Carambolage

Spoiler:

Le changement de climat est clair, net et précis. Après son aventure au Glacier, Yavin a fait une liste des territoire qu’il aimerait visiter; et il a, bien évidemment, commencé par un endroit chaud. Le soleil lui tape sur la tête, et il ne remercie pas sa robe foncée qui accentue la chaleur du cratère. On est loin des températures froides de la banquise, adieu les flocons de neige qui lui accrochent au poil: cette fois, c’est le sable rouge qui recouvre le sol qu’il peut voir s’accrocher à ses jambes.

L’endroit est beau, cependant, avec une histoire intéressante, alors il prend sur lui et continue de l’explorer.

Accompagné de bruits de sabots, un cri un peu trop strident retentit derrière lui, ressemblant à s’y méprendre à des paroles qu’il a à peine le temps d’assimiler. Yavin se retourne pour identifier l’origine du bruit, et n’a pas fait un pas de côté que déjà il se prend quelque chose dans le ventre. La pouliche entre en collision avec son flanc à une vitesse qui lui coupe (littéralement) le souffle. Elle n’est pas bien grande; assez imposante pour le faire arrêter de respirer pendant une demi-seconde, mais assez petite pour ne pas lui faire perdre l’équilibre. Il s’apprête à la réprimander sur à peu près tout ce qui a touché à son comportement quand il voit la raison de cette rencontre fracassante.

Vulgaire et en plus pas douée, l’inconnue a manifestement enragé un chacal, qui les approche à une vitesse un peu moins grande que celle de la jeune jument. Yavin n’a pas de patience à revendre en terme d’enfants, mais il respecte tout de même le principe de protection; il est imposant, il est donc normal dans l’ordre des choses qu’il prenne sur soi pour protéger un jeune. Il la contourne rapidement, couche les oreilles et se met en travers du chemin du canidé en tapant de l’antérieur sur le sol. Le prédateur, auparavant bien arrogant, réfléchit à deux fois et finit par faire demi-tour.

Le percheron remet les oreilles en avant et se tourne lentement vers celle qui lui a manqué d’un respect qu’il est censé mériter. Il se demande lui-même si sa voix calme cache une colère quelconque.

- Que dois-je commenter en premier? Ton incroyable impolitesse, ou ton manque cruel de jugeote?

Yavin n’a jamais demandé à avoir de la compagnie, n’a pas tout à fait connu la vraie notion d’ami et se débrouillerait franchement très bien s’il devait passer le reste de ses jours à vagabonder en faisant quelques rencontres éphémères par-ci par-là. Il n’a pas besoin du monde, le monde n’a clairement jamais vraiment voulu de lui et c’est très bien comme ça. Il n’est pas complètement asocial, mais il fait avec ce qu’il a. Alors quand il rencontre une couleuvre qui veut se faire passer pour un python, il aurait tendance à ignorer et passer à autre chose, en écrasant la peau tout juste morte du serpent inoffensif après sa mue. Mais même les couleuvres sont toutes différentes.

Il peut supporter les adultes. Faire avec leur caractère déjà bien mis en place, envoyer balader ceux qui l’énervent et garder proche ceux qu’il a un tant soit peu apprécié. Mais les poulains? Les jeunes qui pensent que tout ne se résume qu’à eux et qui n’ont aucune notion de politesse? Pas eux. Yavin n’a aucune patience avec et pour les enfants qui n’ont reçu aucune éducation digne de ce nom. Et quand il sauve une gamine d’une mort certaine par chacal et qu’elle le remercie en l’insultant, après avoir insinué que tout est de sa faute, il atteint une limite que peu ont réussi à dépasser. Au diable la jeunesse, il n’y a pas d’âge pour apprendre le respect. Elle l’a cherché, elle va le trouver. Elle va devoir apprendre que son âge ne lui offre absolument aucune immunité lorsqu’elle en vient à prendre les gens de haut.

Ca ne prend le percheron qu’une demi-seconde une fois qu’elle a fini de parler. Il couche de nouveau les oreilles, fouette de la queue et fait un pas en avant à la vitesse de l’éclair, pour venir frôler les oreilles de la pouliche en un coup de dents rapide (laissant le clac résonner dans le cratère), avant de parler d’une voix basse et qu’il a du mal à ne pas rendre menaçante.

- Newsflash, petite garce. Le monde ne tourne pas autour d’un seul individu, et sûrement pas autour d’une gamine écervelée de ton genre. Tes parents ont clairement loupé cette partie dans le peu d’éducation qu’ils t’ont donné.

S’il pouvait, il grognerait. Il aurait dû la laisser se faire attaquer par le chacal, peut-être qu’un peu de sang lui aurait fait comprendre qu’elle n’obtiendra rien avec du venin et attirera plus de sympathie avec du miel.

Avec un caractère pareil, elle aurait pu être élevée par des loups; du moins c’est la pensée qui traverse l’esprit de Yavin alors que la pouliche l’insulte encore une fois, toujours avec le même surnom, et tente de lui faire peur en claquant des dents contre son poitrail. Il la regarde, les yeux plein d’ennui, sans même avoir la force de feindre une peur sarcastique pour l’énerver encore plus. En fait, non, pense-t-il cette fois, un louveteau serait bien mieux élevé que ça. A la place, elle doit avoir des parents qui ont abandonné son éducation dès sa naissance et se laissent probablement marcher sur les pieds à l’heure qu’il est. Sauf la mère, apparemment. Qui, à en croire la morphologie de sa fille, ne doit pas être très imposante, soit dit en passant.

- Si déjà tu comptes continuer avec ta grossophobie, tu pourrais trouver des surnoms un peu plus originaux. Gros tas, c’est vu et revu. Fouille dans ce que la nature t’a donné comme matière grise, il doit bien y avoir quelque chose dans ta caboche.

Il songe à tous les surnoms qu’on lui a déjà donné, se remémore les adultes sur l’île, quelqu’un dont il ne se souvient plus qui l’avait appelé Gargantua et Cyrius à la banquise qui avait été jusqu’à le surnommer Babar. Il a l’habitude de subir des remarques sur son poids et sa carrure, généralement fruits de simples taquineries ou alors d’une peur panique qui se transforme en blagues. Les vraies envies de lui faire du mal verbalement ricochent sur la carapace qu’il s’est construite comme un gilet pare-balles. Il a été battu par des bipèdes pendant plus de six ans. Les autres peuvent arriver à court de salive que leurs paroles ne lui feraient toujours rien.

La pouliche isabelle le regarde toujours comme si elle voulait le manger tout cru pour avoir ne serait-ce que mis un sabot dans son espace personnel et mentionné ses parents, et s’il avait des sourcils, il en lèverait un. Quel genre d’enfance a-t-elle bien pu avoir pour croire sincèrement qu’elle peut imposer le respect à quiconque croise son chemin? Le percheron n’a pas envie de se creuser la tête, il a bien autre chose à faire que de philosopher sur la vie d’une peste.

Un grognement se fait entendre à sa gauche, lui permettant fort heureusement d’utiliser son bon oeil pour identifier l’origine du bruit. Le chacal d’il y a à peine une minute, manifestement bien affamé, a décidé de revenir avec un collègue. Yavin sait qu’avec sa taille considérable, il n’est probablement pas la cible de prédateurs aussi petits et légers. Un chacal est redoutable et a rarement peur. Ces deux-là fixent d’un regard rouge la jeune jument.

Yavin pourrait l’aider comme il l’a fait juste avant. Il pourrait se mettre entre les trois êtres et faire disparaître les prédateurs. Mais elle ne lui a, jusqu’à présent, donné aucune raison de mettre sa vie en danger, aussi minime soit-il. Il n’est pas cruel, il a un coeur, mais il a aussi très envie de lui apprendre une leçon. Elle l’a insulté et traité comme un moins que rien? Il l’a subi sans problème, mais qu’elle ne compte pas sur lui pour l’aider. Il ne lui doit rien. Alors il fait demi-tour et commence à s’éloigner, déjà sourd à de quelconques paroles qu’elle pourrait prononcer.

Yavin a signé pour une journée simple à visiter un endroit riche en histoire et en distractions telles que des prédateurs frêles qui n’osent pas s’en prendre à lui. Il n’a pas signé pour une rencontre fracassante avec une enfant pourrie-gâtée qui lui répète la même insulte en boucle en tentant vainement de l’intimider. Il a essayé de lui remettre les idées en place, elle a refusé de l’écouter, ne jure que par des parents qu’elle n’a pas l’air de respecter autant qu’elle le dit. Très bien. Il a d’autres chats à fouetter. Qu’elle se débrouille, c’est sa philosophie du jour.

Et tout se passait très bien après avoir fait demi-tour, mais le destin est contre lui et elle le déteste au point de ne pas le lâcher. Au lieu de se battre, de se faire tuer par les deux chiens sauvages ou de s’enfuir, elle continue de l’emmerder (oui, on en vient à la vulgarité) et passe juste devant lui pour l’utiliser comme bouclier.

La pouliche se comporte comme une enfant gâtée dont les riches parents ont délaissé l’éducation et qui fait marcher chacune des pauvres nourrices qui sont engagées pour s’en occuper à temps plein. Mais Yavin n’est pas une nourrice, ne compte pas être ne serait-ce que l’étoffe d’un gardien d’enfant, et a une patience bien trop limitée pour éduquer un jeune qui n’a aucune envie de l’écouter. Elle se dandine devant lui, fière de sa bêtise, et les chacals n’osent évidemment pas s’attaquer à lui quand la terre tremble presque sous ses sabots. Alors il décide, en une fraction de seconde, que les canidés ne sont pas ceux dont elle devrait le plus se méfier. Et il fait ce que tout cheval de trait battu atteint de stress post-traumatique et mesurant un mètre soixante-dix au garrot pour presque une tonne ferait à une peste d’à peine un an dans ces conditions.

Il lui mord la croupe.

Il ne fait pas en sorte de lui arracher de la peau ou même de lui enlever quelques poils, mais y met tout de même de la force pour lui faire comprendre qu’il a fini de jouer. Il ne la blesse pas assez pour laisser une marque et ne met pas de coup de pied ou une quelconque attaque supplémentaire, et se contente de la tirer hors de son chemin en la lâchant. Elle veut jouer les grandes, qu’elle se comporte comme une grande.

- Débrouille-toi avec.

Il recommence à marcher, accélérant un peu l’allure au cas-où l’un des chacals décide tout de même de s’attaquer à lui.

Yavin écoute avec une attention divisée les événements qui se présentent derrière lui. Il ne prend pas la peine de se retourner, bien capable d’analyser la situation avec simplement le bruit. Il doit lui accorder cela: la pouliche isabelle est bornée comme une mule, et vient sans grand doute de venir à bout de ses deux agresseurs sans son aide. Tant mieux pour elle, au final, qu’en a-t-il vraiment à faire? Son opinion change radicalement lorsqu’elle ne le lâche pas, se ramène encore une fois à ses côtés et tente de nouveau de se moquer de lui. L’insulte, encore une fois, ricoche pour venir s’écraser à terre et fondre comme neige au soleil.

Fuir la guerre? Peut-être bien qu’il le fait. Peut-être qu’il tente effectivement de se détacher des champs de bataille, d’y échapper encore une fois pour ne plus avoir à regarder la torture et la mort. Il a vécu toute sa vie dans une guerre sophistiquée, créée juste pour lui et ses congénères, cachée à la population pour mieux heurter dans l’ombre. Yavin n’aime pas parler de lui-même comme d’une victime de traumatisme, n’aime pas se réduire à son expérience de douleur, de son passé où il encaissait sans rien dire des coups censés le faire obéir. Et pourtant tout cela le forme, fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, et il n’est pas prêt de changer pour faire plaisir à une pouliche qu’il vient à peine de rencontrer. Alors oui, en un sens, peut-être qu’il fuit.

- La guerre est une perte monstrueuse de temps et d’argent qu’utilisent les mauvais monarques pour distraire ceux qui veulent leur couper la tête. Elle n’a absolument aucun intérêt.

La peste à ses côtés, qui refuse catégoriquement de lui fiche la paix, lui paraît persuadée qu’elle a un pouvoir quelconque sur lui. Qu’elle peut lui dicter quoi faire et, comme il ne l’écoute pas, qu’elle peut lui gâcher sa vie jusqu’à ce qu’il se plie à tous ses désirs. Elle a ramené la métaphore de la guerre, cependant, et si les monarques ont tendance à ne pas se battre, elle a la carrure d’un autre participant. Elle n’est qu’une frêle enfant dont la victoire face à deux chacals famélique paraît être un exploit incroyable à ses propres yeux.

- Les enfants n’ont rien à faire sur un champ de bataille, cependant. Tu devrais retourner voir ces parents que tu sembles idolâtrer. Je suis un char d’assaut sur lequel toutes tes balles ricochent, et tu es l’un des soldats frêles qui partent souvent en premier. A ta fameuse guerre, tu mourrais en moins de temps qu’il ne m’en faut pour te dire de la fermer.

L’un de ses sabots bute contre une pierre ronde, et il la regarde s’éloigner pour ne plus être qu’un point à l’horizon. Comme eux tous, la pierre finit par être assez peu importante pour ne plus exister à une distance raisonnable.

La pierre a roulé bien loin et Yavin se rend une nouvelle fois compte qu’il a plus de force qu’on ne pourrait le penser. Il oublie parfois, dans ses pensées perdues par le monde humain, que sa force était trop canalisée par la douleur qu’on lui infligeait. Il se souvient du jour où le fil a craqué, où l’élastique s’est cassé et où il a déchaîné ce poids que la nature lui a offert comme cadeau empoisonné. Il n’aimerait pas être normal, mais dieux ce qu’il aimerait découvrir le respect.

Il n’en aura du moins pas aujourd’hui, pas avec cette isabelle sans nom qui continue de lui coller aux basques, de l’insulter sans vergogne et de lui filer une haine qu’il n’a pas vraiment méritée. Les jeunes d’aujourd’hui sont des ingrats, pense-t-il, ne se souvenant lui-même pas de sa propre enfance. C’était il y a bien trop d’années, effacées par le reste. Elle continue de le harceler, n’apprécie par les métaphores qu’il aime à créer et lui annonce d’un ton bien trop sérieux qu’elle mourra pour sa patrie et pour défendre… son peuple. Non contente d’être égoïste, arrogante et chiante à souhait, elle pense également pouvoir un jour gouverner quelqu’un. Il a du mal à croire qu’il ne s’agit pas là d’une blague, et pourtant elle semble déterminée.

Alors il éclate d’un rire bas et grave.

- Aucun peuple digne de ce nom ne plierait le genou devant une gamine aussi imbue d’elle-même.

Elle a du culot et de l’ambition, il peut bien lui donner ça. Un peu trop de culot et une ambition plus grande que son corps tout entier, mais il a bien compris qu’il n’arrivera pas à changer quoi que ce soit dans cette pouliche. Elle est un cas isolé et une cause déjà perdue, un casse-tête impossible à résoudre qu’il préfère abandonner. A quoi bon s’acharner sur un individu seul qui ne veut pas l’écouter? Il a mieux à faire et n’est de toute façon pas des plus sociables. Sans avoir pris la parole, il avait déjà perdu sa bataille pour se faire entendre. Yavin préfère déserter et se faire tirer dans le dos par ses supérieurs que de s’engager dans une bataille qu’il a déjà perdue. Il ne compte pas mourir en héros.

(Les héros, de toute façon, ça n’existe pas.)

Il secoue la tête.

- Ca combat deux squelettes ambulants et ça se croit reine du monde, lâche-t-il, plus pour lui que pour celle qu’il commence déjà à oublier, mais vers laquelle il se tourne. Tu comptes me coller pendant longtemps, petite? Pour quelqu’un qui clame haut et fort que je n’en vaux pas la peine, tu t’acharnes tout de même beaucoup.

Le sable s’accroche à ses canons, rouge presque sang comme ses blessures d’antan, la texture plus fine et désagréable que celui qu’il avait connu. Comment était-il passé d’un soldat blessé à un déserteur exaspéré? Aucune de ses rencontres jusqu’à présent, que ce soit sur l’île ou même avant, n’a été agréable. L’amour d’autrui qu’il pensait réel dans le monde extérieur au cirque sonne maintenant comme une légende, un mythe qu’il aurait mieux fait d’oublier. Ah, ce ne serait pas la première fois que ce monde lui ment...

Deliciis cedit indifferentia odio. Odio se maneant et odio habebunt invicem loqui. Unum tamen lacessit, alter magno conatur, ut eius ignis volant. Odium tam praesentis quam voltage, dum continues plaga ejus ritualia sunt. Mos eventually parum procedebat elephantus in comminuet mus, non obstante eius animalis quod timor, cum sit de historia moralis.

Cet étalon est tellement intriguant et en même temps, qu'est-ce qu'il m'emmerde, c'est hallucinant. C'est dingue comme les adultes sont chiants et barbants. On dirait qu'ils connaissent tout dans ce bas monde, qu'ils ont tout vu et tout vécu. Sincèrement, comment ils font pour vivre autant de choses ? Je me demande sérieusement si un jour cela m'arrivera. Est-ce que je parlerai de la même manière qu'eux ? Est-ce que j'aurai les mêmes cauchemars qu'eux ? Ou tout simplement, est-ce que je ressentirai les mêmes sentiments qu'eux ? J'espère que non, sincèrement. Sinon qu'est-ce que je me ferai chier dans ma pauvre vie. Voir le noir partout, découvrir des choses terribles, pleurer car le monde est triste, et surtout détester tout ce qui m'entoure. Je vois pas l'intérêt sincèrement ... A part être malheureuse dans ma vie, ça sert à quoi ? A part pleurer sur mon sort, qu'est-ce que j'en sortirai d'autre sincèrement ? Mon regard suivit le chemin du caillou tandis que je me laissais aller dans mes pensées. Il avait de la force le bougre ! Bon en même temps, ça ne m'étonne pas. Vu la corpulence de mammouth, d'éléphant, ce ne serait sans doute pas étonnant. Je le vois tellement soulever un tronc sans se poser de questions. Je le vois aussi envoyer balader une meute entière de chacals, sans même lever les deux postérieurs. Ouais, c'est un véritable boulet de canon. Moche, qui pue, mais qu'est terriblement fort.

En fait, je devrais sans doute le respecter, mais j'en ai tellement pas envie. Je ne le connais pas, je ne sais pas d'où il vient, donc je ne vois pas du tout l'intérêt de le respect. Lui, me respecte-t-il en m'envoyant des vannes à tout bout de champ ? Me respecte-t-il en me traitant comme plus faible que je ne le suis ? Je ne pense pas. Bien sûr, je mérite parfaitement tout cela puisque c'est moi qui ai lancé les hostilités, mais je le pensais plus faible que cela. Il est si fort mentalement que ça en est limite blasant. Je voulais qu'il s'énerve moi, qu'il m'insulte ou se batte. Bien évidemment, il m'aurait sans doute tuer sur le champ mais un combat mériterait certainement plus de courage, ou sûrement d'envie. En fait, je sais que je devrais sans doute m'en aller, le laisser tranquille mais je voulais encore une fois le provoquer, le tester. Malheureusement, il ne tombait pas dans le piège. Un piège qui ne se fermera sans doute jamais sur la taille de ce mammouth. Finalement, je laisse passer un profond soupir de lassitude. Brutalement, je plaquai mes oreilles dans ma crinières lorsqu'il sorti sa première phrase. Ca voulait dire quoi "imbue d'elle-même" ? Il m'énerve tellement à utiliser des mots que je ne comprenais pas. Ils m'énervent tellement les adultes à utiliser des mots que nous, enfants, nous ne comprenons pas.

" Je crois que tu ne sais pas du tout à qui tu t'adresses. Mais bon, crois ce que tu veux, tu comprendras vite que tu as tord gros lourdeau. " dis-je sans contenir ma haine et ma colère.

Je l'énerve. Je suis loin d'être conne malgré mon âge. Je vois parfaitement que je l'énerve et malgré ce que certaines personnes peuvent imaginer, j'adore cela. J'adore emmerder le monde. Ne suis-je pas née pour cela ? Ne suis-je pas née pour détester le monde et surtout faire comprendre aux autres que j'ai envie de les embêter ? Je suis jeune, sans doute trop pour comprendre que je ne devrais pas être ainsi, mais j'ai envie qu'ils voient qui je suis. Finalement, une question se fit entendre et j'eus un grand rire. C'est vrai que je le colle beaucoup. Mon regard se porta sur l'horizon et je pus distinguer le Soleil qui commençait petit à petit à descendre. Alors, je compris que la Nuit allait commencer à descendre. Papa et Maman allaient me chercher, alors je pris une décision. Il était temps que je m'en aille. Sans prononcer nul autre mot, je fis demi-tour, prit le trot, puis le galop et galopai bien loin. Je m'arrêtai à quelques mètres plus loin et posai un dernier regard sur le mammouth.

" On se retrouvera quand je serai grande Mammouth ! " criai-je pour ensuite me cabrer du haut de ma petite taille. " Et à ce moment, je te montrerai si je suis reine, faible, ou non. "

Puis sans prononcer d'autres mots, je me reposai sur le sol et repris le galop. Je disparu bien rapidement du cratère. Inutile mais intéressant. J'ai hâte de le revoir quand je serai devenue grande.

Le sable ne le lâchera pas avant un moment et le percheron se résout à vivre quelques temps avec des sabots rouges, le temps d’une nuit à sortir d’ici. Le crépuscule sera bientôt là et avec lui arrivera probablement la fin de son calvaire, l’abandon de la compagnie épuisante qu’il a eu le malheur d’avoir aujourd’hui. Yavin se demande s’il n’est pas effectivement asocial, à la fois introverti et se fichant absolument du monde. La sociabilité l’épuise. La jauge qui l’autorisait à supporter la présence de cette jeune peste est presque vidée.

Il retient un soupir lorsqu’elle tente encore une fois de l’intimider, essaie une dernière fois de percer la carapace sans pour autant pouvoir casser un bouclier.

Parce que Yavin sait exactement à qui il s’adresse, n’a pas besoin d’écouter son histoire puisque son idée d’elle lui suffit très bien. Parce qu’il a assez vécu et assez évité les gens pour savoir qu’il n’y a rien à faire pour aider cette pouliche, que trop s’occuper de son cas lui détruira la raison et qu’elle est de toute façon sa propre personne. Elle n’a pas besoin de lui et ira mettre le bordel sur cette île qu’il le veuille ou non. Il ne lui reste plus qu’à attendre et observer, s’écarter du champ de bataille et rester en narrateur externe qui tente d’analyser la situation sans vraiment la comprendre. Il ne connaît pas le nom de la pouliche et elle ne connaît pas le sien; il ne sont que deux inconnus qui ont eu le malheur de se rencontrer et d’automatiquement se détester. Rien ne les lie et ils vont peut-être s’oublier, préoccupés par des choses bien plus intéressantes.

L’isabelle, pour la première fois, commence par se taire devant sa question et observe l’horizon. Elle aussi peut voir que le jour arrive à sa fin et qu’il est temps pour elle de le laisser tranquille. Fidèle à elle-même, d’une façon qui ne le surprend maintenant plus, elle promet presque de le revoir lorsqu’elle aura grandi pour lui prouver qu’elle sera reine.

Yavin ne répond pas, se contentant d’un sourire en coin. Il a presque hâte de voir la couronne brisée de l’égoïste pouliche isabelle. Peut-être qu’il pourra marcher dessus. En attendant, il a d’autres territoires, plus accueillants, à visiter, et s’éloigne au trot alors même que ses foulées à elle s’éteignent dans son dos.