant voler encore quelques pissenlits qui s'étaient accrochés à ma crinière. Je regarde autour de moi et une idée me vint en tête. Et si j'allais découvrir le Désert de l'Oubli ? Ce désert dont j'ai entendu parler. Donc j'ai pu entendre des choses qui me faisaient sourire, dont des rumeurs disaient qu'on oubliait son passé en y allant. Oui pour une fois, avec l'âge qui avançait, je voulais en savoir plus sur ce lieu, mais surtout je voulais voir si les rumeurs étaient vraies ou non. Alors, sans hésiter une seconde de plus, je prit le trot et me dirigea vers ce désert sans se soucier une seconde de plus de la journée qui se rallongeait.

Au bout de plusieurs minutes de trot et de pas, me voilà maintenant debout face à l'étendue sableuse. Pourquoi n'ai-je pas galopé comme à mon habitude ? Tout simplement car je voulais me préserver. Je voulais être assez endurante pour venir dans ce désert. Alors après avoir bu goulûment dans une flaque d'eau, présente non loin, et avoir vidé mon esprit, je repris le pas. La chaleur se faisait parfaitement sentir, mais ayant des origines arabes, mon corps s'habituait rapidement à cela. Bien sûr, j'avais chaud, mais mes ancêtres avaient fait en sorte que la soif ne se fit pas sentir aussi rapidement que je le pensais. Soudain, au bout d'un moment, mon regard tomba sur des traces de sabots non évacuées par le sable. Alors, sans aucune hésitation, je suivis ces traces et marchai, sans véritablement faire attention à ce qui pouvait m'entourer. Je m'arrêtai en remarquant un minuscule oasis mais mon envie de retrouver la personne que je suivais me fit secouer la tête. Alors, je repris la marche et continua ma traque.

Soudain, un coup de vent chaud fit voler ma crinière et du sable. J'éternuai sans le vouloir et secouai la tête, le sable s'engouffrant dans ma gorge. Là, la soif se fit sentir car ce sable était brûlant. Je marchai mais c'était réellement dur maintenant. Heureusement pour moi, un second oasis apparut. Alors, avec les dernières forces qui me restaient, je prit le trot et m'y dirigea. Mais une silhouette me fit m'arrêter brusquement lorsque je l'atteignis. Je plissai les yeux, observant bien et un sourire apparut sur mes lèvres.

" Blake ? " demandai-je en hésitant.

Peut-être que les mirages existaient réellement, qui sait ?

Chaque pas était étouffé par le sable, comme s'il fallait réduire au silence le témoin encombrant du crime que venait de commettre son ombre. Aussi discrète qu'ait été cette dernière, elle ne pouvait cependant véritablement dissimuler sa présence dans le désert. Elle s'allongeait et prenait parfois des dimensions terribles, gigantesques, comme la faim et la soif qui supplantaient tout et devenaient des monstres invisibles mais énormes, perchés sur l'épaule du voyageur, murmurant à son attention mille promesses le perdant plus encore dans l'immensité.

Les dunes ne formaient qui plus est que des auvents glissants, passagers et peu fiables, absorbés par leur contemplation du prochain grain de sable qui les transformeraient en sablier.

Seule la mort pouvait se cacher dans le désert. Enfouie sous le sable comme le dard d'un scorpion ou tombante comme un rayon de soleil, elle était à la fois omniprésente et invisible. Lorsqu'il entendit des bruits de pas - le sable rendait certes l'impact des sabots sur le sol sourd, mais il ne pouvait complètement absorber une allure si saccadée - Blake ne releva pas la tête pour vérifier que ce n'était pas elle qui avançait, revêtue du noir du bédouin. S'il s'agissait d'elle, il apprenait dans un dernier souffle qu'elle portait un parfum plutôt féminin, délicat sans être enivrant. Elle était aussi pressée. Une attitude singulière en un lieu où elle aurait pu prendre son temps.

Conforté dans l'idée que ce qui approchait était sûrement de nature équine, le pie laissa venir et bu à nouveau. Si le dominant apparaissait et lui interdisait une autre goutte, il lui faudrait s'être assez hydraté pour supporter le chemin du retour.

L'eau de l'oasis était douce, presque satinée. Plus il en buvait, plus il avait la sensation qu'elle était la meilleure qu'il ait jamais goûté. Une illusion perfectionnée par la sécheresse de sa gorge, démentie par le fait qu'il savait très bien que les mouches pataugeaient dans le même bassin lorsqu'elles cherchaient la fraîcheur, et qu'elles pondaient sûrement non loin de la berge, au creux des côtes des animaux ayant failli trouvé le salut, abattus juste avant d'avoir goûté à leur délivrance. Une fausse impression donc, qui s'accordait bien aux terres Trompeuses. Ceux qui mourraient après avoir quitté l'oasis, persuadés d'avoir été sauvés par son eau, auraient au moins bénéficié de l'illusion d'avoir trempé les lèvres dans le gobelet d'un dieu.

Le silence retomba avec le vent, délicatement. C'était un mouvement maintes fois répété, et ces deux complices là dansaient ensemble depuis trop longtemps pour qu'une maladresse ne les abatte avec fracas.

Blake se redressa, les lèvres humides. Une jument isabelle se tenait là - la crinière teintée d'un peu de gris, le profil creusé. Il n'y avait pas grand doute à avoir. Hallelujah avait emporté dans l'âge adulte des caractéristiques qu'elle possédaient déjà enfant. Aussi Blake se contenta-t-il de constater ce qu'elle était devenue, imitant le sourire qu'elle lui adressait. Elle était plus dans son élément qu'il ne l'était lui - le sable s'accordait même avec la couleur de sa robe - à l'inverse de leur première rencontre, lorsqu'il l'avait croisée au bord d'une mer qu'il connaissait presque trop bien.

Une hésitation marqua cependant sa voix lorsqu'elle parla. Le jeune étalon s'ébroua et se tourna vers elle.

" Il semblerait que ce désert ne mérite pas sa réputation. "

Après tout, ils ne s'étaient pas oubliés.

" Bonjour, Hallelujah, " compléta-t-il avec un signe de tête, faisant un pas de côté pour qu'elle boive si elle en avait le désir.

C'est hallucinant comme les gens peuvent changer avec le temps. Je me souvenais encore de la première fois que j'avais rencontré Blake. Ca s'est passé sur la plage Dévastée, dans les terres Secrètes. Un endroit que je ne connaissais pas du tout, que j'avais souillé de ma présence seulement car mon envie enfantine me l'avait ordonné. Je me souvenais parfaitement du bateau que j'avais pu découvrir, de ce bateau qui m'avait réellement fait peur avec ses bruits étranges. Et grâce à ce bateau, j'avais découvert que les humains pouvaient arriver de la mer comme du ciel. Manquerait plus que je découvre un objet leur permettant de venir par les terres ... Si c'était le cas, on serait réellement dans le caca, je vous le dis. Imaginez, ils décident de nous envahir et ils viennent de ces trois éléments ? Je ne saurai comment réagir, sincèrement. Devrais-je les tuer ? Devrais-les anéantir ? Devrais-je être passive ? Agressive ? En tout cas, je ne serai nullement soumise. Je refuse qu'ils nous empiète sans rien dire. C'était totalement interdit. Mais revenons-en à notre bateau : ce bateau m'avait tellement fait peur que j'avais galopé comme une dératée sur cette plage. Avec un diadème. Mon fameux diadème que je n'avais pas retrouvé.

Mais heureusement pour moi, ce jour-là j'avais rencontré Blake. Un poulain pie légèrement plus jeune que moi et nous avions discuté assez rapidement. Nous avons fait connaissance comme deux être civilisés. Mais surtout, il m'avait permit de garder mon diadème. Il me l'avait mit plusieurs fois sur la terre et finalement, je le lui avait confié. Où l'avait-il caché à l'heure d'aujourd'hui ? Pourrais-je de nouveau lui faire confiance ? L'a-t-il réellement gardé ? Il faudrait sincèrement que je lui pose la question. Si il l'avait gardé, il faudrait qu'il me le rende, que je puisse être la princesse que j'ai toujours voulu être. Que ce soit autant physiquement que mentalement.

Finalement, je sentis comme une sensation de soif naître dans ma gorge, tandis que mes yeux se brouillaient. Je ne pensais pas avoir autant soif. Peut-être que marcher autant m'avait fait découvrir des limites que je ne me connaissais pas encore. Alors, subtilement, je m'approchai de l'Oasis tandis que Blake me laissais la place. Je lui adressai un petit sourire, alors que mes sabots se posaient sur le sable. Là, je baissai ma tête vers l'eau et but délicatement. Ca faisait tellement de bien. Je ne pensais pas que l'eau pourrait être une denrée aussi rare. Au bout de quelques minutes, je me redresse et reste à côté de l'étalon pie. Je m'ébroue, pour faire partir les mouches qui s'étaient posées sur mon corps et posai un regard sur Blake.

" Un désert ne sera pas suffisant pour faire oublier quelqu'un comme toi. " dis-je en souriant. " Surtout que tu me dois un diadème, n'est-ce pas ? "

Le rideau balayait la poussière pour révéler un décor contraire à celui qu'il avait dévoilé lors de leur première rencontre. La plage dévastée était l'antithèse du désert, constamment menacée par l'avidité de la mer, pressée par ses incessantes ardeurs, étouffée par ses innombrables cadeaux. On y était entouré par les rebuts et les reliques de la race humaine. Le désert se drapait au contraire dans sa sécheresse rampante, envahissante, une cape infinie qui s'étend et cache les rondeurs d'un corps qui s'affaissent, s'hérissent. La scène n'était pas déchirée par la cavalcade d'un personnage effaré par l'ire d'un dieu imaginaire. Pourtant, des similarités se glissaient dans la mise en scène et permettaient de reconnaître les deux acteurs, quand bien même ils aient grandi : des arbres fruitiers couvaient toujours le sol de leur ombre, bien que proposant des offrandes différentes. La mort vagabondait comme au dernier acte, entre les os de la baleine pourrissante et ici entre les ailes des mouches, qui collaient leurs bouches contre la chair comme pour en extirper la vie.

Les rôles s'étaient cependant inversés : Hallelujah avait donné à l'issue de leur première rencontre et c'était à son tour de tendre. Mais elle donnerait peut-être encore un peu.

L'isabelle avait manifestement soif, mais elle but sans se précipiter. Blake baissa les yeux sur les ridules qui naissaient à la surface de l'eau, brouillaient ses traits et tentaient de défigurer les siens. Le soleil frappait toujours avec la même obstination. Le pie fit un pas en arrière, rejoignit l'ombre d'un dattier. Un lézard s'extirpa du dessous d'un rocher et fila, zigzaguant comme un dératé, en direction des dunes. Il était guidé par la frayeur ou par un but. Certains étaient parfois menés par leur crainte de l'objectif.

Trouver quoi faire de sa vie. Il n'avait jamais peiné à le faire.

La jeune jument était souriante, ce que Blake lui rendait avec plaisir. Un peu d'espièglerie vint piquer la commissure de ses lèvres lorsqu'elle reprit la parole, mais il la tua bien vite au profit d'un regard jeté de côté, adoptant l'attitude humble requise de la part de celui qui reçoit un compliment.

Hallelujah en revint cependant bien vite à elle-même. La croissance ne l'avait apparemment pas défaite de son admiration pour la royauté, déjà si marquée lors de leur première rencontre. Etait-ce là une caractéristique des enfants de dominants ? Sa mère n'avait jamais présenté les mêmes symptômes.

Les yeux de Blake remontèrent, s'agrippèrent à ses cils. Le soleil se trouvait derrière elle, perché en hauteur. S'il avait daigné descendre un peu, il l'aurait couronnée et il n'aurait pas eu à lui donner ce qu'elle réclamait sans ambages.

" Et si je n'avais pas ce que tu voulais, m'oublierais-tu ? "

Il passa sa langue sur ses lèvres, y récupéra les dernières traces d'eau. Elle était toujours aussi douce.

La chaleur encourageait l'impatience et rendait les êtres vivants plus brefs, plus brusques, comme s'il fallait démontrer que l'on ne se laisserait pas embourber dans la lente agonie promise par la fournaise. Blake ne laissa donc pas s'éterniser le silence.

" Je l'ai caché sur les Rocheuses. Je pourrais t'y conduire, si tu le désires. Tu penses qu'il t'ira encore ? "

Le sable tourbillonne, et Aléas apparaît;
Observant le cheval pie d'un regard safrané.

« Blake,
Je suis Aléas, Dieu de la Chance et du Hasard.
Si tu réponds correctement à mon énigme, je repartirai comme je suis venu,
Dans le cas contraire, les dés décideront de ton sort. »

Il ignore Hallelujah.

« Elles avancent au grès du vent,
Recouvrant tout même nos pas.
Montagnes mouvantes,
Tombeau de l'imprudent qui s'y perdra.
Qui sont elles ? »

Etant toute petite, je savais déjà que le Désert, la chaleur, seraient mon pays natal. Ils guideraient mes pas aussi longtemps que je le souhaiterais. Ils seraient mes repères jusqu'à la fin de ma vie. Peut-être, bien sûr, était-ce grâce aux origines que j'ai. Peut-être est-ce grâce au fait que mes parents étaient arabes tous les deux ... Ne dit-on pas que les premiers arabes sont nés dans le désert ? Qu'ils se nourrissent de sauterelles pour survivre ? Que les bédouins offrent du beurre à leurs étalons de course lorsque cette dernière se termine ? C'était évident. Je me demande si Papa a été nourri de cette manière, s'il a déjà rencontré des humains durant sa vie antérieure. Je me demande aussi si Maman a été élevé par des humains. Et moi ? Survivrai-je à l'invasion des humains ? Survivrai-je au fait qu'ils envahissent mon désert ? Je ne saurai le dire. Tout ce que je peux dire c'est que ce désert était réellement ma maison, et il serait sans doute bientôt mon tombeau. Je mourrai évidemment dans ce désert. Ou tout du moins, j'espère. J'aimerai même. Imaginez ... Mon corps isabelle recouvert par un sable fin et disparaissant dans les dunes ? Ce serait presque poétique, vous ne pensez pas ? Mais ça n'arrivera pas avant que je ne sois reine.

Je veux sincèrement être reine et je ne disparaîtrai de cette terre avant de l'être. Depuis ma tendre enfance, je me l'étais promis et je tiendrai cette promesse, malgré la douleur ou la peine. Personne ne pourra m'abattre avant que cela soit réalisé. Finalement, mon regard se porta rapidement sur les environs et un tendre sourire naquit sur mes lèvres. Je comprends maintenant pourquoi Maman aimait tant ces étendues de sable ... C'était tellement calme et reposant. Ca donnait envie de se coucher, fermer les yeux et se laisser envahir par la chaleur ambiante. La sensation de soif, de faim, ne naissait que si on n'aimait pas cet endroit selon moi. Une mouche vint se poser sur mon oeil, que je fermai rapidement pour qu'elle s'en aille. Ces insectes à ailes étaient sans doute les seuls inconvénients.

L'eau glissa tranquillement dans mon estomac, comblant le vide qu'avait donné le peu d'herbe que j'avais mangé. Mon regard se porta ensuite sur un lézard qu'avait fait déguerpir Blake en se reculant. Ces animaux me répugnaient. Emplis d'écailles, ils étaient aussi vicieux que pouvaient être les chevaux entourant mon père. Finalement, je m'éloignai moi aussi de l'eau pour pouvoir profiter de l'ombre fraîche. Les dernières ridules disparurent tandis que le soleil était beaucoup plus haut. La chaleur était moins forte, mais heureusement pour moi, mon poil était plus fin qu'à l'accoutumée donc ce ne fut pas aussi désagréable que je l'imaginais. A la question du jeune étalon, j'eus un petit sourire et secouai la tête.

" Bien sûr que non. Je n'oublierai jamais un allié, je pense. " dis-je avec un grand sourire.

A la seconde phrase, je fronçai légèrement des sourcils. Comment avait-il pu cacher un diadème sans que je ne m'en rende réellement compte ? Surtout sur un territoire que je connaissais par coeur, qui plus est. Finalement, je secouai la tête et plongeai de nouveau mon regard dans le sien.

" Sur les rocheuses ? Je connais par coeur ce territoire et chacun de ses recoins pourtant. Mais ouais, je veux bien que tu m'y emmènes. " répondai-je, peu convaincue.

Au moment, où je voulus me cabrer pour attraper un fruit dans un figuier, un tourbillon de sable apparut brutalement. Mon regard se porta sur un étrange équidé recouvert d'une robe flashie et ayant des plumes. Il se présenta et je compris que j'étais en présence d'un dieu. Enfin ! Il était temps que j'en rencontre un ! Malheureusement, il ne venait pas pour moi. Un soupir sortit de mes lèvres tandis que j'écoutai la question. La réponse était tellement simple : c'étaient les Dunes, évidemment.

Hallelujah voulait lui démontrer qu'elle avait bonne mémoire. Blake lui offrit un sourire.

Il jeta un regard aux dattes, qui pendaient lourdement en grappes des branches. Il avait déjà rempli son estomac, mais il était rarement entièrement repu. Sa croissance, plus entamée que finie, comme un interminable festin au bout duquel l'on annoncerait la victoire à la guerre, lui donnait souvent envie de dévorer tout ce qu'il trouvait de comestible. Horse-Wild jouait au serpent en lui présentant qui plus est des mets exotiques, bien différents de ceux qu'il avait connu sur l'île de Sable. L'on retrouvait cependant souvent des similarités, que les mets aient été délicieux ou infects. Il était exceptionnel de tomber sur quelque chose d'unique, d'incompréhensible, d'impossible à appréhender. Décortiquer un fruit en révélait la chair, le jus, le noyau. Mais il était vrai que briser ce dernier requérait une certaine force.

Et certains fruits demandaient de la patience.

Blake recula, jaugea le tronc de l'arbre sous lequel il s'était réfugié, puis lui donna un coup puissant. Les branches ployèrent, tremblèrent, avant de laisser choir un plein régime qui souleva en tombant au sol un nuage de sable. Le pie se baissa, attrapa sa récolte, la trempa dans l'eau pour la débarrasser de sa parure poudreuse. Satisfait de sa prise, il la déposa sur un des rochers brûlants et mordit dans un premier fruit. Noyau jeté dans l'eau. Ricochet accidentel.

" Tu en veux ? " demanda-t-il à l'isabelle, dont l'air été imprégné de scepticisme. Blake lui adressa un sourire rassurant. " Tu n'y es peut-être pas allée depuis que je m'y suis rendu. Un diadème est un petit objet, facilement dissimulé dans un lieu rempli de crevasses. "

Il avait l'habitude des falaises de l'île de Sable, de leurs cachettes et de leurs culs-de-sac. Les Rocheuses étaient dotées de mille recoins similaires, bien qu'il n'ait pas eu le temps de tous les explorer. Un chapardeur aurait toujours pu se faufiler dans la faille pour en extirper le diadème, bien qu'il ait été difficile de l'apercevoir, calfeutré dans la pénombre. Il ne brillait pas dans le noir. C'était en réalité souvent l'éclat de la personne portant la couronne qui illuminait cette dernière.

Le diadème était abîmé. La rouille le rongeait irrémédiablement, bien que les pierres précieuses possédassent une certaine rutilance qui ne serait affectée que par une éventuelle éraflure. On pouvait ternir un rubis, mais rarement l'éteindre. Les pierres cassées ne saignaient pas, contrairement aux femmes qui s'en paraient. Et elles pouvaient parfois briller plus fort encore, traîtresses, lorsqu'elles avaient été dérobées à l'ensanglantée et ceintes sur un nouveau front.

Le sable se souleva. Blake venait de gober une autre datte. Elle était sucrée et juteuse, enrobée autour de son noyau qu'il cala dans un coin de sa bouche. Une de ses oreilles se nicha au creux de sa nuque, mais elle se redressa lorsqu'il reconnut une créature qu'il n'avait jusque là vu que de loin, et qui n'avait apporté et emporté que misère dans ses tourbillons.

Aléas semblait affectionner sa famille.

" Il s'agit des dunes, " répondit-il sans vraiment hésiter. Le récit que lui avait fait sa mère des enfers ne l'encourageait pas à tergiverser. Il n'avait qui plus est pas envie de s'arracher à Hallelujah si vite.

Le pie attendit que le dieu multicolore ait disparu pour recracher son noyau, détournant la tête pour éviter que l'isabelle ne subisse le spectacle. Elle avait soupiré, tout à l'heure. Déçue par la question ? Ou par celui qui la posait ?

Celle qui sortit ne concernait pas ces interrogations.

" Et sinon, quoi de nouveau depuis la dernière fois ? Que se passe-t-il sur tes terres ? "

Blake ne perd pas de temps;
Et répond instantanément.

« Correct. »

Aléas tape du sabot,
Et s'évapore aussitôt.

En réalité, je ne connais pas grand chose du désert. Je ne connais que certaines choses que ma mère a pu me conter sur son désert natal. Je me souviens qu'elle m'a parlé de différents arbres présents dans son pays. Je me souviens d'un en particulier : le dattier. Bien sûr, je ne vois réellement pas à quoi peu ressembler une datte mais elle m'a bien dit que c'était bon et que ça nourrissait parfaitement. Je me souviens parfaitement qu'elle m'a aussi expliqué à quel point, durant une tempête de sable, elle se soit rendue compte à quel point elle était affamée, à quel point elle était assoiffée et surtout à quel point ces fruits avaient pu la sauver. Elle m'a expliqué aussi que parfois il fallait se nourrir d'écorce de cactus, de sauterelles ou d'insectes, malgré que l'on soit herbivore. Ces viandes permettaient d'apporter des protéines dont nos corps a besoin pour survivre. Heureusement pour moi, actuellement, ce n'était pas mon cas. J'avais eu la bonne conscience de manger de l'herbe hydratée avant de partir en quête, et surtout de suivre des traces équines. Ca m'avait sans doute sauver la vie, dans le fond. Si je suis intelligente ? Je ne sais pas. Mais je sais surtout que mon instinct me permet de survivre sans que je ne puisse craindre l'avenir.

En fait, Blake représentait ma boussole et surtout une certaine bouée à laquelle me raccrocher au moment précis. Si je le considérais ainsi toute ma vie ? Je ne le connaissais pas assez pour le signifier. Et puis, une princesse telle que moi ne devrait-elle pas, plutôt, considérer ses parents de cette manière ? Ils devraient pourtant être mes piliers, mes repères et surtout mes bouée de sauvetage. Ils n'avaient rien fait pour le mériter. Ma mère n'était qu'une ombre dans le tableau de ma vie et mon père qu'un obstacle face à mon ambition. Ils n'étaient que mes géniteurs, tout simplement. Bien évidemment, je sais parfaitement que j'ai un fond d'amour pour mon père, mais mon ambition est beaucoup trop grande pour y penser. Finalement, je pose un regard sur Blake qui venait de donner un coup de sabot dans un figuier et un petit sourire naquit sur mes lèvres. Quand il me proposa, j'hoche la tête. Bien évidemment que j'en veux une. Alors, je m'avance vers le roche et vint prendre une figue, tout en faisant rouler le noyau autour de ma langue. Après cela, je le recrachai sans plus de préambule.

" Merci, c'est super bon. " dis-je avec un petit sourire, tout en reprenant une figue. " Oui, tu as raison. J'ai donc hâte que tu me montres exactement où il est. Et puis, malgré que j'ai grandi, il m'ira toujours autant je suis sûre ! "

C'était pas si mauvais comme fruit, finalement. Je ne l'imaginais pas aussi douce avec la carrure qu'il pouvait avoir. En réalité, j'avais imaginé tellement de choses que je ne les voyais pas comme elles étaient réellement. Que ce soient les fruits ou tout simplement les gens, ou encore les choses qui peuvent m'entourer. La preuve avec Superbia : je l'imaginais Superbe, comme son nom l'indique. Je l'imaginais arabe, hors elle ne l'est pas. Je l'imaginais baie comme ma mère mais elle ne l'était pas. J'avais aussi imaginé le désert. Bien sûr, je l'imaginais immense, mais à ce point-là. Il est véritablement immense, presque interminable. Ne l'est-il pas finalement ? Interminable ? Sans aucun doute, sinon il ne porterait pas ce nom n'est-ce pas ? Un jour, il faudrait que je le visite réellement. Que je prenne mon courage à deux sabots, que j'oublie la sensation de soif et marche jusque mes sabots me lâchent. Peut-être mourrais-je ainsi qui sait ? Mais je m'en moquais réellement.

Mes yeux se reposèrent sur Aléas qui accepta volontiers la réponse de Blake et s'évapora comme si de rien était. Bref mais intense, comme on dit n'est-ce pas ? Je me demande bien ce qu'aurait pu advenir de Blake s'il avait répondu mauvais. Papa n'avait-il pas parlé de l'Enfer ? C'était ça la porte de sortie. Un sourire naquit sur mes lèvres. On ne m'avait pas arraché aussi facilement que cela le jeune étalon pie. On allait encore pouvoir discuter ensemble, longtemps. Tant mieux, car j'appréciais nos discutions. Finalement à sa question, je repris une dernière figue et hochai la tête.

" Alors, mon père a trouvé une remplaçante à ma mère, un solitaire veut venir sur nos terres alors je le traque et ma future belle-mère est pleine de mon père. Et toi ? Quoi de neuf ? As-tu trouvé une maison fixe ? " demandai-je en finissant ma figue.

Blake reprit deux fruits. Les noyaux disparurent sous la surface de l'eau, qui retrouvait rapidement sa tranquillité. Le pie passa sa langue sur ses lèvres, y chassant le jus et le sucre. Malgré l'ombre, ses yeux étaient rongés par le soleil. Il les laissa voguer au sol pour qu'ils échappent à la morsure des rayons, remontant lentement sur Hallelujah, qui était elle-aussi dorée mais moins aveuglante.

Le diadème était caché sur les Rocheuses. Mais il était personnellement plus attaché au panier de jouets qu'il avait dissimulé dans le même territoire, en attendant de leur trouver une cachette fixe. Ils serviraient à Morrigan' et Knight, leur feraient plaisir. Faire plaisir à sa famille était l'une des choses qu'il aimait le plus au monde. Il lui faudrait s'assurer qu'eux aussi n'étaient pas dérobés par un autre et partir en quête d'un endroit, d'un lieu où les déposer pour toujours, où peut-être s'installer lui-aussi. Pouvait-on creuser un espace personnel dans un territoire dominé, si l'on en rejoignait le troupeau ? L'idée lui plaisait.

Le désert ne s'y serait pas du tout prêté, bien qu'il ait été assez féroce pour dissuader les intrus.

Hallelujah n'avait pas hésité. Le diadème lui irait. Blake se demanda si elle voulait le porter constamment. Il aurait été difficile de le faire. Il ne serait pas toujours là pour le remettre sur sa tête lorsque le vent l'encornait.

" Quand veux-tu y aller ? "

Le pie bougea. Son ombre tenta d'échapper à celle du dattier, peut-être séduite par l'idée de s'enfuir et de serpenter éternellement sur les dunes. Aléas n'était qu'un souvenir, sa récente présence insoupçonnable. Le désert n'était pas facilement surpris.

Il regarda Hallelujah, qui reprenait la parole. Les informations coulèrent, s'imprimèrent. Elles étaient intéressantes. Blake adopta finalement un air pensif. La remplaçante était certainement la pouliche que Cyrius avait bécoté lorsqu'ils étaient transformés à la dune. Le choix des mots était toujours évocateur. Remplaçante. Solitaire. Traquer. Hallelujah aurait aussi bientôt un frère ou une soeur. Il choisit de se pencher sur cette information en premier, puisqu'il pouvait la mettre en parallèle avec sa vie personnelle :

" Ma famille s'agrandira elle-aussi bientôt. Ma mère est enceinte, et elle est sûre qu'il s'agit d'une pouliche. Ah, j'ai oublié de l'évoquer ! Je l'ai retrouvée peu de temps après notre première rencontre. Mais qu'est-il arrivé à la tienne ? "

Il s'ébroua pour soulever un peu d'air. Ses crins, plus longs que lorsqu'il était jeune, retombèrent sur ses yeux. Il s'appliqua à les remettre en ordre.

" Un solitaire ? Pourquoi le traquer lui en particulier ? Et pourquoi c'est toi qui le fait et pas ton père ? "

Il prit un peu plus de temps pour répondre à sa question, promenant son regard sur les environs et ses souvenirs des différents territoires.

" Je suis encore indécis. Je sais juste que je ne rejoindrai pas les terres Orphelines. "

" Eh bien allons-y maintenant, ce serait pas mal tu ne penses pas ? " demandai-je avec une pointe de joie.

Quoique pointe est sans doute un mot un peu trop fin. J'étais même très heureuse de savoir que j'irai sans doute aux rocheuses avec ce jeune étalon pour retrouver mon diadème. Suis-je quelqu'un de superficiel ? Sans aucun doute, mais je m'en fous royalement. Ce n'est certes qu'un objet pour certains, mais pour moi cet objet représente tellement de choses pour moi. Depuis toute petite j'ai une ambition qui ne me perdra jamais : être reine. Et ce diadème est l'unique chose qui représente cette ambition sentimentalement autant que physiquement parlant. Mais je n'espère qu'une seule chose : que personne n'accède à ce diadème. Car de une, tout le monde devinerait mes ambitions, même si bien sûr elles sont parfaitement évidentes pour tout le monde, mais de deux aussi car elles détruiraient tout en le prenant. Alors oui, il fallait absolument que je le retrouve tout de suite. Que j'aille immédiatement avec Blake là bas pour que personne ne le trouve avant nous. Je voyais déjà la scène : moi retrouvant le diadème et le mettant immédiatement sur mon crâne. J'ai tellement hâte qu'il revienne sur mon toupet.

Evidemment, je suis loin d'être bête. Je sais parfaitement qu'à l'époque de mon enfance, ce diadème m'allait parfaitement mais aujourd'hui que j'ai grandit, il n'ira plus. Bien sûr, il me faudra quelqu'un pour me le remettre rapidement, mais j'ai une toute autre idée. Voire deux. La première je la garderai pour moi, mais la seconde je peux vous le dire. Elle est très simple : je le récupérerai pour ensuite le cacher ailleurs où personne ne devinera. Personne ne saura jamais que j'ai eu un diadème de toute ma vie. Les paroles du pie vinrent délicatement aux oreilles et un sourire naquit sur mes lèvres. Sa mère était Hyuna', il me l'avait dit à la plage je m'en souviens. Je me souviens aussi qu'il la cherchait partout à ce moment-là et je suis vraiment heureuse pour lui qu'il l'ait retrouvé. Mais mon sourire disparu rapidement lorsqu'il me posa une question. Ce qu'elle était devenu ? Si même moi je le savais sincèrement ... Personne ne le savait. Tout ce que je pouvais savoir c'est qu'elle était partie de ces terres, qu'elle m'avait abandonné moi et mon père sans même se retourner. Elle avait même abandonné mon soi-disant petit frère. Un soupir sortit de ma bouche, sans que je ne puisse le retenir.

" Je suis heureuse que tu aies retrouvé ta mère, et encore plus de savoir que tu deviendras grand frère. Sincèrement. " dis-je avec un vrai sourire sincère. " Et ma mère ? J'en sais rien. Je sais juste qu'elle s'est barrée comme une traîtresse, sans même demander son reste. " Une pointe de colère dans la voix.

Je lui en voulais et je lui en voudrais sans doute toute ma vie. Mais il fallait grandir, donc il était hors de question que je cesse mon avancée pour elle. Pour une mère qui ne méritait même pas une once de mon amour. Une autre question et un petit sourire carnassier naquit sur mes lèvres. Je l'aimais bien, mais il était hors de question qu'il connaisse un minima mes plans. Ou tout du moins pas toute de suite.

" Ouais, il s'appelle Rekkles. Apparemment, il a été un peu insolent avec Père. Et je le traque à sa place car je lui ai promit ma protection et donc c'est la première mission qu'il m'a confié. " Tout mettre sur son dos.

Voilà, au moins il ne pourrait deviner mes plans, ou même ce que j'avais un stricte minimum dans ma tête. Finalement à ses autres paroles, mon sourire s'agrandit. Il était indécis ? Parfait. S'il savait, il serait surprit.

" Pourquoi pas les Orphelines ? Pourtant ta mère y est non ? " demandai-je, faussement curieuse. " Et les Trompeuses qu'en penses-tu ? Car j'aimerai bien avoir un vrai ami avec moi. " dis-je, faussement sincère.

Blake délaissa l’ombre et s’immola volontairement. Le soleil tomba sur sa robe morcelée, irradiant le blanc et intensifiant le noir. Hallelujah souhaitait partir maintenant, ce qui le surprenait peu. Il avala une dernière lampée d’eau pour se préparer à la traversée.

L'Exode amenait le peuple libéré à franchir une mer et un désert. Mais les vagues ne s'étaient pas écartées sur son passage, et nulle voix céleste ne viendrait guider ses pas dans la fournaise.

Non. Les dieux d'Horse-Wild posaient des devinettes et vous envoyaient aux enfers.

" J’espère que tu connais la sortie, " plaisanta-t-il, avant de lui emboîter le pas pour quitter lentement l’oasis et sa promesse de vie. Les dunes s’étalaient à perte de vue, muettes et hostiles comme un ghetto visité par les forces de l’ordre. Mais nulle habitation en tôle ou bois vermoulu ne piquait le ciel de sa fragilité. Seul le sable voulait bien happer la misère.

Il considérait qu’Hallelujah devait s’y retrouver, puisqu’elle s’était targuée de descendre d’une race de chevaux du désert et avait après tout grandi sur ces terres. Mais elle était arrivée haletante tout à l’heure. Il ne souhaitait pas perdre ses forces, ou se perdre lui-même. Aussi observa-t-il rapidement le ciel, cherchant à deviner quelle heure il était. Ses yeux s’affalèrent ensuite au creux des courbes des dunes, tentant de les différencier. Un amant infidèle eût été bien en peine de départager ces maîtresses là.

Hallelujah soupira. Le sujet de sa famille semblait peser, là où il avait été une source intarissable de fierté lors de leur première rencontre. Il ne retournerait sûrement jamais la vérité sur le ventre, là où elle était la plus vulnérable, mais il devinait bien que quelque chose s’était passé entre Nazz’ariah et le reste des siens. Une chose si terrible qu’elle avait disparu, effacée et méprisée par sa propre fille. Blake doutait d’être capable de détester sa mère, quoi qu’elle fasse. Mais il savait aussi qu’elle n’attenterait jamais à ses intérêts.

L’isabelle chassa le souvenir de sa génitrice, sourit. La perspective de chasser l’inconnu semblait lui plaire. Blake empocha son nom et retourna le reste des informations qu’elle lui donnait dans son esprit, intrigué.

Comment définir l’insolence ? Le mot celait soit un récit plus tors, soit un aspect de Cyrius jusque là insoupçonné. Le dominant des terres trompeuses était-il vindicatif au point de vouloir châtier quelqu’un qui avait lâché un mot de travers ? Il avait même à sa disposition une mercenaire qui s’était engagée elle-même et, semble-t-il, avec un grand enthousiasme.

Ça lui rappelait quelqu’un.

Le pie ne formula cependant pas de conclusions hâtives. Cyrius avait peut-être tiré avantage du zèle manifeste d’Hallelujah pour essuyer une éclaboussure, ou, au contraire, tenter d’éliminer un gêneur.

" Bon courage, alors, " répondit-t-il finalement, " Mais tu comptes te battre contre lui ? On t’as entraînée au combat ? "

C’était là une bonne question, qu’il redirigea en son for intérieur. Lui-même aurait eu bien besoin d’un peu d’entraînement, tout comme son jeune frère. Surtout son jeune frère. On était jamais trop prudent, bien qu’il n’ait pas souhaité se forger une réputation de bagarreur.

Les propos suivants d’Hallelujah vinrent éclaircir la brume dans laquelle il s’enfonçait et le surprirent. Il n’avait pas eu l’occasion de donner à l’isabelle l’identité de sa mère lors de leur première rencontre, sa voix toujours couverte par un coup du sort, et il ignorait que l’adhésion de Hyuna’ aux terres Orphelines ait été de notoriété publique. Quelqu’un d’autre avait donc parlé de son arbre généalogique à l’arabe. Qui ? Et pourquoi ?

Elle suggérait aussi qu’elle n’avait pas de véritable amis dans le troupeau. Il était vrai que No. Thirteen ne semblait pas la porter dans son coeur, mais il était le seul autre trompeur qu’il connaissait. N’aurait-elle pas dû s’entendre avec eux, si elle souhaitait un jour les gouverner ? Mais il était aussi possible qu’elle douta des intentions des autres. Ce qui était plutôt sage.

" Les terres Orphelines n'étaient pas le choix de ma mère et ne sont pas le mien non plus, " asséna-t-il sans développer, ce qu’il ferait si elle posait des questions. " Tu y es déjà allé ? C’est parfois un peu vide et morne, " poursuivit-il d’un ton plus amène.

Il s'arrêta en haut d'une dune.

" Les terres trompeuses sont charmantes. " Il réfléchit, eut une révélation. Knight. " Mais j’attends aussi que mon petit frère arrive sur l’île pour faire mon choix. Nous rejoindrons le même troupeau, et je veux qu’il se plaise autant que moi dans celui que j’ai choisi. "

Connaître la sortie ? Est-ce que je connaissais un minimum ce Désert pour savoir où était la sortie ? Bien évidemment ... Ou pas ! J'étais quand même venue à lui complètement écumante, alors ça prouvait que je ne connaissais pas du tout ce Désert. Et pourtant, je ne pouvais lui dire la vérité. Je m'étais tellement vantée d'être arabe, d'avoir des origines qui déterminaient toute ma vie, alors je ne pouvais le faire. Non mais sérieux, c'est comme si je n'avais cessé de dire que j'étais princesse, bientôt reine, et que finalement je ne pouvais accéder au trône. Ce serait un comble tout de même ! Mon regard se porta brièvement sur Blake qui venait tout juste de s'écarter de l'ombre venant de l'arbre fruitier. Un petit frémissement prit mes lèvres tandis que j'imaginais le calvaire qu'il pouvait vivre à cause de sa robe ... Noire et blanche. Le noir absorbe bien trop fortement le Soleil, donc la chaleur ne peut être que plus forte. Heureusement pour moi, je suis isabelle donc seulement mes crins supportent la chaleur. Oh bien sûr, en cas d'énorme canicule, mon encolure sera trempée d'écume à cause de ma crinière mais je m'en moque. Car ma robe couleur sable me protège comme il se doit du soleil. Alors, mon sourire se dessina sur mes lèvres tandis que j'hochai la tête.

" Je suis née trompeuse ou pas ? Bien sûr que je connais la sortie voyons ! " dis-je avec un grand sourire.

Si je mentais ? Evidemment, mais il n'était pas censé le savoir. Personne ne devait savoir que je mentais, alors je devais jouer le jeu aussi facilement que je le jouais avec mon père. Je ne me rend pas bien compte d'où me menait mes pas, mais la conversation avec Blake était bien plus importante actuellement. Il faisait sans doute parti des uniques personnes avec qui je discutais autant, mais ça me faisait du bien. Au moins on m'écoutait, on tentait de me comprendre et on m'apprenait des choses que je ne connaissais pas encore. Si je devais le considérer comme un ami, je ne saurais le dire, mais j'avoue l'accepter volontiers. Avoir un ami ça fait toujours plaisir, vous ne croyez pas ? Pouvoir profiter de la présence de quelqu'un sans pour autant avoir de pensées malsaines, pouvoir compter sur une épaule, pouvoir écouter quelqu'un, pouvoir lui confier nos déboires ... Ouais, j'ai beau avoir cinq ans, vouloir dominer les trompeuses, mais je reste quelqu'un avec un coeur. Quelqu'un qui veut avoir quelqu'un à qui se confier. Et je veux que ce soit Blake, mais je ne dois pas pour autant tout lui dire : sinon il fuirait, ou me tuerait, au choix.

" Me battre ? Oh non. Les paroles suffiront, je pense. Et si violence il y a besoin, je ferai en sorte que ce soit lui qui frappe le premier pour le mettre en porte à faux. " dis-je avec un sourire plein de tactique.

Plus la conversation se profilait, plus les souvenirs défilaient dans ma tête. Je ne connaissais pas grand chose de lui, au final, à part qu'il était le fils de Hyuna' et ça je ne le savais même pas de lui. Seulement de la première concernée, car c'est elle qui m'en avait parlé. Grâce à elle, je savais maintenant que le gardien de mon diadème était le fils de ma première alliée. C'était sans doute une bonne chose pour moi. Car ainsi, si un jour je voudrais gouverner, il me suivra. Tout du moins, je l'espérais. Il était lui, j'étais moi, mais nous deviendrons nous si je le désire.

Délicatement, je regarde le sable qui s'envole à chacun de mes pas et pose un regard sur le jeune étalon lorsqu'il parla une troisième fois. Alors Hyuna' ne voulait pas intégrer les Orphelines en premier lieu ? Pourtant, elle y était. Je ne comprenais pas son raisonnement, réellement pas. Son copain ne m'appréciait pas, je le savais depuis le premier jour où je l'avais rencontré. Pourtant, il faisait parti des Trompeuses. Je ne pourrais pas changer cela, même si un jour je monte sur le trône, mais je ferai en sorte qu'il m'apprécie pas. Si il ne le fait pas, il partira tout simplement. Finalement, je secoue la tête progressivement pour ensuite reprendre le pas.

" Pourtant, elle est aux orphelines actuellement, non ? Alors pourquoi ne veux-tu pas aller dans le troupeau de Fifa, avec ta mère ? Je ne comprend pas. Même moi, je ne pourrais aller dans un autre troupeau que celui de mon père. Je ne peux le concevoir. " dis-je avec le plus d'honnêteté que je pouvais avoir. " Je suis allée une fois chez la crème. Ah non deux pardon. " me corrigeai-je en me rappelant mes retrouvailles avec mon père au ruisseau. " J'aime pas du tout. La mort est partout là bas, on dirait. "

J'avais omis volontairement de parler du Verger et de ma discussion avec Rosie. Ce n'était pas important. On avait fait que parler et voir quelques initiales sur une souche morte. Ici, n'était pas le souci. Finalement, je vins rejoindre Blake sur la dune et hochai la tête à sa dernière parole. Un petit frère alors ? Il n'était pas fils unique, comme moi ? J'aimerai tellement avoir un vrai petit frère, pas ce demi-frère que ma mère a eu à cause d'un viol. Mon regard sur porta sur l'horizon.

" Tu as un petit frère ? Tu l'as déjà rencontré ? Il vient d'où ? " demandai-je avec une vraie curiosité.

Le vent se souleva à nouveau. Il exhorta cette fois le sable à la véhémence, et ce dernier s'agita en bas de la dune, emporté dans une danse aussi éphémère qu'elle était épuisante. Blake jeta un regard en arrière. Au loin l'air tremblait contre l'horizon, comme frissonnant d'illusionnisme. Le soleil pendait plus bas dans le ciel que tout à l'heure, mais demeurait un oeil fixe et implacable. Peut-être aurait-il du choisir la nuit pour explorer les lieux. Elle réservait cependant elle-aussi son lot de complications. Bien que la Lune ait été un astre plus aimable, elle enjoignait souvent les prédateurs à louvoyer et caressait d'un regard égal et argenté tous les contours de la nature, ce qui aurait rendu les dunes plus semblables qu'elles ne l'étaient encore actuellement.

Hallelujah connaissait peut-être bien le désert, mais elle pouvait aussi être assez orgueilleuse pour le prétendre.

Le tourbillon avait disparu comme il était venu. Le sable reposait à présent, et l'on ne pouvait pas discerner quels grains s'étaient laissé séduire par cette minuscule révolution contre l'inertie. Blake zébra ses flancs du bout de la queue, soulevant un peu d'air chaud. Hallelujah parlait à nouveau. Il riva ses yeux sur l'étendue désertique qui s'étalait devant eux, bosselée et brûlante.

Il y avait quelque chose d'illogique dans ce qu'elle disait, quelque chose de manquant. Pourquoi Cyrius aurait-il lancé aux trousses d'un solitaire insolent sa fille pour lui demander de lui parler ? Hallelujah ne semblait pas être une diplomate - bien qu'elle ait pu avoir des talents cachés - et son intervention dans l'histoire, seulement pour qu'elle raisonne avec le dénommé Rekkles, avait peu de sens si elle n'était pas dissuasive. Pourtant, elle était tout à fait enchantée par l'idée. Cyrius avait-il cru que sa fille se casserait volontiers les dents contre un adversaire de deux fois sa taille - il supposait que l'étalon était plus costaud qu'elle - ? Ou avait-il simplement voulu la distraire en lui donnant des responsabilités ? Peut-être s'agissait-il d'un entraînement pour la préparer à régner. Une délégation de mission.

Ou encore autre chose.

Il fallait espérer pour le solitaire qu'il ne frapperait pas en premier, ce qui aurait dénoté un manque de jugeote.

L'isabelle était prise par la conversation. La chaleur commençait à monter et Blake fit un pas de côté pour soulever un peu d'air. Les propos de sa compagne du jour glissaient en direction de l'histoire de sa famille.

Le pie songea tout à coup au fait que c'était là que tout avait commencé. C'était pourquoi ses pensées se tournaient continuellement vers la mort en ces lieux. Hypocamp' avait été assassinée dans le désert de l'oubli.

Mais elle n'avait pas été oubliée. Loin de là.

" C’est une très longue histoire, et elle n’est pas très amusante. Mais tu l’entendrais sûrement un jour ou l’autre, alors autant que tu la tires de moi. "

Le jeune étalon décida qu'il préférait marcher en la racontant, aussi se lança-t-il dans la descente de la dune. Certaines d'entre elles étaient bizarrement raides, bien qu'elles n'aient pas pu prétendre être escarpées. Il reprit la parole une fois qu'il eût atteint le pied et semé le nuage de sable qu'il avait soulevé.

" T’as t’on déjà parlé d’Ocëan Pearl ? Elle dominait les terres Trompeuses avant ton père. Ce sont sur ces mêmes terres Trompeuses qu’elle a tué ma grand-mère, il y a des années de cela, sous les yeux de ma mère qui n’était qu’une enfant. Ma mère n’a jamais pu pardonner ce crime. Elle s’est vengée en tuant Ocëan Pearl il y a quelques mois de cela, alors que je n’avais pas encore rejoint l’île. "

Son ton était grave. On ne plaisantait pas avec la mort des gens. Du moins, pas en public.

" Fifa est la fille d’Ocëan Pearl. Ma mère a malheureusement été envoyée aux enfers par Aléas, où elle a été continuellement confrontée au spectacle du meurtre de ma grand-mère. Fifa a proposé de l’en tirer, à condition qu’elle ne rejoigne le troupeau des terres Orphelines. J’aime ma mère infiniment. Je sais qu’elle trouvera un jour le moyen d’échapper à l’emprise de Fifa, et peut-être trouverai je comment l’y aider. Mais, en attendant, je ne souhaite pas m’immiscer dans cette histoire et j’inquiéterais plus ma mère qu’autre chose en la rejoignant. "

Sans compter que No. Thirteen avait raison. Il devait s'aligner à ses intérêts. Et ses intérêts ne se cachaient certainement pas sous l'égide des Orphelines.

Blake jeta un regard alentour. Il lui semblait discerner très loin des contours rocheux, qui correspondaient peut-être à la deuxième oasis, cachée sous la pierre, qu'il avait croisé. Il regarda Hallelujah, attendit cette fois qu'elle choisisse leur direction. Un sourire grimpa sur sa figure lorsqu'il eut l'occasion d'aborder un sujet plus joyeux.

" Il vient du même endroit que moi, l’île de Sable. Il est né assez peu de temps après moi. Bien sûr, que je le connais ! D’ailleurs, puisque tu sembles avoir déjà vu ma mère, tu le reconnaîtrais sûrement facilement. Il a les mêmes balzanes qu’elle. Il doit venir sur Horse-Wild comme moi, par la mer, lorsqu’il sera assez fort pour survivre à la traversée. "

Hallelujah avait semblé sceptique, lors de leur première rencontre, lorsqu'il avait évoqué la manière employée pour rejoindre l'île. Il ne pouvait cependant pas mentir sur la question, puisque la vérité était déjà assez incroyable et extraordinaire.

Délicatement, je pouvais sentir le vent désertique caresser mon chanfrein. Mes crins venaient se superposer sur mes yeux, faisant en sorte que je doive secouer ma tête pour avoir une vision assez bonne. Mon regard se porta sur l'horizon et un fin sourire naquit sur mes lèvres : le Soleil était encore présent. Tant mieux ! Ca me permettrait de me guider dans ce désert méconnu. La chaleur était étouffante, il fallait l'avouer, mais les rayons du soleil étaient utiles quelques fois. Quelques fois certes, mais pas ici. En effet, ici aucun objets ou dunes présentes ne suffiraient pour créer une ombre assez importante pour m'emmener à la sortie. Subtilement, mon regard se porta sur le ciel et une moue boudeuse apparut sur mon visage. Aucun nuage. Aucun nuage n'était visible, faisant en sorte de cacher le Soleil et donc diminuer sa chaleur. C'est sans doute pour cette raison que les animaux mourraient aussi facilement dans cet endroit, et que leurs squelettes étaient présents. Etrangement, aucun corps ne se voyait. Aucun cadavre. Mais où étaient-ils ? Pourquoi je ne voyais aucun vautour manger les carcasses d'animaux morts récemment ? Je ne comprenais pas. M'étais-je perdue au point que le temps avance aussi vite ?

Je secoue la tête. Non, il était hors de question que je perde la tête à cause de ce désert. Hors de question que je perde les moyens à cause d'une nature capricieuse. Je suis ambitieuse, impulsive et sang chaud, mais je savais faire la part des choses et surtout me calmer sur les éléments naturels. Malheureusement, je ne savais pas me calmer aussi vite sur mes congénères ou les chevaux m'entourant. Ils me cherchaient, ils me trouvaient, tout simplement. Alors le regard sceptique de Blake était parfaitement compréhensible. Si on me connait un minimum, on peut facilement se demander comment je pouvais être sur les traces d'un étalon quelconque. Et surtout pourquoi moi ? Et surtout pourquoi devrais-je faire le travail d'un dominant ? Tout simplement, car je l'ai demandé. Je voulais être une reine, mais je devais déjà être la protectrice de mon père. Je devais le protéger, de une pour qu'il comprenne que je méritais ma place et de deux, car je pouvais être bien plus forte qu'il ne le pensait. Alors Rekkles serait sans doute un entraînement, mais il serait surtout la première brique de ma maison royale.

Mon oreille se redressa lorsque Blake commença l'histoire de sa famille. Fifa, sa mère, son frère ... J'avais légèrement du mal à comprendre mais j'aimais écouter son histoire. Elle était très intéressante. Il me parla d'Ocëan Pearl que je ne connaissais pas du tout. La mère de Fifa ? J'aurai bien voulu la connaître tiens. Etait-elle aussi mauvaise que sa fille ? Aussi protectrice de son territoire ? Avait-elle un compagnon comme elle ? Fifa était-elle sa seule fille ? Je laissais mon imagination naître subtilement, tandis que je tentais de mettre mes informations en place. Finalement, je hoche la tête.

" Je vois. Et ta grand-mère se nommait comment ? Ocëan Pearl ? Non, jamais entendu parler mais vu comment tu en parles, je pense que je l'aurai apprécié. Car les gens avec un fond méchant deviennent souvent mes potes. " dis-je avec un sourire moqueur.

Une information tilta dans ma tête tandis que je posais un regard inquiet sur Blake.

" Ta mère aux Enfers ? Elle ne mérite pas cela, surtout quand tu me dis le fléau qu'il lui a infligé. Elle aurait du venir me voir, je l'aurai aidé. " dis-je avec toute la sincérité possible.

Hyuna' était quelqu'un que j'appréciais réellement, alors oui, ça me faisait du mal d'apprendre ce qu'elle avait subit. Elle n'avait pas de mérite à vivre ainsi. C'était trop injuste et dur pour elle. Revoir la mort d'Ocëan continuellement ? C'était terrible. Finalement, il me parla de son petit frère tout en descendant de la Dune. Je descendis alors délicatement avec lui, faisant attention où mes sabots se posaient. Son petit frère ? Venant de la Mer ? Donc, il m'avait dit la vérité.

" Mais attends ! Tu as fait comment cette traversée ? En nageant ? T'es un sur-cheval ou quoi ? " demandai-je avec un sourire mi-moqueur, mi-sceptique.

Hallelujah ne se décidait pas sur la trajectoire à emprunter, aussi Blake trancha-t-il. Il prit un pas vif en direction des rochers qu'il devinait au loin. Il s'agissait soit de l'oasis, soit de la sortie. Les abords du désert étaient couverts de tassilis qui ressemblaient à des rebuts des Rocheuses.

Il ralentit l'allure, conscient qu'un pas trop rapide le drainerait de ses forces. Le pie adressa un regard à sa compagne, qui avait hoché la tête. Elle prit la parole.

Le jeune étalon demeura stoïque. Il pressa le pas une fois de plus.

L'isabelle manquait de tact. Cela, il le savait déjà. Elle confirmait qu'elle ne ferait jamais carrière dans la diplomatie, ce qui n'était, de toute façon, sûrement pas son but. Hallelujah s'attachait plus à la royauté et l'avait semble-t-il toujours fait. Se sentait-elle menacée par la grossesse de sa belle-mère ? La question aurait été indiscrète, aussi ne la posa-t-il pas pour le moment.

Dire que l'on aurait apprécié la meurtrière de la grand-mère de celui avec lequel on s'entretenait relevait presque plus de l'inconscience que de l'insolence.

" Ma grand-mère s'appelait Hypocamp'. "

Il était surprenant qu'elle n'ait pas entendu parler d'Ocëan Pearl. Oubliait-on donc si vite les anciens dominants de l'île, ou le désert de l'Oubli faisait-il finalement effet ? Peut-être Hallelujah était-elle simplement oublieuse. Il préféra s'intéresser à ce qu'elle avait dit, et qui ne manquait pas d'une certaine suffisance. Du moins, elle ne semblait pas désapprouver de ses supposées mauvaises fréquentations.

Il lâcha finalement un filet de rire, avant de plaisanter :

" Et tes amis savent que tu les trouves méchants ? Ou en sont-ils fiers ? "

Et quels amis avait-elle ?

L'arabe le couva d'un œil inquiet qui le surprit. Elle semblait réellement apprécier sa mère. Il ne pouvait pas lui en vouloir pour cela. Il aimait lui-même sa mère, sûrement bien plus qu'elle. Elle avait d'ailleurs de la chance que ses propos ne soient pas tombés dans les oreilles de Hyuna'.

On pardonnait difficilement, dans sa famille.

Le pie pressa le pas. Il se demanda bien ce qu'Hallelujah aurait pu faire pour aider sa mère. Elle n'était pas dominante. Elle aurait peut-être pu intercéder en sa faveur auprès de Cyrius - ou de Fifa, si elle connaissait cette dernière.

" Comment aurais-tu fait ? " demanda-t-il, curieux, avant de renchérir : " Tu as déjà rencontré les dominants des terres Orphelines ? "

Les contours rocheux devenaient de plus en plus saillants. Blake reconnaissait la deuxième oasis qu'il avait croisé lors de son passage et poussa un soupir rassuré, pressant le pas pour la rejoindre. L'eau se trouvait à l'intérieur et elle était sûrement assez fraîche.

Hallelujah était tenace. Lorsqu'elle était sceptique, elle le demeurait. Et elle aimait agrémenter ce scepticisme d'une de ses épices favorites, la moquerie. Blake pimenta ses propres propos d'un peu de malice.

" Hallelujah, il faut que nous retournions un jour à la mer. Comme ça, je te prouverai que je sais très bien nager. "

Il s'abrita sous l'ombre des rochers qu'il venait d'atteindre. La mention de la mer - l'eau était son élément, bien plus que la terre - lui donnait encore plus envie de rejoindre un endroit moins aride. Hypocamp' et Ocëan Pearl, dont les noms étaient si marins, auraient peut-être partagé ce désir.

Il n'avait jamais rapproché les deux matriarches dans son esprit de cette façon.

Je vis Blake accélérer le pas et mon regard se porta sur les rocheuses que l'on pouvait distinguer au loin. Etait-ce réellement les rocheuses ou seulement un mirage que la chaleur m'envoyait ? Si je commençais à paniquer ? Bien évidemment, mais il était hors de question que je le montre ouvertement. Je n'avais cessé de me vanter, de dire que j'étais la meilleure, alors ce n'est pas aujourd'hui que la chaleur m'anéantira. J'ai cinq ans, certes, mais aujourd'hui je voulais réellement retrouver mon père. Je voulais qu'il me rejoigne, qu'il me montre où était la sortie de ce désert. Il était temps que je m'en aille de cet endroit, que je vois autre chose. Oh bien sûr, au début, j'étais bien contente de me retrouver dans ce désert, bien heureuse de découvrir des endroits que je ne connaissais pas. Mais actuellement, je ne rêvais que d'une chose : de l'eau. Je voulais poser mes naseaux dans de l'eau, découvrir des étoiles de mer, nager ... Certes, je ne venais pas d'une race adepte du dieu Aquatique, mais j'avais besoin de lui maintenant, toute de suite. Alors, il était temps que je le retrouve. Il était temps que je pose mes sabots dans l'eau du Golfe, temps que je redécouvrir mes membres qui s'endormaient petit à petit.

Finalement, mon regard se porta de nouveau sur le jeune étalon lorsque j'entendis sa phrase. Un nom. Un seul nom et je compris que je venais de toucher une limite que je n'aurais peut-être pas du. D'habitude, je me moquais pas mal de blesser les êtres que je côtoyais, mais étrangement je m'en voulais pour Blake. J'avais sans doute été assez fort, sans même m'en rendre compte. Alors, une petite moue naquit sur mon visage tandis que j'hochais la tête.

" Excuse-moi. Je me rendais pas compte d'être allée aussi fort. En tout cas, c'est un joli nom. " dis-je, avec toute la compassion et la sincérité dont j'étais capable.

C'était bien la première fois que je m'excusais auprès de quelqu'un me semblait-il. Mais j'avais le sentiment que Blake les méritait amplement. Il était tout de même quelqu'un d'aimable, de sage et surtout quelqu'un que je commençais à apprécier. J'appréciais sa présence autant que les paroles qu'il pouvait avoir. Ca me faisait drôle de ressentir cela d'ailleurs, c'est sans doute pour cette raison que je réagissait ainsi. Mes pas suivaient ceux du pie sans que je ne m'en soucie. Il était un peu comme ma boussole, me menant à des endroits que je connaissais pas. En fait, grâce à lui, j'avais retrouvé l'insouciance de mon adolescence que je n'avais pas réellement vécu et ça me faisait plaisir. A ses questions, j'eus un petit rire tandis que je secouais la tête.

" Je ne sais pas et je m'en fiche. Mais certains de mes amis méritent que je les surveille de loin et les protège quand ils ont besoin. " répondis-je naturellement.

Sans doute comme Rosie. Bien sûr, elle n'avait pas besoin de ma surveillance, mais je faisais toujours en sorte de pouvoir la revoir et la recroiser. Si elle me manquait quelques fois ? Bien évidemment. Sa douce voix, ses paroles censées et ses discours intelligents étaient indispensables dans ma vie et ça elle ne le savait pas encore. Rosie est ma seule amie et j'en suis parfaitement consciente. Hyuna' n'est pas une amie, seulement une maman adoptive. Mais elle est toute aussi indispensable à ma vie. Ses questions me firent soupirer.

" La volonté cher ami. Avec la volonté, nous pouvons tout faire selon moi. Et oui, j'ai rencontré Fifa. Qui n'est d'ailleurs pas ma meilleure rencontre. " Ma dernière phrase fut prononcée avec un sourire ironique.

Finalement, lorsque mes yeux se posèrent sur une forme rocheuse et surtout de l'ombre, un profond soupir de soulagement passa ma bouche. Rapidement, je me mis à l'ombre et mon corps se rafraîchit timidement. Ca faisait tellement de bien. La prononciation du mot " Mer " me fit comme un électrochoc et mon coeur se stoppa net. L'eau me manquait tellement, c'est hallucinant !

" Alors, allons-y maintenant ! J'ai bien besoin d'un bon plongeon ! " dis-je avec motivation.

Rapidement, je repris le pas pour me diriger vers les formes rocheuses, espérant le Golfe non loin.

Blake sourit à Hallelujah, lui signifiant qu'il acceptait ses excuses.

L'ombre glissa sur son corps sans entièrement le débarrasser de la chaleur qui l'accablait. Il était ravi de ne pas posséder les crins lourds, bouclés et longs de son père, qui auraient plus encore contribué à son mal-être. L'eau était derrière la paroi, mais il savait que s'il la rejoignait, il aurait du mal à la quitter. Passer une nuit dans le désert était possible, mais pas vraiment désirable. Il l'avait assez vu et évalué les dangers qu'il représentait. Un pied malhabile se serait rapidement perdu. Il fallait être un véritable trompeur pour fréquenter cet endroit régulièrement.

Il n'en était pas un.

Hallelujah en revint au sujet de ses amis, ces figures mystérieuses et innommées. Bien qu'elle considéra apparemment que de la méchanceté collait au fond de leur chaudron, elle les disaient méritants de sa protection... Et de sa surveillance. Une lame à double tranchant.

" Tu sembles aimer protéger les gens, " constata-t-il avec un sourire.

La moralité de ses amis importait apparemment peu à Hallelujah. C'était à la fois une bonne et une mauvaise chose. S'encombrer du vice des autres n'amenait qu'à l'accumulation de leurs défauts, le désir de découvrir ce qu'ils cachaient d'autre et parfois la déception d'avoir trouvé quelque chose d'inacceptable ou de dangereux. Mais ignorer exactement ce dont quoi ils étaient capables, c'était ignorer ce qu'ils pouvaient vous faire.

Voilà peut-être pourquoi elle les surveillaient.

Quant aux secours promis, ils furent approvisionnés par la volonté, cette grande faiseuse d'empires. Avec la volonté, on pouvait certes atteindre des sommets ou toucher des tréfonds, dépendamment du monde que l'on souhaitait fréquenter. Dasrath Manjhi avait fendu en deux une montagne par la force de sa volonté.

Blake regarda les reliefs rocheux que l'on devinait au loin.

C'était cependant avec le pouvoir que l'on faisait tout. Pouvoir et volonté. Les deux ingrédients d'une incessante réussite, mais aussi les deux poisons d'une déchéance. Combien de tyrans étaient-ils morts l'écume à la bouche ?

Le pie en revint à Fifa, qu'Hallelujah ne semblait pas apprécier. Il ne se faisait aucune idée de la personnalité de la dominante - sinon qu'elle semblait intelligente - et réservait sa propre appréciation à une véritable rencontre.

" Pourquoi donc ? "

Hallelujah se détacha tout à coup de l'ombre, comme galvanisée par une idée. Elle se tourna vers lui. Ses désirs étaient parfois volatiles, imprévisibles. Elle voulait beaucoup.

Blake prit le pas à sa suite. Le vent se leva à nouveau. A cet endroit du désert, les dunes s'aplanissaient et quelques arbustes épineux résistaient même au sable. Il tenta d'en reconnaître un, sans succès. Sa compagne semblait connaître le chemin jusqu'à la mer - probablement celle qui bordait le golfe - mais cette destination était imprévue.

" Tu es sûre ? Tu ne veux pas aller récupérer ton diadème ? "

Il évita une nuée de sable qui, soulevée par l'air, tentait de le frapper en pleine face.

Le sourire que m'adressa Blake me confirma la gentillesse dont il pouvait faire preuve. Il était bien le fils de Hyuna, j'en étais convaincue maintenant. Même si dés le départ, je l'avais cru bien évidemment. Mais cette gentillesse était sans doute génétique en réalité. Je me souviendrais sans doute du premier jour où j'avais rencontré la jument : dans la forêt des Singes. J'étais encore une jeune pouliche, recherchant l'attention et l'approbation d'autrui, et j'étais tombée sur elle, par hasard. J'avais un sale caractère, celui d'une enfant pourrie gâtée et pourtant elle m'avait accepté telle que j'étais. Elle m'avait prise sous son aile sans que je m'en rende, véritablement, compte puis petit à petit je m'étais attachée à elle. Une maman que je n'avais pas connu, voilà ce qu'elle était devenue pour moi. Une maman qui m'aimait comme j'étais et qui n'avait pas fui à chacune de ses responsabilités. Oui, elle était parfaite à mes yeux et un jour je lui dirais. Je ne connaissais pas encore totalement Blake mais pour moi, il était le reflet de sa mère. La gentillesse et la clémence étaient marquées sur son visage, comme la beauté dont il avait hérité. Un gentleman, voilà exactement ce qu'il était à mes yeux. Un gentleman que je n'hésiterai plus à garder dans mes alliés.

En parlant d'alliés, je ne savais pas réellement qui ils étaient et sur qui je pouvais vraiment compter. Rose Madder ? Je ne la voyais pas assez pour la considérer comme une véritable amie. Naëlle ? Je ne la connaissais pas assez pour qu'elle appartienne à mes alliés. Aurore Opéra ? Oh bien sûr, il m'a sauvé la vie, mais que savais-je de lui exactement ? Me serait-il loyal si je le mettais dans la case amis ? Brod ? Je ne savais absolument rien de lui. Il fallait que j'en juge davantage. Fantôme ? Aussi manipulateur que moi, selon moi, donc il faudrait que je me méfie réellement de lui. En réalité, le seul en qui je pouvais vraiment faire confiance car il a tenu sa parole, actuellement, était sans aucun doute Blake. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est un ami, puisque l'on ne se connait pas assez. Mais il a tenu sa parole, il a caché mon diadème donc je savais, dorénavant, que je pouvais avoir une entière confiance en lui. Ma famille ? N'en parlons même pas. Ils ne sont que des pions que je ne cesserais de déplacer, sans qu'ils ne s'en rendent véritablement compte. A la phrase du pie, j'eus un bref sourire. Protéger les gens ? S'il savait.

" Je ne les protège que quand ils le méritent. Sinon, ils peuvent crever la bouche ouverte, je ne manquerai pas de les snober. " dis-je avec un sourire carnassier. Bien sûr, je visais certaines personnes de mon entourage.

Ce n'est plus la peine que je mette un nom sur ces personnes, elles se reconnaîtront sans aucun doute. Et puis, la vulgarité fait partie de mon langage, j'en suis consciente mais maintenant c'était terminé. J'ai grandi et il est temps que je le prouve au monde entier. Temps que je prouve que je peux parler sans être vulgaire, que je n'insulterai plus gratuitement et que la subtilité pouvait autant côtoyer la haine que la rage. Ils veulent jouer aux plus forts avec moi ? S'ils savaient. Ma force n'a d'égale que ma détermination et ils ne le découvriront qu'à leur dépend. La pouliche pourrie gâtée qui ne faisait qu'insulter pour se défendre n'existe plus. Je suis une jument de presque huit ans maintenant et je suis parfaitement capable de me défendre avec mon corps. De plus, sachant ma beauté, la manipulation et la séduction seront tellement simples. Les étalons ne réfléchissent qu'avec leurs couilles et ça tout le monde le sait, moi la première. La preuve avec Papa ... N'a-t-il pas réfléchi ainsi en faisant de Superbia sa jument ? Oh bien sûr, je peux concevoir qu'il soit amoureux, elle aussi. Mais le sexe n'a-t-il pas une grande place là dedans aussi ? Certainement.

Lorsque la question tomba, j'eus de nouveau un sourire. Mais cette fois-ci nostalgique. Elle me manquerait presque cette période ... Cette période où je n'étais encore qu'une pouliche innocente, se moquant du regard des gens, et ne connaissant rien de ses responsabilités futures. Ne faisant que divaguer sur les terres de chacun, découvrant des choses qu'elle ne devrait pas et surtout s'amusant d'un rien. Dans le fond, pourquoi la détestais-je autant ? Je ne saurais réellement le dire. Peut-être que ma fierté mal placée fait en sorte que je suis rancunière, que je lui en veut pour une bêtise perpétrée par moi-même. J'ai, effectivement, hérité de la fierté de Père. Elle n'aurait jamais du me jeter à la porte de son territoire, ni même demandé de faire le ménage ainsi. Oh bien entendu, je l'avais cherché mais je lui en veut de son peu de tact. Je n'étais qu'une gamine à l'époque. Finalement, mon regard se porta une dernière fois sur mon compagnon de voyage et je secoue la tête.

" Sans doute car je ne supporte pas son autorité. Elle n'est pas ma mère donc je me donne le droit de lui désobéir. "dis-je presque moqueuse.

Tandis que mes sabots ne cessaient de fouler le sable et que mes yeux se fermèrent à une énième bourrasque de sable, je secoue la tête. Le diadème était important au début, mais la flotte l'est encore plus dorénavant. Il était temps qu'on se réhydrate.

" On ira le chercher plus tard. Pour l'instant, j'ai bien envie de te montrer à quel point une arabe peut te battre en brasse. "lui répondai-je avec un grand rire.

Alors sans hésiter une seconde fois, je le pousse de mes naseaux et pars brutalement au galop. Bien entendu, mes jambes brûlaient mais je m'en moquais, l'odeur du sable et de la mer m'attiraient beaucoup trop. Un regard en arrière pour vérifier s'il me suivait et je pris le chemin le plus court pour la sortie.

Les sourires d'Hallelujah se teintaient parfois d'une violence qui venait ourler le coin de la bouche, piquer la pointe d'une dent découverte. Des menaces se tapissaient sous certains propos, se jetaient hors de certains autres, découvertes et couvertes de peintures de guerre, comme si une grande colère avait besoin de se déchaîner sans trouver encore de victime. Blake ne doutait pas qu'Hallelujah ait pu blesser avec ses mots, mais il se demandait si elle pouvait heurter quelqu'un avec son corps. Arabe, elle l'était, et si elle en était fière, elle n'avait pas été dotée de la musculature qui se prêterait à des épanchements sanguinaires.

Mais tout était possible et sous-estimer David était l'erreur fatale de Goliath.

Blake songea à Knight, à ses soubresauts, à son besoin de mouvement, à ses regards fixes et vides, remplis seulement par la perspective de l'action. Il y avait comme une frustration instinctive chez son jeune frère, qu'il avait discerné très tôt. Chez Hallelujah, la frustration semblait partiellement construite par quelque chose, un événement peut-être, un traumatisme, un désir inassouvi. La virulence des propos jaillissait comme un coup qu'elle n'aurait pu donner.

Le mérite semblait aussi avoir une part d'importance. Blake pouvait comprendre cela. Garder auprès de soi des gens méritants, c'était s'assurer d'être en bonne compagnie.

Le désert était quant à lui un compagnon dont la fidélité ne faisait pas de doute. Il ne semblait jamais disparaître, comme l'ombre qui ondulait à ses côtés.

Mais son ombre avait bel et bien disparu, une fois, dans cette forêt de lanternes, aux côtés de celle qui s'était surnommée Rosie.

Blake la regarda, la défiant presque de le quitter à nouveau. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Elle prenait des proportions gigantesques sur le sable.

L'isabelle parla du rôle des mères. Ses propos le surprirent vaguement. Elle ne semblait pas porter Nazz'ariah dans son coeur. Il se demanda si elle avait été une pouliche modèle - en douta, en se souvenant de sa cavalcade effrénée lors de leur première rencontre. Le pie la scruta, tâche dorée imbibée d'un peu d'encre, et se demanda finalement si Hallelujah n'était pas en réalité menacée par la solitude et la peur de l'affection des autres, ce qui aurait expliqué sa tendance à les broyer dans ses propos comme pour assurer qu'elle n'avait pas besoin d'eux.

Il sourit à la jument, qui le regardait. Elle lui confirma que le diadème attendrait, ce qui le soulagea quelque peu. Les Rocheuses étaient écrasantes de chaleur et l'appel de la mer était toujours irrésistible. Il avait grandi à ses côtés, bercé par ses marées et ses chants - il y était dans son élément et la considérait même comme une alliée. Elle ne l'avait pas englouti lorsqu'il avait entrepris le voyage, encore jeune, encore un peu faible, toujours un peu pugnace.

Son soulagement fut cependant ébranlé par le petit coup qu'elle lui donna avant de partir au galop, soulevant sur son chemin une grande quantité de sable. Blake retint un soupir. Il n'avait pas la force de galoper et il hésita quelques instants avant de pousser ses muscles, prenant un trot ample puis un galop qui le rapprocha d'elle sans qu'il ne la dépasse. Le désert disparaissait progressivement, envahi par une végétation de plus en plus verdoyante. Il ralentit finalement et la suivit jusqu'à l'eau promise, conscient de la ressemblance que prenait cette fin avec le début de leur première rencontre.

Le golfe d'émeraude ne regorgeait pas des pierres ceintes sur son nom, mais il pouvait toujours les chercher dans les profondeurs connues, explorées, de ses origines. Il était né parce que sa mère avait sauté dans ces eaux.

HRP:

Les menaces font parties intégrantes de mon vocabulaire et de ma vie quotidienne. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. Seulement, j'ai l'impression que tout le monde est contre moi, qu'ils veulent absolument ma place et surtout qu'ils veulent ma mort. D'un côté, je peux parfaitement comprendre : c'est vrai qu'à une époque, j'ai été exécrable. J'ai été vulgaire, violente et brutale. Je me souviens parfaitement de ma rencontre avec Final Act, quand il était petit. Il a simplement voulu jouer et me prendre gentiment mon fruit, mais évidemment je l'ai prit mal. Quand on ne va pas dans mon sens, je déteste cela et j'en suis consciente. Il faut que les autres soient de mon côté, quoiqu'il advienne. Il faut qu'ils me suivent que je veuille faire, mais surtout il faut qu'ils acceptent toutes mes demandes. Pourquoi ? Tout simplement car je déteste être seule. Je déteste me retrouver retranchée, et surtout loin de mes limites. Je veux absolument tout contrôler, que ce soit les autres ou les événements. Les choses imprévues ? Je déteste cela. Et ça, je m'en suis rendue compte à la naissance du fils de Maman et à la rencontre avec Superbia.

Bien sûr, je sais parfaitement que mon physique peut faire rire certaines personnes. Je sais que ma race arabe fera en sorte que mon corps est fin, assez petit et pas fait pour me battre. Mais si ils savaient : le fait d'aimer me battre, fait que je puisse me battre. Mon agilité fera en sorte que je puisse esquiver les attaques. Mais ne dit-on pas que les paroles font encore plus mal que les actes ? Ne dit-on pas que nous pouvons briser une âme qu'en quelques mots ? Ou alors que les mots peuvent anéantir une amitié, une relation ou une personne simplement ? J'en suis convaincue. J'avais réussi à faire mal à Papa, à faire mal à Superbia et surtout à Final Act sans même les toucher. C'était suffisant. Mais effectivement, les actes ne sont pas nécessaires pour blesser : Sefyiade en est la preuve. Elle n'avait pas eu peur de moi, elle m'avait provoqué et avait répondu. Donc maintenant, c'était terminé : je ne taperai plus sans parler. Je ne tuerai pas sans réfléchir. Il est temps que je brise avec mes paroles que plutôt que mes actes. Mon physique n'est pas adéquate.

Beaucoup de chevaux se demandent pourquoi je suis ainsi ? Pourquoi suis-je aussi frustrée ? Aussi violente ? Aussi menaçante ? C'était tellement simple à comprendre : je ne cesse d'en parler. Mes parents. Ils ont détruit l'espoir que j'aurais pu avoir pour l'amour familial, pour l'amitié et les relations intra-congénères. Ils m'ont trahi avant même que je sois adulte. Ils m'ont abandonné avant même que je comprenne le sens de la vie. Si ils étaient restés ainsi, aurais-je été différente ? Bien évidemment. Gentille ? Bonne question. Moins impulsive ? Sans aucun doute. Mais m'ayant éduqué seule, je ne sais comment réagir avec les autres. Je ne sais comment voir les réactions des autres et y réagir. C'est sans doute pour cette raison que je suis ainsi. Mais heureusement pour moi, malgré cela, certains chevaux m'apprécient : tels que Rosie et Blake. A moins qu'ils soient aussi manipulateurs que moi. Moi je les appréciais, et sincèrement, en tout cas. C'est pourquoi j'appréciais et profitais des moments que je passais avec les deux, malgré mon caractère qui survient sans que je m'en rende vraiment compte. Je les remerciais de leur patience d'ailleurs.

Un regard autour de moi et j'eus un grand sourire. Le Golfe s'étendait partout, comme une magnifique forêt naissait délicatement face à moi. J'adorais cet endroit, réellement. Il me permettait d'évacuer, de m'évader et surtout de me créer un monde que seule moi et mon imagination connaissons. Ce Golfe me rappelait tellement de souvenirs, surtout avec Blake. J'avais l'impression de revivre notre première rencontre et ça faisait du bien. Finalement, je me retourne vers lui.

" Allons-y et voyons qui est le plus forts d'entre nous ! " dis-je en rigolant et galopant rapidement vers l'eau du Golfe.

OUT

Spoiler: